Je ne peux plus me sentir…
J'ai longtemps pensé que c'était les autres qui ne pouvaient pas me sentir. Il est vrai qu'ils avaient bien des motifs de m'avoir ainsi dans le nez, moi qui me faisais un malin plaisir à remuer les remugles et la fange, à mettre en lumière des choses qui feraient mieux d'être cachées. Me croyant repoussé, j'avais fini par me persuader que je n'étais pas en odeur de sainteté par ma seule attitude désinvolte.
Puis un jour, un être désagréable me qualifia de putride. Cela me mit la puce à l'oreille, il devait y avoir anguille sous roche pour expliquer justement ces effluves nauséeux qui me tourmentaient dans le secret de mon corps. Ces odeurs envahissaient ma gorge et mes narines sans que quinconce puisse les partager.
Je me voyais alors atteint d'un délire olfactif, une forme assez particulière d'un dérèglement sensoriel qui se voulait en adéquation avec ce sentiment de déplaire que j'évoquais plus haut. C'était désormais votre serviteur qui ne pouvait plus se sentir, le progrès était considérable. Que faire dans pareil cas ?
Se plaindre d'une telle impression sensitive n'est pas aisé. Rapidement, on vous regarde d'un air suspicieux. Que ne va-t-il pas encore inventer pour faire parler de lui ? Un délire olfactif, la belle galéjade que voilà. C'est son esprit qui bat la breloque et son nez n'a rien à voir avec cette plaisanterie. Je dus un long moment serrer les dents et garder pour moi ce phénomène qui me rendait ridicule aux nez des autres.
Puis le syndrome allant s'amplifiant, je finis par l'avouer à mon médecin traitant, non sans prendre moult précautions oratoires pour ne pas passer pour un hypocondriaque atrabilaire. Mon humeur noire était en la circonstance odorante, fort envahissante et des plus gênantes. Curieusement, on m'écouta et c'est ainsi qu'à ma grande surprise un symptôme existait et se nommait : Cacosmie. Pour examiner le problème, un scanner des sinus me fut prescrit.
En attendant, comme nombre d'inquiets chroniques, je confiais à la toile une investigation plus poussée pour en savoir plus sur cette odeur évanescente. Les spécialistes évoquaient alors des hypothèses médicales pour justifier ce problème mais aussi des problèmes psychologiques qui pouvaient faire naître un tel délire. Une fois encore, je n'en menais pas large. Je craignais que mon esprit allât me mener par le bout du nez.
Heureusement l'imagerie médicale me rangea dans les causes pathologiques, ce qui me rasséréna considérablement. J'avais une bonne raison de ne pouvoir me sentir, elle se nommait sinusite chronique. Je pouvais à nouveau marcher le nez au vent sans déconsidérer mon fonctionnement mental. Une manière un peu excessive de me dédouaner de tous mes travers, je vous le concède aisément.
Me voilà donc avec une odeur qui trouve sa raison d'être dans les sinus et qui m'obsède à chaque instant. Elle ne va tout de même pas me faire rendre gorge même si elle la tapisse d'effluves désagréables. De là à me qualifier de putride comme le fit ce monsieur que désormais, je ne peux plus sentir, il y avait une marge que je ne franchirais pas.
Je me gargarise désormais d'un mot nouveau, cacosmie dont l'étymologie renvoie au grec ancien et signifie « Puanteur ». Remarquons au passage que du côté des académiciens français, toujours en recherche de distinction, ils se contentent de prétendre que ce mot grec signifie tout bonnement « odeur ». La nuance s'impose chez les gens de lettres.
N'étant pas de mèche avec les immortels, j'en reste à cette puanteur qui va encore un temps, peupler mes délires olfactifs tout en peuplant mon lexique d'un mot nouveau que je me devais de partager avec vous de manière fort impudique.