mardi 10 novembre 2015 - par C’est Nabum

Étancher sa soif

Un lendemain d'abus. 

Au temps anciens, vous le savez, les géants vivaient parmi les humains. Parmi eux , Pantagruel avait choisi la vallée de la Loire pour y accomplir ses exploits mirifiques. Il avait élu domicile en Touraine, là où le vin coulait à flot. C'est d'ailleurs en abusant de ce nectar magnifique que notre bon géant faillit mettre à mal la quiétude de cette région à nulle autre pareille.

Pantagruel, digne fils de Gargantua, avait le vin gourmand. Il ne fallait pas lui en promettre, il buvait plus que de raison ; quand on a sa taille, l'ivresse est longue à venir. C'est ainsi que ce jour-là, l'ivrogne démesuré voulut perdre la tête dans les délices de l'alcool. Il s'y prit si bien qu'il s'endormit, ivre mort, ou peu s'en faut.

Tout géant qu'il était, notre ami n'en était pas moins soumis aux lendemains difficiles. Ce matin-là, le réveil était douloureux. Il avait un mal de tête épouvantable : mille et un forgerons frappaient l'enclume dans son crâne. Il ne savait plus que faire pour faire cesser ce vacarme de tous les diables. Mais ce n'était pas ce qui le faisait le plus souffrir.

Pantagruel avait une gueule de bois carabinée. Les géants sont capables de tous les excès, chacun le sait. Cette vérité s'applique, hélas, dans tous les sens. Cette fois, ce n'est pas de vin qu'il voulait s'abreuver. Son haleine était chargée, sa bouche râpeuse, sa langue gonflée, son ventre en feu. Il lui fallait boire de l'eau sinon il allait devenir fou.

Le géant ne trouva rien de mieux que de s'approcher de la Loire. Sa soif était telle que seule cette grande rivière lui paraissait susceptible de calmer son feu intérieur. Il se pencha, mit la tête au ras des flots et ouvrit une bouche immense et avide. Il but tant et tant que bientôt les eaux vinrent à manquer entre les deux rives.

Pantagruel avait asséché la Loire. Les Ligériens, habitués des frasques du garnement, cette fois pourtant ne pouvaient accepter la dernière fantaisie du garçon. Non seulement l'ogre les privait du bonheur de regarder couler la rivière, mais il avait avalé par la même occasion tous les poissons qui s'y trouvaient.

Le géant reposait sur la berge. Son ventre était si gonflé de toute l'eau avalée qu'il était incapable de bouger. Il fallait à tout prix lui faire régurgiter poissons et eau tant qu'il était temps. Il en allait de la survie de toute une région qui vivait des bienfaits de la belle rivière. Sans la Loire, comment espérer de nouvelles belles vendanges ?

Les plus malins des habitants se dirent qu'il fallait le faire éclater de rire, qu'ainsi le géant restituerait ce qu'il avait engouffré dans son estomac démesuré. Sur le champ, les uns se déguisèrent, firent assaut de grimaces et de plaisanteries. Pantagruel regardait, interloqué, ces pauvres pitreries qui le laissaient de marbre. Il est vrai que ce jour-là, il avait le vin mauvais.

D'autres, voyant le peu d'effet des efforts de leurs camarades, choisirent de lui raconter des histoires drôles. Soit qu'ils n'eussent pas à leur disposition un répertoire hilarant, soit que le géant manquât cruellement d'humour, le fait est qu'il restait parfaitement insensible aux blagues de mauvais goût de ces pauvres gens.

Le temps commençait à manquer. Les poissons allaient périr dans ce ventre gigantesque. Il fallait trouver une astuce pour dérider ce pitoyable ivrogne. Ce fut une petite fille, plus espiègle que les autres, insoucieuse du drame qui se tramait devant elle, qui se mit à découper des poissons dans du papier. Elle avait eu cette idée saugrenue en entendant les adultes se plaindre de la disparition des habitants de la rivière.

La gamine, insouciante ,joueuse et un brin effrontée, accrocha ses petits poissons de papier dans le dos de quelques adultes trop sérieux. Pantagruel vit cela avec surprise, interloqué qu'il était devant cette fantaisie nouvelle. C'est la tête des porteurs de poisson dans le dos qui provoqua l'éclat de rire salvateur. En voyant ces personnes à la tête de carême se retourner pour décrocher ce qui les rendait ridicules aux yeux de leurs semblables, il se tint les côtes et régurgita la totalité de ce qu'il avait avalé quelques minutes auparavant.

Nous étions le premier avril ; la gamine avait sauvé la région. Elle fut nommée reine des fous durant cette journée où chacun, pour célébrer le miracle, avait décidé de faire la fête. Pantagruel, quant à lui, avait devancé la bacchanale d'une journée et se contenta de dormir tout son saoul tandis que les Ligériens s'amusaient comme il se doit chez les fous dignes de ce nom.

La tradition s'installa au pays de Rabelais. Par la suite, les autres régions imitèrent-comme à l'accoutumé- les gens de Loire et, un jour dans l'année, les humains se firent des farces et de mauvaises plaisanteries. Les géants disparurent et pourtant perdura la belle histoire. Voilà où conduit une soif qui ne s'étanche pas. La gueule de bois vous emmène parfois sur d'étranges chemins …

Aqueusement vôtre.

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12 réactions


  • juluch juluch 10 novembre 2015 14:15

    Rabelais entre la Renaissance et l’obscurantisme...... les histoires truculentes dont le médecin avait le secret.

    D’ailleurs on s’y retrouve en lisant les San-Antonio et son personnage Berurier.

    Merci pour l’histoire Nabum

  • Clark Kent M de Sourcessure 10 novembre 2015 17:53

    Comment pourrais-je gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ?


  • AlbertGam AlbertGam 10 novembre 2015 23:32

    Beuvez tousjours, ne meurrez jamais !

     smiley


  • AlbertGam AlbertGam 10 novembre 2015 23:58

    On en bouét, on en bouét,
    Du Vouvray,
    Aujord’hui coume out’foué !
    Tranquille, pétillant ou mosseux,
    Clar ou doré, sec ou mouélleux,
    A la chopine ou habillé,
    Dargnier faite ou millésimé,
    Alléchant,
    Gouléyant,
    Le Vouvray
    Qui rend gai,
    On en bouét, on en bouét,
    Sans jamais s’faie prier,
    Sans jamais s’faie prier !
    .
    C’est le refrain d’un des rimiaux d’ma Touraine natale, qui s’appelle « Quieuqu’vars dé Vouvray ». Quérez pas les fautes et n’seyez pas d’les corriger, parce qu’y en point quoi qu’vous en pensiez. J’avions tout’ vérifié avant que d’publier !
    .
    Et si vous voulez les couplets, d’mandez ! Y en a huit !
    .
    Et j’termine par un des dictons d’ma famille :
    Chinon, Montlouis,
    Vouvray, Bourgeuil ou Blanc-Foussy,
    Su’ les cotiaux d’la Louère
    Ecoutez bien l’docteur Rabelais :
    Beuvez tousjours... Ne meurrez jamais !


    • C'est Nabum C’est Nabum 11 novembre 2015 06:50

      @AlbertGam

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      Que bois-tu Chalandier ?



      Que bois-tu chalandier ?

      Ton verre est tout vidé

      Quel est ce doux délice

      Qui te met en supplice ?


      J’aime le vin d’ici

      Notre bon petit gris

      Tout autant les blancs

      Qui viennent d’Orléans

      Les rosés au pichet

      Les rouges pour trinquer


      Je bois pour le plaisir

      Tu n’as qu’à me l’offrir

      Je trinque par passion

      De la dégustation

      Je goûte la douceur

      De ces vins les meilleurs


      Je chante des chansons

      Qui sortent du bouchon

      Ces airs sont si joyeux

      Que nous sommes heureux

      De boire un autre verre

      La tête à l’envers


      Je m’endors en chemin

      Quand je cuve mon vin

      J’ai dormi tout mon saoul

      D’avoir été trop saoul

      Avec d’autres trimards

      Qui aiment le pinard


      Quand je boirai de l’eau

      Je ne s’rai pas très beau

      Tout au fond de la Loire

      Au bout de mon histoire

      Avec la gueul’ de bois

      Et les deux bras en croix


  • AlbertGam AlbertGam 11 novembre 2015 14:08

    1.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    Il est né dans la grappe
    Quanqu’la vigne a fieuri.
    Mais c’n’était qu’ieune étape :
    Les grains ils’ont groussi
    Au souleil de septambe,
    Ouctob les a meusis
    Dans les cês et les pampes,
    Dans les cês et les pampes.

    Refrain :
    On en bouét, on en bouét,
    Du Vouvray,
    Aujord’hui coume out’foué !
    Tranquille, pétillant ou mosseux,
    Clar ou doré, sec ou mouélleux,
    A la chopine ou habillé,
    Dargnier faite ou millésimé,
    Alléchant,
    Gouléyant,
    Le Vouvray
    Qui rend gai,
    On en bouét, on en bouét,
    Sans jamais s’faie prier,
    Sans jamais s’faie prier !

    2.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    A la treille, au vignobe,
    Le raisin s’est gonfié
    Jeusqu’à porriteur nobe,
    La vendange a c’mincé
    Dans les ris et la jouaie,
    Et l’on a haut-muché
    Les siaux et les ansais,
    Les siaux et les ansais.

    3.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    A la lueur d’eune loupiote,
    Le souèr’ après souper
    On a serré la motte.
    Le persoué a chanté
    Et, coronne’ment d’la tâche,
    Dans to l’pays d’Vouvray,
    A coulé la bernache,
    A coulé la bernache !

    4.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    Bin a l’abri d’la roche,
    Le vin s’est éclarci,
    Et on a fait bamboche
    En quériant d’grands marcis !
    Et tot au long d’l’hivars,
    I s’sont sovent remplis,
    Les p’tits tât’-vin d’grou varre,
    Les p’tits tât’-vin d’grou varre !

    5.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    D’moais en moais i s’est faite,
    Et un jor dans l’rocher
    On l’a trouvé parfaite.
    En mai on l’a boché
    En boteilles, en fillettes,
    Habillé, touélettés,
    Et pis mis en cachette,
    Et pis mis en cachette.

    6.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    Tot’ au long des vacances,
    Les toriss’ arrivant,
    La s’main’ coum’ les dimanches,
    Dé France ou bin d’Brabant,
    Ils accor’nt la goule ouvarte
    Pou lamper nout’vin blanc
    Déssous la tounell’varte,
    Déssous la tounell’varte.

    7.
    Su’ les cotiaux d’la Louère,
    Les coup’s sé sont remplies,
    Les langues ont fertillé,
    Les goul’s s’sont élargies
    Et on s’est bin cuité !
    Les beuveux, su’ les tabes,
    Ont dourmi en révant
    Des chouses bin aguériabes,
    Des chouses bin aguériabes !

    8.
    Sous les cotiaux d’la Louère,
    L’ont visité les caves
    Et passé d’bon moments
    Anvec l’ami Guieustave.
    Bin hureux, bin contents
    Sont r’parti sans histouère,
    Faisant maints compliments
    Dé nos cotiaux d’la Louère,
    Dé nos cotiaux d’la Louère !

    Quelques éléments utiles pour la traduction le reste semble évident) :

    • Ouctob les a meusi -> Octobre les a mûris
    • Les cês -> Les ceps
    • Les pampes -> Les pampres, c’est à dire les tiges qui portent les grappes
    • Dargnier faite -> Dernier fait (et un fait c’est une récolte, donc « dernière récolte »)
    • Haut-muché -> rempli plus haut qu’à ras-bord
    • Les ansais -> Les baquets de bois
    • La motte -> l’énorme tas de raisin entassé dans le pressoir avant le pressurage
    • Le persoué -> Le vieux pressoir à vis
    • La bernache -> Premier état (laiteux) du vin blanc nouveau, à son tout début de fermentation, dans les quelques jours qui suivent le pressurage
    • Le vin s’est éclarci -> la bernache commence à perdre son aspect laiteux, le vin blanc fermente et devient plus clair et plus transparent
    • Quériant -> Criant
    • Les p’tits tât’-vin d’grou varre -> Les petits verre de dégustation en verre épais
    • l’rocher -> la cave (en Touraine la quasi-totalité des caves sont creusées comme des cavernes dans la roche de tuffeau qui abonde sur les rives de la Loire, du Cher, de l’Indre, de la Vienne, et de toutes les rivières de la région)
    • Fillette -> Petite bouteille, 37,5 cl
    • d’Brabant -> d’au-delà de la France (Brabant est une région frontalière de Belgique et des Pays-Bas, et en Touraine pour des raisons historiques le nom de cette région a pris le sens courant de « de très loin »)
    • Lamper -> Boire plus que de raison
    • Déssous la tounell’varte -> Sous la tonnelle verte
    • Fertiller -> Frétiller
    • Un beuveux -> Un buveur, un assoiffé
    • Anvec -> Avec
    .
    A la vôtre !
     smiley smiley smiley

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