mardi 24 décembre 2019 - par C’est Nabum

Il en a plein le dos

Le hotteux d’un soir.

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Il était dans son jeune temps un solide gaillard qui portait une hotte pleine de raisins gorgés de sucre et de belles promesses. Il s’était enivré de ce moment délicieux des vendanges durant lequel toutes les espérances se font promesses pourvu que coule le jus de la treille. Il en avait fait des conquêtes, rien n’est plus aisé quand les têtes tournent de vins et de chansons.

L’âge aidant, il lui fallut admettre que son dos ne supportait plus la lourde charge tandis que son corps ne répondait plus aussi aisément au grand appel de l’amour. Il s’était donc retiré des affaires, avait choisi de s’isoler quelque part en Laponie là où nulle vigne ne peut pousser. Il se pensait ainsi à l’abri de toute réminiscence.

Ce sont d’abord des lutins qui vinrent le tirer par la barbe. Il faut bien avouer qu’il s’était laissé aller, négligeant son apparence, refusant de se raser et même de se laver. Les femmes l’évitaient, il vivait en ermite avec pour seules compagnes des rennes. Aussi, la venue des lutins perturba quelque peu un ordre établi dans sa retraite. Ils étaient arrivés à point nommé pour le sortir d’un marasme qui allait le conduire tout droit à la dépression.

L’affaire n’a d’ailleurs pas traîné. Les lutins l’on rhabillé de pied en cape pour lui redonner belle allure. Un bon bain de jouvence précédé comme il se doit d’un récurage en règle. Le renne laisse une odeur tenace même quand on vit au grand air. Les petits êtres s’interrogèrent longuement sur la taille éventuelle d’une barbe qu’ils trouvaient hirsute. Ce sont ceux qui n’entendaient pas couper les cheveux en quatre qui emportèrent la bataille. L’homme resta barbu et moustachu, cela lui donnait une allure qui inspirait confiance.

Ses guenilles ne pouvaient convenir au grand dessein que les lutins avaient en tête. Il fallait qu’il se remarque de loin tout en se préservant du froid. Il y eut bien des remarques sur le prochain réchauffement climatique condamnant à terme la chaude doublure blanche. On remit à plus tard cependant la décision de passer directement à la mode printemps été. La pelisse fourrée garda la préférence de nos lutins fripiers.

La couleur du manteau fit débat. Les uns le souhaitaient vert, pour porter l’espérance en un monde plus juste et plus généreux. D’autres affirmaient que le rouge mis, notre bonhomme n’aurait plus honte de rien et serait disposé à tous les excès. C’est ceux-là qui gagnèrent la partie, fortement incités en ce sens par des influenceurs mandatés par une grande marque de soda.

Le bonhomme était fin prêt pour la récolte ? C’est du moins ce qu’il croyait quand un lutin ressortit de son armoire à souvenir, sa vieille hotte d’osier. Le petit personnage lui expliqua alors que c’était l’exact contraire qu’on attendait de lui. Il allait devoir semer à tout va, disperser à travers le monde entier les fruits de la croissance qui, comme on peut le penser, sont particulièrement adaptés aux enfants.

Notre vieux retraité, il faut bien le reconnaître se laissait mener par le bout du nez. Il ne voyait pas où voulaient en venir ceux qui l’avait extirpé de son refuge. Quand il comprit enfin ce qu’ils attendaient de lui, il était hélas trop tard, ils lui avaient fait signer un contrat aux clauses si sévères que le pauvre vieux ne pouvait plus s’en défaire.

C’est ainsi qu’il était privé de son droit à l’image, qu’il devait travailler de nuit sans compensation financière, que l’on contraignait à de nombreux déplacements dans un engin peu sécurisé. Pire encore, il lui fallait supporter des cadences infernales pour tenir des délais des plus restreints. Quand le bonhomme comprit que de plus son harassant labeur n’ouvrait aucun droit à la retraite, il pensa se mettre en grève. Hélas, mille fois hélas, ses employeurs lui avaient récusé ce droit.

Le père Noël n’eut plus le choix, il devait se mettre au boulot sans plus tarder.

Honteusement leur.

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