lundi 26 octobre 2015 - par C’est Nabum

Dans le tourbillon du temps

Ah la bonne heure !

Étrange expérience.

Depuis le temps que cette idée me trottait dans la tête comme les aiguilles d'une vieille pendule, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai tenté la plus folle aventure de notre époque. À l'heure prescrite par la loi, j'ai plongé dans le tourbillon du temps. Ce que j'ai vu alors m'a fait douter de moi-même, de la raison et de l'ordre immuable du temps.

Il était trois heures ce jour-là. Les balayeurs n'étaient pas fatigués, les laitiers pas encore levés et les marchands de journaux n'avaient pas reçu la dernière édition. La France sommeillait : celle des gens qui ne sont ni noctambules ni d'astreinte. Les rues étaient presque désertes, j'attendais un événement incroyable …

Soudain les cloches sonnèrent ou du moins c'était leur intention. Mais dès le premier coup de carillon, les aiguilles s'en retournèrent à l'envers, remontèrent le cours des temps. Bientôt le clocher afficha une heure de moins et malgré les efforts du maître de l'horloge, le troisième coup retentit dans le silence de la nuit … Une première fausse note dans la cacophonie qui va suivre.

J'avais compris que les choses devaient se figer, rester mystérieusement inertes. Tout ce qui était commandé par les hommes aurait dû se diluer dans l'espace ; il fallait abolir une heure, revivre ce qui venait d'être vécu. Je vis, tout au contraire, des humains s'activer en tous sens ; ils avaient pour mission de remettre les pendules à l'heure : mission devenue impossible de nos jours. Une cascade d'événements en chaîne se déroula sous mes yeux ébahis ...

Les artisans du temps étaient à l'œuvre. Remonter le temps alors que toutes les horloges se dispensent désormais du balancier et de ses plombs, voilà une tâche qui demande beaucoup d'imagination. Les uns étaient munis d'une échelle, d'autres d'un équipement d'alpiniste, certains avaient des ailes volantes, les plus nombreux étaient montés sur ressort. Tous étaient bien à la peine, si le temps perdu ne se rattrape guère, le temps envolé ne se remonte plus.

Quelques badauds à la recherche du temps qui passe venaient à leur rencontre. Ils y allaient de leurs conseils, désopilants ou bien énervants. Chacun avait son mot à dire, sa petite remarque qui agace et ne fait pas avancer les choses. Les plus nombreux affirmaient de manière péremptoire qu'une de perdue, c'est dix heures de retrouvées. D'autres plus solennels, voulaient consoler les artisans du temps en leur déclarant que l'essentiel était que leur dernière heure ne fût pas sonnée.

Un quidam passa en coup de vent, il leur cria qu'il n'y avait plus une seconde à perdre. Un homme, muni d'une calculatrice -le calcul mental se perd et les nombres sexagésimaux n'ont jamais eu la cote-lui affirma qu'il venait d'en gagner 3 600 et qu'il pouvait bien prendre le temps de se calmer un peu.

Le peuple de la nuit était en folie. La fuite monotone du temps avait enfin gagné en fantaisie. Il y avait un grain de sable dans le système de comptage du temps : les sabliers en étaient tout retournés. Si dans les maisons, les enfants dormaient d'un sommeil profond, leur horloge interne se riait bien de cette heure accordée sur le cadran de la montre de leurs parents. Pour eux rien n'avait changé et bientôt, ils allaient se lever en dépit de ce temps additionnel accordé par un arbitre mystérieux.

Dans les étables, les animaux non plus ne jouent pas le jeu des prolongations. Les mauvaises têtes sont légion dans le cheptel et l'heure de la traite ne saurait attendre. Les artisans du temps qui suspend son vol n'ont jamais su régler les horloges biologiques. Ils ont baissé les bras devant cette difficulté insurmontable. Personne n'a jamais réussi à leur montrer ce qu'il fallait faire.

Une heure durant ils se sont multipliés en vain. Le coq monte sur ses ergots et sonne leur défaite. Les pendules peuvent bien afficher un autre temps, la nature avance, immuable et moqueuse. L'heure d'hiver en automne, quelle belle foutaise des humains ! Ceux-là même qui, depuis quelque temps, sont incapables de connaître les fruits et les légumes de saison, s'arrogent le droit de changer le cours du temps.

Chronologiquement leur.

 



10 réactions


  • Loatse Loatse 26 octobre 2015 11:45

    A la recherche du temps perdu, C’est nabum ? C’est pas gagné d’avance (ou en retard comme vous voulez) smiley


    Enfin il y a des récalcitrantes (d’horloges) : les cadrans solaires ! A moinsse de les repeindre, ceux ci s’obtinent à donner l’heure solaire et le soleil ce rebelle à nos lubies, à darder ses rayons droit dessus !

    Ma minette se refuse également à ce plier à ces règles bien humaines.. Son organisme réglé comme un métronome la pousse à miauler à heure fixe (la sienne) afin que je lui ouvre la porte qui mène à son petit coin de jardin.

    J’imagine les vaches dans les étables les pis pleins à éclater attendant bruyamment l’heure de la traite (à moinsse que les éleveurs ne tiennent pas compte de ce décalage)

    Les anciens dans les maisons de retraite et les écoliers faire des malaises hypoglycémiques, leur déjeuner ayant été retardé d’une heure...(peu prennent un petit déjeuner suffisant le matin, beaucoup rien du tout..)

    Les ensommeillés victime d’insomnie la veille en voiture sur les routes (de vrais dangers publics),

     les piétons n’ayant pas encore compris qu’ils sont soudainement à la même heure devenus invisibles...

    et tout ce cirque pour économiser de l’énergie ??? alors que tout ce qui est lumineux a été pourvu d’ampoules basses consommation, que la grande majorité des téléviseurs sont à led (40% d’energie en moins qu’ordinaires)

    J’avoue, je ne comprend pas.....



    • C'est Nabum C’est Nabum 26 octobre 2015 11:57

      @Loatse

      Je ne cherche plus à comprendre

      Je laisse aller mon inspiration et apprécie votre exposé.

      Je vous en remercie et vais le partager pour d’autres lecteurs


  • colere48 colere48 26 octobre 2015 14:18

    Merveilleux moment que cet instant entre deux...
    Avancer, reculer ?
    Le mieux, rester sous la couette et... pratiquer en chantant...
    « Quand j’avance, tu recule, comment veux tu ...... ». Non ? bon je sors  smiley


    • Abou Antoun Abou Antoun 26 octobre 2015 19:52

      @colere48
      Oui les classiques avaient déjà remarqué. Ainsi Corneille dans Polyeucte :
      « Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle / Et le désir s’accroît quand l’effet se recule »

      PS : Mon correcteur orthographique me suggère de remplacer ’Polyeucte’ par ’Polyester’ (authentique). Pauline Esther à la rigueur, on serait resté cornélien.


    • C'est Nabum C’est Nabum 26 octobre 2015 20:06

      @colere48

      Comment veux-tu que s’articule ma pensée avec de telle évocation grivoise

      Je résiste et j’élude le propos, sachant qu’il n’était qu’égarement provisoire


    • C'est Nabum C’est Nabum 27 octobre 2015 10:31

      @Abou Antoun

      Choix Cornélien imposé par le correcteur ...

      L’heure est venue de faire de vrai choix de société


  • juluch juluch 26 octobre 2015 15:34

    Super le texte......j’espère que vous avez changé votre heure cette nuit...... 

     smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 26 octobre 2015 20:08

      @juluch

      Je l’ai écrit aux premières heures d’une ancienne heure qui se voulait nouvelle

      De là à écrire une nouvelle, je manquais de temps ....


  • Le Dranob 26 octobre 2015 16:54

    Voici presque quarante ans 

    par soucis d’économie
    on escagassa le temps 
    on lui ôta un petit

    de béquiller sa course
    en rien ne le perturba 
    pour lui les cours de la bourse
    c’était du charabia

    pour nous c’était le début
    d’un monde dé-réglementé
    ou tous les horribles abus
    des finances non régulées

    feraient du détricotage
    des lois et des protections
    préparant le nouvel age
    de la grande soumission

    ce petit rabotage
    n’était qu’un ludion
    pour éprouver les foules
    tester les contestations

    s’attaquer au plus précieux 
    des biens dont nous disposons 
    n’était ce pas hasardeux
    de risquer cette position ?

    le tripotage du temps
    était un bon préalable
    aux conversions du moment
    aux directions préférables

    les plus puissants prédateurs
    ont repris les commandes ,
    dérouilleurs et fossoyeurs ,
    il aménagent les prébendes

     que faire contre ces tyrans
    tenir n’est pas suffisant
    résister et reconstruire 
    un monde satisfaisant

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