mercredi 13 mars 2019 - par C’est Nabum

Autoportrait d’un automoteur

L’aventure d’une flute berrichonne.

Bonjour, née en 1930, je suis un automoteur berrichon, ou flute berrichonne si vous préférez même si personne ne me mènera jamais à la baguette. Entièrement métallique contrairement à ma sœur jumelle la Belle de Grignon, je suis sortie des chantiers navals du Pas de Calais à Boulogne sur mer. C’est monsieur Lucien Blond, un batelier de Saint Amand Montrond dans le Cher qui fut mon acquéreur. C’est pourquoi je suis étroite pour m’adapter au format Canal de Berry.

Le 28 août 1930 j’étais immatriculée Li 8534 F, le numéro d’Insee des péniches en somme et j’ai été baptisée : Suave. Je suis assez fière de ce nom que j’ai dû abandonner un temps après une erreur administrative. En toute modestie, ce nom me va comme un gant, tant mes lignes sont d’une douceur exquise.

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C’est un moteur de 100 CV qui me donna des ailes et la possibilité de transporter jusqu’à 114 tonnes de marchandises. À ma naissance, je me suis montrée intrépide. Pensez donc, il m’a fallu prendre la mer à Boulogne pour gagner nos canaux, là où je pouvais tranquillement faire mon train. J’en ai encore des sueurs froides, ce fut une aventure périlleuse mais que c’était exaltant.

Puis j’ai fait mon ouvrage, ce pourquoi j’avais été construite. Je ne m’en suis d’ailleurs pas privée. De 1941 à 1945, j’ai transporté du bois que je chargeais à Fay-aux-Loges pour chauffer ces pauvres parisiens en mal d’énergie en cette époque douloureuse. J’ai changé de nom et de canal en 1964. Il n’y avait plus ni place ni ouvrage pour moi sur un canal fermé depuis dix ans. Je me suis retrouvée dans l’Ain à port Bressan avec un sobriquet latin, moi la berrichonne pure souche. « Modus Vivandi », vous parlez d’un blase !

J’ai échoué en 1988 à Roanne, tout près de ma chère Loire. J’étais en fort mauvais état, quelque peu négligée par mes propriétaires. C’est d’ailleurs des gens du Loiret qui se sont souvenus de moi alors que je devenais un pauvre tas de ferraille oublié. Madame Irénée Bouquin, fille de Lucien Blond, avec une immense émotion, reconnaît Le Suave sous son nouveau patronyme. Elle met tout en œuvre pour me sauver !

Un premier projet de restauration est lancé par les communes de Lorris Coudroy et Vieilles-Maisons dans la perspective d’une exploitation touristique. Faute de moyens sans doute, le projet échoue en 1994. C’est alors au tour de la ville de Donnery de me prendre sous sa coupe dans l’idée de créer un musée du Canal. Nous sommes le 12 avril 1995 et je suis vendue pour la somme rondelette de 1 franc lourd. En juillet de la même année je quitte le port de Choiseau pour m’amarrer dans un autre port d’attache : Donnery.

J’ai droit à une belle toilette. On me bichonne moi la belle berrichonne coquette. On me refait la peinture extérieure et quelques travaux d’intérieur. Je suis fin prête pour reprendre l’eau, ce que je fais le 22 juin 1996. Pour le millénaire de Mardié je m’offre même une croisière de Donnery à Pont aux Moines. Je fais par la suite un passage en 2000 à Combleux et j’avoue avoir eu ce jour-là un coup de foudre pour ce magnifique endroit.

Le 28 avril 2005, le projet de musée tombe à l’eau. Je change de propriétaire, rétrocédée que je suis à la SMGCO : syndicat mixte de la Gestion du Canal d’Orléans : une fois encore abandonnée à mon triste sort d’épave flottante. C’est devant l’usine électrique, elle aussi oubliée de tous, près du hameau de Nestin sur la commune de Fay aux Loges que je rouillais tout en me désespérant quand des bienfaiteurs ont eu pitié de moi. Les membres de l’association les Chemins de l’eau m’ont fait les yeux doux. Comme ils venaient de Combleux, j’étais toute disposée à me laisser ravir.

Ce fut fait. Grâce à eux j’ai repris le goût de la navigation. Ce ne fut d’ailleurs pas une mince affaire que de rejoindre le port de Combleux. On me hala, on me lesta pour passer sous une grande route qui me contraignit à baisser la tête, on me fit passer des écluses remises en état.

Je suis arrivée dans ce port d’attache, magnifique écrin ligérien, pour y subir les soins attentifs et affectueux de mes amis. Je me suis faite belle et c’est ainsi que je vais de nouveau retrouver mes couleurs et mon honneur, retrouvant vie, navigation et utilité. Moi la Suave, la belle flute berrichonne, je vais être célébrée par des musiciens, passant de village en village pour faire la fête.

Les élus m’inaugurent ce mardi 12 mars 2019. Ensuite, durant tout le mois de mars, je vais être honorée à Combleux, Mardié, Chécy, Donnery, Fay-aux Loges tout le long de la partie accessible du canal. Il me tarde de vous sentir dans mes entrailles, de retrouver le canal et ses écluses et qui sait, d’aller un jour prochain jusqu’à Montargis. Le canal doit revivre et je suis la preuve vivante de l’opiniâtreté des gens de l’eau.

Ma marraine est Nadine Thiais Delamour, un nom qui m’enchante .et/C'est une femme qui n’a eu de cesse de vouloir me sauver. En voisine, elle habite à Fay aux Loges, elle a beaucoup espéré en la naissance du musée du Canal à Donnery. Devant l’impossibilité de l’association Les Amis du Canal d’aller au bout de leur projet, c’est elle qui a continué à me chérir dans une indifférence presque générale

Les adhérents des Chemins de l'eau sont venus à son aide. Désormais, madame Delamour, ma chère marraine, fille de batelier, n’était plus seule pour me redonner vie. Elle qui a vécu toute sa jeunesse sur une péniche au gabarit Freycinet - Ses parents vivent à Saint-Mammès, Irénée la fille de Lucien Blond est leur voisine - tiendra mon macaron et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas ce terme. C’est un honneur pour moi, d’autant plus qu’elle est également la marraine de la Belle de Grignon.

Merci à tous ceux qui un jour ou l’autre m’ont tendu la main et tout particulièrement à Irénée et Nadine. Je leur en serai éternellement reconnaissante. D’autres prendont le relais, mes amis du chemin de l’eau, leur président Jean Louis Sénotier, et aussi Pascal, Philippe, Eric et Antoine qui me piloteront à leur tour sur un canal enfin en activité.

Je n’ai qu’une chose à vous dire : « Bienvenue à mon bord !

 



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