jeudi 28 mars 2019 - par C’est Nabum

Jean Marie et son pétard mouillé

Une histoire qui fait long feu.

Nous étions devant le viaduc qui enjambe le canal d’Orléans quand un marinier, le regard dans le vague, se mit à me narrer un vieux souvenir qu’il ne pouvait garder au fond de sa mémoire. L’homme fixait attentivement l’ouvrage d’art en disant mystérieusement : « Et dire qu’il aurait dû ne plus être là et moi non plus ! » Je ne pouvais que dresser l’oreille pour en savoir plus…

Nous sommes juste après la guerre. Jean-Marie est un drôle comme on dit chez nous, un gamin qui aime à courir le canal, les rives de Loire et les berges. Il vit dans une famille modeste, ce qui a développé chez lui l’art de la débrouille. C’est ainsi qu’il se fit le plus redoutable prédateur local des rats de tous poils. La mairie offrait quelques pièces contre une preuve tangible de l’élimination du rongeur. Plus la queue était longue du reste et plus la récompense ouvrait des perspectives financières.

Ne criez pas au scandale, c’est ainsi que ça se pratiquait à l’époque. Pour s’offrir des friandises, les gamins rapportaient également les bouteilles consignées, les rives étaient propres en ce temps-là. Jean-Marie était fort connu du secrétaire de mairie, nombreuses étaient ses visites et grande sa gourmandise de sucreries. Ne lui jetons pas la pierre !

Un jour, alors qu’il tentait de débusquer une nouvelle prise, il tomba nez à nez avec un obus, tombé du ciel sans exploser. Nos ponts avaient eu ainsi l’honneur d’être copieusement arrosés avec un succès relatif. L’éparpillement des projectiles était la règle tant la vie d’un pilote américain était de très haut préférable à celle de plusieurs ligériens.

C’est donc sans surprise que Jean Marie identifia sa découverte. Lui, il avait profité des bombardements pour se rendre à la pêche. Les explosions qu’elles furent sur la Loire à hauteur des ponts et plus rarement sur le canal, permettaient de récupérer à l’épuisette, des poissons le ventre à l’air, la vessie natatoire explosée. Il ne fallait d’ailleurs pas tarder…

Jean-Marie était en mal de sensation forte. Il se dit qu’une belle explosion allait animer ce secteur de Pont aux-Moines qui s’endormait quelque peu depuis la fin de la guerre. Avec deux ou trois camarades de son acabit, il entreprit de faire des étincelles, chose qui eut surpris son maître d’école du reste ! Mais ceci n’est que pure médisance de ma part…

L’obus porté par ces chenapans sur le viaduc, Jean-Marie se chargea alors du projectile tandis que ses complices allaient faire le guet sur la route située en contre-bas. Nos lascars ne souhaitaient pas provoquer des victimes collatérales, nous devrions leur en savoir gré. C’est ainsi que la troupe artificière procéda à plusieurs tentatives qui firent toutes long-feu.

Dépité de l’insuccès de l’opération, notre ami ne s’en tint pas pour quitte. S’il n’avait pas eu le son, il se contenterait des sous. C’est ainsi que son obus sous le bras, il fit fièrement son entrée dans les locaux de l’hôtel de ville de Mardié (dont dépend Pont-aux-Moines), se rendant directement, l’habitude aidant, dans le bureau du secrétaire de mairie.

Celui-ci, très affairé, ne leva pas le nez de son dossier. Il avait reconnu son visiteur habituel, qui une fois encore, venait réclamer quelques sous. Pourtant cette fois, le brave secrétaire, levant enfin le nez ne vit pas la queue d’un rat mais un bel obus, porté comme un trophée par ce mauvais diable ! L’homme en perdit son sang froid.

Il fallut faire appel aux démineurs qui se chargèrent de faire sauter celui qui s’était obstinément refusé à faire passer de vis à trépas les quatre chenapans locaux. Quant au viaduc, il resta intact et attend avec impatience que le train le franchisse à nouveau, si nos décideurs cessent de jouer les girouettes. Mais ceci est une autre histoire.

Revenons donc au héros de l’aventure. Il voulait des sensations fortes, il fut servi. À défaut d’explosion, semant le feu et la désolation, c’est son arrière-train qui fut victime d’une attaque en règle. Les fesses toutes rouges, il promit de ne plus faire de sottises, promesse qu’il s’empressa d’oublier bien vite.

Plus de soixante ans plus tard, notre ami venait de faire ressurgir de sa mémoire ce pan secret de son enfance. Il devait bien se douter qu’en se confiant à moi, il allait entrer dans la légende locale. Il est servi et j’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur des quelques libertés prises par le narrateur. Un billet vaut bien quelques fesses rouges !

Bombardement sien.

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