jeudi 13 février 2020 - par C’est Nabum

Bouffon !

Merci pour ce beau compliment...

Un homme bien trop important et sérieux pour être cité ici me traite de bouffon, pensant sans doute atteindre le sommet de l’outrage. Non seulement il m’honore en me parant de ce formidable compliment mais de plus il exprime implicitement la crainte de ceux qui pensent détenir le savoir ou le pouvoir face à la puissance de l’humour. En perdant ses mots, mon cher contempteur eut recours à quelques expressions en anglais oubliant sans doute que l'humour noir est l’apanage nos cher voisins. J’ai préféré m’éloigner des parages choisissant d’effacer mes commentaires ce qui me valut un nouveau qualificatif : « Couard ! » preuve manifeste qu’à défaut d’être drôle, mon interlocuteur conservait malgré tout quelques lettres dans notre langue. Mais oublions-le pour revenir à l’essentiel.

Bouffon curieusement est devenu une insulte, une dégradation sublime pour celui qui n’est pas sérieux, ne respecte pas les codes de la bienséance et ne s’incline pas devant les puissants. C’est pourtant ce qui valut jadis non seulement ses lettres de noblesse mais sa fonction, indispensable et salutaire face à un pouvoir centralisé et autoritaire. Le bouffon ne serait aujourd’hui qu’un galvaudeux, un pauvre imbécile qui ne comprend rien à rien et agit avec une extraordinaire légèreté. Il n’est rien qui vaille pour ceux qui tout au contraire ont la prétention d’être résolument modernes, indubitablement pragmatiques, dramatiquement sérieux.

Je vois là la conviction de la nécessité impérative du retour du bouffon, non pas de ces humoristes qui manient la dérision et la pantalonnade simplement pour jouer sur les mots et provoquer des rires gras et souvent sous la ceinture. Le rire est subversif à la condition qu’il s’en prenne non pas au travers des simples gens mais bien aux turpitudes des puissants, de ceux qui tiennent le bâton au-dessus d’une plèbe qu’il convient de réduire au silence.

Le bouffon n’a plus de roi face à lui mais une multitude de petits barons, de courroies de transmission d’un pouvoir fondé sur la confiscation de la souveraineté par l’argent, les médias, les institutions diverses et le bras séculier. Faire rire cette palanquée de profiteurs est strictement impossible, ils sont hermétiques à toute forme de plaisanterie tellement leur sens hypertrophique de leur importance les éloigne du moindre sourire ! Le bouffon n’a d’autre public désormais que les gueux, les malheureux sous le joug de cette bande immonde.

Alors il y va de ses saillies, il frappe, pique, moque sans la moindre nuance tout en grimant ses tirades des habits de la fiction. Le bouffon sait que la justice est aux ordres elle aussi et se ferait un grand plaisir à fondre sur lui pour outrage, diffamation, calomnie ou tout autre parapluie juridique pour laisser agir à leur guise les canailles qui nous dirigent. L’art est délicat, il n’est pas toujours accessible aux non-initiés, l’implicite est son bouclier.

Le bouffon ne peut évoluer sur les rives de la franche rigolade, il a besoin de prendre de la distance, de se mettre à l’abri derrière le conte, la fable, la métaphore et toute autre forme qui embrouillent les pistes, sèment le trouble sans laisser de traces. C’est sans doute ce qui peut exaspérer le triste sire à qui je dois cette diatribe confuse, les gens importants n’ont pas de temps à perdre à décrypter les allusions, à percer les clefs, à clarifier la situation.

Bouffon je resterai ne vous en déplaise. J’ai choisi l’histoire pour habiller mes critiques sur une époque contemporaine qui n’a rien de plaisante. Quand certains usent des archives pour faire preuve de culture et de hauteur, d’autres y puisent les ferments de la controverse, de la facétie ou de la dénonciation des convergences des stratégies employées par tous les pouvoirs pour gruger le bon peuple, le tromper ou bien le leurrer. Rien n’a vraiment changé ce qui justifie la permanence du bouffon.

Commentairement sien.

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