À la cloche de bois
Sainte Félicule mène bien sa barque.
Jamais l'expression à la cloche de bois n'aura été illustrée à son corps défendant - ou plus exactement par reliques interposées - par la bonne Sainte Félicule. C'est du moins ce que laisse supposée la légende dorée de l'une des toutes premières figures du christianisme. Morte dans la fange, puisque jetée dans un égout en 90, la sœur de Pétronille n'a pas attendu bien longtemps pour se retrouver en odeur de sainteté.
Le christianisme tout juste naissant, elle figure déjà dans l'immense cortège des martyres qui ont payé leur foi de leur vie, dans des souffrances atroces. Elle reste cependant dans l'ombre jusqu'à ce que le pape Grégoire premier, soixante quatrième occupant du trône de Saint-Pierre ne braque les projecteurs sur ses restes en les offrant à la ville de Raverne.
Cette nouvelle résidence va sans aucun doute déclencher la grande loterie des similitudes, des coïncidences ou des hasards qui font sens. La ville de Raverne est la grande spécialiste des mosaïques. La défunte sainte n'entendant pas se tenir à carreau, eut tendance à se disperser de manière posthume. Comme nombre de ses collègues élues, elle eut des fourmis dans ses restes. C'est ainsi qu'elle vint à Briare - future citée des émaux - sous la forme de quelques fragments osseux qui héritèrent d'un tombeau magnifique sur place.
Les siècles passèrent, le catholicisme avait fait son trou en bord de Loire. La Sainte aspira de manière bien légitime à profiter de la vie de Château à Saint-Brisson, elle qui était de plus locataire au paradis. Ce qui se passa alors demeure assez flou. Des problèmes de cohabitation peut-être, une incompatibilité d'humeur avec le châtelain ?… Mystère ; toujours est-il qu'il fallut évacuer les reliques en leur laissant le choix de leur nouveau port d'attache.
En bord de Loire, la chose fut assez fréquente et le procédé toujours le même. On place le reliquaire ou bien le cercueil du cadavre mécontent sur une barque que l'on confie au bon vouloir de la rivière sous la bonne grâce divine. Dans la longue liste des saints navigateurs, il y eut ceux qui remontèrent le courant, poussés par le souffle divin et les autres, plus communs, qui se laissèrent porter par les flots.
Citons pour l'exemple l'évêque de Nevers Aregius qui une fois mort fut confié à une barque qui remonta les flots jusqu'à Decize. À l'inverse, le corps de Saint Ythier évêque lui aussi de Nevers, mécontent de son caveau dans sa cathédrale fit grand chahut pour changer de paroisse. On mit son cercueil sur un bateau qui descendit sagement la Loire jusqu'à Dampierre-en-Burly. Les reliques de Saint Benoît quant à elles, allèrent à la remonte d'Orléans à Saint Benoît-sur-Loire. Félicule choisit la facilité ; elle opta pour l'avalaison afin de s’amarrer à Gien.
Une collégiale est bâtie pour faire honneur à la visiteuse. Une cloche est fondue pour sa gloire éternelle. La bonne dame se sent honorée, elle en profite pour réaliser quelques miracles pour soigner sa notoriété. C'est une lune de miel entre les giennois et leur hôtesse. Hélas, les parpaillots ne l'entendent pas de cette oreille eux qui ont en horreur le culte des images et des reliques. L'église Saint-Étienne est brûlée tandis que les restes de la martyre sont dispersés.
Il fallut attendre quatre siècles pour que l'abbé Vallet s'en aille quérir en Berry d'autres restes de la sainte patronne de la ville. On leur offre une nouvelle châsse dans la ville qui accueillera le musée éponyme le siècle suivant. Félicule se plaît dans sa bonne ville, elle espère désormais y couler une éternité heureuse.
Hélas pour Félicule, les circonstances une nouvelle fois viennent lui jouer un sale tour. C'est du ciel que tomberont des bombes qui détruiront sa cloche et disperseront ses restes. Le coup est rude, la Sainte se volatilise véritablement et disparaît progressivement du cœur des giennois. Il m'appartenait de souffler un peu sur les braises pour redonner vie à ses cendres. Voilà qui est fait.
Légendairement sien.