jeudi 28 juin 2007 - par Bakchich

L’épopée des archives Barbie

Un criminel contre l’humanité, un président de la République, son ministre de la Défense, un mystérieux abbé, de forts relents remontant à la période de l’occupation et encore « 3 ou 4 kg » d’archives ultrasecrètes que le pouvoir politique s’applique à soustraire à la justice... Tels sont les principaux ingrédients exhumés de l’ombre par Bakchich pour les vingt ans du procès Barbie.

Évoquée récemment par Bakchich, la figure de Jacques Vergès est marquée par une succession de combats - la fameuse stratégie de rupture - au travers desquels il apparaît épouser, cigare et sourire aux lèvres, des causes réputées indéfendables.

L’événement judiciaire majeur que fut en 1987 le procès de l’ancien chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie a constitué l’une des plus rudes parties jamais engagées par «  l’avocat du Diable ». Et notamment lorsqu’il promet des révélations sur l’arrestation de Jean Moulin.
Tortionnaire de Jean Moulin, organisateur de la déportation des enfants d’Izieu, Klaus Barbie est expulsé en février 1983 par la Bolivie.
Au terme de tractations discrètes entre Paris et La Paz, Barbie se retrouve dans un avion pour la France et est aussitôt incarcéré à la prison de Montluc à Lyon, là même où il avait sévi, 50 ans plus tôt. L’instruction de son procès pour crime contre l’humanité durera quatre ans.

Si la France a donné la main à l’exfiltration de Barbie, de sérieuses divergences d’appréciation au sommet de l’État sur l’opportunité d’un tel procès se font jour. À l’Élysée et à la Défense, François Mitterrand et Charles Hernu ne sont pas sur la même longueur d’ondes que Pierre Mauroy ou son ministre de la Justice Robert Badinter. Pour simplifier, rouvrir les plaies de la période de l’Occupation - et la perspective d’un grand déballage - n’enchantent guère le Château, passés personnels de Mitterrand et de Charles Hernu obligent. De petites précautions s’avèrent nécessaires.

Le 9 décembre 1983, Olivier-Renard Payen conseiller d’Hernu à la Défense, adresse une note au ministre pour l’informer que les services secrets détiennent « 3 ou 4 kg » d’archives provenant du BCRA [1] susceptibles d’intéresser l’instruction du juge Riss. Il indique n’avoir relevé « parmi les Français ayant travaillé pour les services de renseignements allemands » que trois nouveaux noms particulièrement marquants. Un seul retient vraiment son attention :

« - Pierre (Abbé) à propos duquel la note indique : « 28-30 ans 1 m 70, agent de la SD, corpulence moyenne portait un béret basque ».
Et M. Renard Payen de s’interroger : « Ce n’est peut-être pas le célèbre abbé Pierre, mais celui-ci était de Lyon et l’âge concorde... Il y a là, à tout le moins une équivoque que Me Vergès ne manquerait pas d’exploiter ».
Puis le conseiller de recommander : « Ma conclusion est que l’on devrait pouvoir sélectionner avec précaution un certain nombre de pièces susceptibles d’être communiquées, si l’on estime politiquement nécessaire de ne pas opposer au juge d’instruction. »

Trois jours plus tard, dans une note manuscrite à Francois Mitterrand, Charles Hernu va beaucoup plus loin : « Dans ce dossier ce qui compte ce n’est pas « la vérité » mais l’exploitation qui peut être faite de ce qui est écrit. »
« Tout sera mis sur la place publique », s’alarme Hernu qui dans une autre note s’inquiète d’informations potentiellement « très dangereuses » (Cf. l’ensemble des documents en ligne sur Bakchich).

Le procès Barbie a un retentissement international et est suivi par des centaines de journalistes. À l’évidence cette mise sur la place publique de simples notes du BCRA ou de tout autre service de renseignement posait un grave problème. Surtout dans le contexte des luttes intestines qui ont parfois opposé les divers services de renseignements à la Libération.

Le danger d’une exploitation par le défenseur de Barbie est sans doute bien réel. Quoique... Jacques Vergès et l’abbé Pierre ont toujours eu d’excellents rapports. Une amitié qui s’est d’ailleurs fortifiée autour de la personnalité de l’ancien dirigeant du PCF Roger Garaudy.
Paradoxalement, Mitterrand entretient alors des rapports houleux avec l’abbé et il aurait pu saisir l’occasion de lui renvoyer la monnaie de sa pièce. Le 13 novembre 1945, un jeune député de la Meurthe et Moselle, Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, dépose devant l’Assemblée nationale constituante la motion suivante : « L’Assemblée estime qu’un homme qui a porté la francisque, même s’il n’a pas par ailleurs commis de crime, a commis une erreur qui est pour le moins d’une telle gravité qu’elle rend impossible sa présence au Parlement. »

François Mitterrand peut-il l’avoir oublié ? Est-ce une coincidence fortuite si l’abbé Pierre a refusé la Légion d’honneur des mains de Mitterrand pour l’accepter quelques mois plus tard du président Chirac ?
Quoi qu’il en soit, Mitterrand et Hernu prennent le parti de ne communiquer aucun document à la justice.
Sans que l’affaire soit close.

Quatre ans plus tard, en décembre 1987, le procès Barbie terminé, la DGSE entreprend de récupérer ses archives. Des originaux. Avec beaucoup de (fausse ?) naïveté, le directeur de l’administration de la DGSE écrit au président la Cour d’assises de Lyon pour récupérer ses cartons. Le procureur général, par retour du courrier, objecte que ce dossier « n’a jamais été remis à M. Riss, juge d’instruction » et qu’en conséquence il n’est pas « en mesure de vous restituer des documents qui n’ont jamais été joints au dossier ».
Imparable .
Mais où sont donc passées les archives de la DGSE ?
En janvier 1988, le ministre de la Défense de Jacques Chirac, André Giraud (c’est la cohabitation) s’adresse personnellement à son prédécesseur Hernu pour lui faire part des « difficultés » rencontrées par la DGSE pour remettre la main sur ses cartons.
« Au cas où vous détiendriez ces dossiers » écrit le ministre, « je vous serais bien obligé de... ». Etc.
C’est - bien contraint - que Charles Hernu rend, le 4 février 1998, au chef d’étude de la DGSE, J.-P. Chauveau, les « quatre cartons (....) contenant 248 documents ( ...) sous réserves de vérifications ultérieures » et dont le ministre avait enrichi sa bibliothèque.
Quant au mystérieux Pierre abbé, agent présumé d’un adjoint de Barbie et homonyme de feu la personnalité préférée des Français, il n’y a que le sommet de l’État mitterrandien pour penser que ce pouvait être le même, semble-t-il.



10 réactions


  • Gilles Roman 28 juin 2007 13:17

    Un article intéressant que je me suis permis de reprendre sur le site LyonenFrance. Mais une petite question tout de même : ce Mr Pierre est la seule personne citée dans ces archives ?. En plus attention aux déductions simplistes : chacun sait que la résistance,- et j’ai toujours entendu dire que l’abbé pierre comme françois mitterrand en faisait partie - pour fonctionner, a du recourir toutes sortes de gens (délinquants, infiltrés, agents doubles, prêtres ou politiques ambitieux...) . Je vous conseille de revoir la guerre des ombres, tourné à Lyon justement... http://lyonenfrance.blogspot.com/2007/06/polmique-autour-des-archives-secrtes-de.html


    • bozz bozz 28 juin 2007 14:21

      il y a quelques erreurs frappantes : Hernu est mort en 1990 et donc ne peut avoir transmis des documents en 1998 !! ensuite seuls Mittérand et Hernu semblent penser que l’abbé Pierre était un agent nazi, rien n’atteste cette supposition, les documents ne nous sont pas livrés donc nous n’avons que des interprétations si ces documents sont exacts

      Ce serait donc un scoop important si cela se revèlait exact.


  • Adama Adama 28 juin 2007 15:02

    Article étonnant et passionant, encore bravo !


  • Bakchich Bakchich 28 juin 2007 15:11

    petite précision, la date 1998 est une faute de frappe, c’est bien en 1988 que les documents ont été rendus.

    quant aux documents, ils sont en ligne sur le site de bakchich. quant à savoir si c’est le vrai abbé pierre, la prudence est de mise

    cordialement


  • Mario M. Mario M. 28 juin 2007 20:29

    L’abbe Pierre un collabo, Jacques Chirac un criminel, on comprend mieux le fonctionnement de la France et des administrations francaises smileyUne nouvelle qui va vous faire plaisir : Jacques Chirac, Charles Pasqua (fondateur du SAC), Prince Sixte de Bourbon Parme (fondateur de l’OAS), Gilles Christian MUNIER (inculpe dans l’affaire Petrole contre nourriture, et administrateur du Groupe Bourbon), Louis Michel (Commissaire Affaires Etrangeres a la Commission Europeenne) et Co... sont accuses de CRIMES CONTRE L’HUMANITE, la plainte et requete argumentee a ete deposee le 25 Juin 2007. Vous voyez qu’en France, en Belgique, en Hollande ont a aussi nos reseaux de neo-nazis et de neo-fascistes qui ont infiltre depuis de nombreuses annees nos administrations et gouvernements


  • Stephanesh 29 juin 2007 01:24

    Bonsoir

    Quelqu’un peut il me préciser les zones d’ombres de Charles hernu et Francois Mittérand pendant la 2e guerre mondiale, ou éventuellement me référencer un site

    Cordialement


  • Dryss 29 juin 2007 10:24

    D’abord on apprends que l’abbé Pierre soutient un certain Garaudy, on nous dit alors que c’est une erreur, ect.

    Ensuite, on voit qu’un certain abbé pierre (même nom, même âge...) était collabo. On nous dit que ce n’est pas le même homme (il faut bien avouer que abbé comme prénom, c’est très fréquent)

    Il faudra bien faire la lumière sur cette personnalité...


  • LE CHAT LE CHAT 29 juin 2007 11:21

    quelqu’un a t il retrouvé l’agenda de Ken ? on y apprendrait sûrement des choses surprenantes smiley


  • mortia mortia 29 juillet 2007 19:56

    si en 1945 l’abbé pierre s’appelait... henri grouès et qu’il était député, j’en déduis donc que pendant la guerre il n’était point encore abbé.... ou suis-je trop stupide pour avoir tout compris.... et puis, je rapelle aux naïfs et à ceux en mal de sensationnel, que pierre était un prénom très répandu alors.... c’est vraiment moche de dire de telles choses sur des personnes célèbres ou non sans l’ombre d’une preuve.... surtout quand celles-ci sont décédés....


    • Marcel 22 février 2008 10:01

      Je constate, Chère Madame, que vous êtes mal informée. En effet, Henri Grouès utilise ce pseudonyme dès 1942. Autrement dit, rien n’interdit de penser qu’il puisse s’agir de la même personne.

      Extrait de sa biographie parue sur Wikipedia :

      « Selon sa biographie officielle issue des archives officielles du Ministère de la Défense Nationale, ... il prend le nom d’Abbé Pierre dans la clandestinité. [1942] »

      Je pense en effet que la vérité doit être dite, même après la mort des intéressés, car l’Histoire ne saurait se satisfaire des mensonges officiels. Je ne vise pas ici la mémoire de l’Abbé Pierre, mais le discours politiquement correct dont les médias se font régulièrement l’echo.

       


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