lundi 7 janvier 2019 - par Donald Mitsiky

Ah la vache !

L'intelligence dite artificielle

 

Ça y est ! Cette fois, on va réussir. Depuis hier la connexion avec Duchesse fonctionne nickel.

 


Toile peinte Olivier Claudon

 

Duchesse, c’est la meilleure, la reine de l’écurie, une race vosgienne mouchetée noire avec une magnifique bande blanche courant sur le sommet de son dos. Une perle. Voilà presque six mois qu’ils lui ont implanté une puce, une SSX125 qui s’ont dit, le dernier cri de la technologie.

Avec ça, vous allez connaître tous les paramètres qui commandent le cerveau de votre vache.

Vous pourrez intervenir sur ses repas.

Vous allez contrôler et parfaire sa période de rumination et par la même occasion sa bonne digestion.

La production et la qualité du lait fourni par votre animal devraient croître de manière exponentielle

Tout ça qui m’ont affirmé. J’aimais pas trop, parce qu’ils me regardaient de haut, pourtant chez eux c’était naturel. On était pas du même acabit. Somme toute, je crois avoir fait le bon choix.

À l’issue du test qui devrait durer une année complète, quand ils auront équipé la totalité du cheptel je vais enfin m’enrichir. D’autant plus qu’ils vont récupérer les bouses de mon troupeau, soit environ cinq tonnes par mois qui serviront de combustible.

Ils m’ont filé un ordinateur, j’ai effectué un stage de quatre jours dans leurs locaux pour apprendre à maîtriser le logiciel qui me permet de communiquer avec Duchesse. Et voilà, ça marche, ça galope même. Sur le clavier de mon PC je frappe une question préenregistrée  ; par l’intermédiaire de la puce, Duchesse réceptionne et enregistre ma requête. La réponse me parvient dans l’instant, sous forme graphique, sur l’écran de mon terminal.

Ah ! bien sûr, c’est pas tout le monde qui peut accéder à ce stade de l’intelligence artificielle. J’en connais qui resteront en rade, plantés sur leurs tas de fumiers. Pour les bovins, y a pas de soucis, ils ont tous réussi les tests après implantation, mais pour les humains qui doivent piloter le système – va y avoir du boulot – m’a glissé mon instructeur. Il a ajouté que je me débrouillais pas mal. J’ai quand même eu droit à un regard condescendant.

Je m’en moque. Grâce à cette géniale invention, Duchesse m’a déjà fait savoir qu’elle avalait trop de farine de soja. À la réception du graphique, j’ai pu visualiser jusqu’au pourcentage d’herbicide, contenu dans les fameuses farines, ingurgité par l’estomac de l’animal. J’ai constaté que Monsanto s’en donnait à cœur joie pour empoisonner mes bovins. Contre l’avis de mon formateur, sans doute sponsorisé par la firme américaine, j’ai donc décidé d’abandonner totalement les farines de soja et de nourrir mes animaux exclusivement avec du fourrage par eux brouté et par moi récolté. Quelques compléments alimentaires bien choisis suffiront à leur bonne santé. J’ai eu droit à un sourire dédaigneux parmi les plus désagréables.

Le courbe quantifiant le méthane émis par Duchesse, durant et après sa phase de rumination, me laisse perplexe. Elle monte lentement, mais sans discontinuer jour après jour. Serait-ce dû à une mauvaise assimilation de sa nourriture ? Le degré de nervosité de l’animal suit une courbe ascendante parallèle à la précédente. Attendons quelques semaines avant de tenter d’analyser ces nouveaux phénomènes. Une réponse évidente viendra sans doute éclairer ma lanterne.

Hélas, sa production de lait diminue dans la même proportion que le gaz émis par les éructations augmente. Bizarre ! Quoique, nous sommes en période hivernale, c’est normal que la nourriture faite de fourrage séché soit moins propice à la production de lait. Pourtant le logiciel que je manipule me signale, avec une insistance tous les jours renouvelée, une anomalie dans le comportement de l’animal.

« Stop trouble ! »

Merde, voilà seulement un mois que j’ai réussi à établir un contact productif entre mon logiciel et la puce implantée dans les tissus de Duchesse que déjà un problème éclate. Que faire ? S’agit-il d’un bug informatique, d’une mésentente entre l’intelligence de la puce et celle de l’animal, d’une rebuffade de ce dernier, suite à l’invasion de sa vie privée ? Le fabricant de la SSX125 m’oriente vers un psychologue animalier de renom… Damned ! Je suis un paysan, un esprit cartésien, mon cerveau n’enregistre pas l’apport que pourrait apporter un tel personnage à une vache, même en état de stress. Je sens comme un vent de révolte qui se glisse dans mon esprit, il arrive au bord de mes lèvres sous la forme grossière d’une insulte que je peine à réprimer. Vais-je devoir renvoyer ces gens à leur suffisance, loin de ma ferme, de ma personne et de mes bovins ?

Voilà deux mois que la puce est en place. Depuis quelques jours, Duchesse est agitée de mouvements brusques et incontrôlés, elle s’excite, se disloque dans une sorte de danse de saint Guy, se contorsionne en gestes saccadés comme on en voit le samedi soir dans les boîtes à la mode. Spectacle inquiétant ! Les analyses effectuées sur l’ensemble des animaux du troupeau n’ont révélé aucune anomalie. Ouf ! Pas de vache folle dans mon cheptel. Pourtant, celle-ci est victime d’un dérèglement. Alors bien sûr, en bon paysan, j’imagine que Duchesse et SSX125 ne peuvent ou ne veulent pas cohabiter. Maintenant, va falloir se poser les bonnes questions, prendre les bonnes décisions.

 

Inutile de tergiverser. Suite à ma demande, mon ami Pierrot, vétérinaire de son état, accepta de retirer le petit cerveau électronique incrusté dans les tissus de la vache. Il était midi quand l’homme de l’art vint me remettre cet objet ridiculement petit. À l’issue de l’apéritif, je décidai d’utiliser cet outil pour poursuivre mes recherches scientifiques personnelles. Dans peu de temps mon formateur viendra faire un relevé des données transmises par SSX125. Je devrais pouvoir lancer une nouvelle étude, je pourrais même tenter de la soumettre à la communauté scientifique.

C’était le vendredi, il était neuf heures quand le technicien stoppa son véhicule dans la cour de ma ferme. Nous prîmes un petit café avant que monsieur n’entame sa journée de labeur. Sous un ciel lourd, le soleil venait glisser ses rayons dans l’entrebâillement de la porte, la journée serait tempérée. L’homme avait déposé sa veste sur une chaise, il s’affairait à étudier les graphiques inondant l’écran de l’ordinateur. Pour éviter que son vêtement ne fût froissé, je lui proposais de le déposer sur un cintre. J’en profitais pour glisser la puce dans la doublure de la manche. Concentré sur son job, le quidam ne prêta aucune attention à ma personne.

Onze heures venaient de sonner au clocher du village, l’homme s’en était allé vers d’autres tâches en d’autres lieux. Je frappai quelques commandes sur le clavier avant d’enfourcher le tracteur pour aller chercher du fourrage dans le deuxième pré, à l’orée du bois. À peine avais-je parcouru quelques centaines de mètres que j’aperçus le véhicule du technicien qui hoquetait en dérivant dangereusement vers la ravine avant de s’arrêter dans un dernier soubresaut. Tel un ressort, le personnage que je venais de quitter s’extirpa hors de la voiture.

En bon samaritain, je vins m’enquérir de ses problèmes et proposer mon aide.

— En panne, besoin d’un coup de main ?

Quand, sans dire un mot, l’homme s’engagea sous le capot moteur, je demeurai ainsi fasciné par son comportement. Ses gestes étaient brusques et incontrôlés, il s’excitait, se disloquait dans une sorte de danse de saint Guy, se contorsionnait en gestes saccadés comme on en voit le samedi soir dans les boîtes à la mode. Bizarre, pensai-je  !

— Vous n’avez pas l’air bien, voulez-vous que je vous dépose chez mon ami, le docteur du village ? Il est compétent vous savez et ce qui ne gâche rien c’est qu’il est aussi vétérinaire.

 

Dd

 

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La déesse Vogesus en compagnie de Duchesse - Réalisation Olivier Claudon

 

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La déesse Vogesus - Réalisation Olivier Claudon

https://www.olivierclaudon.com/

 



8 réactions


  • Clark Kent François Pignon 7 janvier 2019 11:50

    « une race vosgienne mouchetée noire avec une magnifique bande blanche courant sur le sommet de son dos  »

    C’est la neige qui reste toute l’année...

    La Vosgienne avait presque disparu, les marcaires voulaient la remplacer par la Montbéliarde qui donne plus de lait, mais le munster n’avait plus aucun goût, alors on reconstitué la race qui avait été sélectionnée par une centaine de générations d’éleveurs.

    Grâce à sa puce, Duchesse pourra faire le munster elle-même, l’emballer et le vendre sur Amazon (si l’odeur est compatible avec celle des autres produits).


    • Donald Mitsiky Donald Mitsiky 7 janvier 2019 12:30

      @François Pignon
      Si l’odeur du munster est comparable avec celle d’autres produits la qualité, elle, est incomparable.


  • Sergio Sergio 7 janvier 2019 23:40

    Dit Donald, la puce dans la vache, ça fait partie des essais thérapeutiques pour ensuite les implanter chez les humains ? C’était une question du Petit Prince.


  • xana 9 janvier 2019 10:46

    Ca me fait vraiment rire tout cet emthousiasme pour la dernière foucade à la mode, l’ «  I A  » (intelligence artificielle ca fait ringard, et pas assez anglo-saxon).

    Bravo pour votre conte, il remet les choses à leur place.

    Ce n’est pas juste la prétention. Prétendre qu’on soit désormais capable de faire comme Dieu (pour les croyants) a toujours été l’idéal des copieurs. Copieurs qui n’ont jamais pensé que faire oeuvre de créativité serait largement suffisant, il leur faut « copier Dieu ». Sauf que probablement Dieu n’existe pas, mais ce n’est pas leur problème.

    C’est surtout la prétention (2ème degré) : Nous, les hommes, serions capables de créer de l’intelligence !!!

    Sauf que d’abord, nous ne savons même pas ce que c’est, l’intelligence. Nous en avons une certaine idée, mais dès q’il s’agit de la définir (par exemple pour classer les hommes) nous savons que cette idée est au mieux imprécise, et au pire... un vieux réflexe raciste pour nous ériger au-dessus des autres.

    De plus, de quelle intelligence parle-t’on ? De celle d’une puce qui serait capable dans un certain « environnement » de donner une réponse « appropriée ». Ah la vache ! Choisir d’aller paître dans une prairie plus humide que dans une savane sèche, quel énorme progrès !

    Je ne parle pas des puces intelligentes de nos bombes « de précision », le simple fait que nos meilleurs soins sont appliqués à ce genre d’engin montre bien quel est nôtre propre degré d’intelligence...

    Bref, une puce (pardon, pour la publication on l’habillera en robot, ca fait plus moderne) capable de tendre un bras à gauce ou à droite presque aussi bien qu’avec un interrupteur, voila ce qui fait pâmer les gens aujourd’hui.

    Pauvre humanité...


  • 68ard_nrv 68ard_nrv 21 janvier 2019 17:53

    J’aime bien entendre parler d’intelligence artificielle, surtout si on l’oppose à la connerie naturelle, c’est assez divertissant ! smiley


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