lundi 2 avril 2018 - par C’est Nabum

L’éternelle question ?

Pâques et sa basse-cour

JPEG Qui de l’œuf ou de la poule a commencé la grande danse de la vie ? La question se pose étrangement toujours en l’absence du coq qui se contente de brailler à tue-tête sa morgue matinale. Il semble s’en laver les mains, ce qui n’est d’ailleurs pas chose aisée pour lui, n’assumant guère ses éventuels rejetons. La poule doit veiller au grain, couver et tenir sous sa surveillance ceux de ses œufs qui ont connu une destinée. Elle a bien assez à faire que de se soucier de telles peccadilles !

L’œuf se dore la pilule sur la paille, il se mire au soleil, il s’admire, fier de sa merveilleuse forme ovoïde, de son harmonie parfaite, de sa succulence et de la subtilité de sa composition. Il se sent invulnérable dans sa carapace, il y place une confiance démesurée car nombreux sont ceux qui veulent briser sa façade pour s’en régaler. Bien peu seront ceux qui connaîtront meilleur sort que celui de la gourmandise.

Le coq s’époumone, il sent venir sa dernière heure. À refuser de participer au débat philosophique il risque fort de finir en cocotte. Humiliation suprême pour ce pendard pitoyable, même une sauce au vin ne viendra pas lui sauver la face. Il mijote dans son coin, se sachant déconsidéré tandis que la poule au pot a eu quant à elle, les honneurs de l’Histoire. Il y aurait de quoi en chier une pendule, se dit le coq du Poitou, amoureux fou de la belle Comtoise .

Le poussin voudrait avoir son mot à dire. Il n’en a pourtant pas l’occasion. Sa mère lui demande discipline et obéissance, il n’est pas l’heure de s’émanciper. Il suit docilement la patronne, l’accompagne dans tous ses déplacements. Ce n’est pas lui qui fera un grand voyage. C’est bien sous sa forme d’œuf qu'il est le plus apte à traverser l’Océan. On lui a si souvent parlé de l’histoire de Christophe Colomb.

La pendule du Poitou ne veut pas être en reste. Elle s’indigne que l’on use de sablier pour déterminer le temps de cuisson d’un œuf coque. Encore une histoire de navire se dit l’horloge qui bat le temps, nécessairement sur le plancher des vaches. Le sablier porte en lui la possibilité du voyage, l’éventualité d’une plage lointaine, il pousse au rêve et au dépaysement. La pendule ronronne sa déception, elle dit oui, elle dit non et renonce à faire partie de la question. Le temps n’a rien à voir dans cette histoire d’avant le temps.

Soudain tout bascule, un œuf est pris au panier, il est vidé d’un savant petit trou d’aiguille. Non, dame pendule n’est pas dans le coup. Il se désespère de se trouver ainsi si vide, si ridicule, si inutile. Il n’aura même pas le plaisir de terminer sa course en compagnie de délicieuses girolles ou bien d’agréables patates rissolées. Quel est donc ce coup tordu qu’on lui fait jouer présentement ?

Il n’a guère le temps de s’interroger plus avant. Le voilà qui se remplit de nouveau. C’est chaud, c’est gluant, c’est brun, c’est savoureux. Il exhale de son intimité, une douce quiétude et de délicates odeurs. Il sent en lui se constituer une nouvelle carapace, plus forte encore que sa coquille qui a cédé si facilement à la pointe de l’aiguille.

Il se fige, il se sent devenir solide et soudain s’aperçoit qu’il subit une nouvelle agression. Des pans entiers de sa maison, de sa précieuse enveloppe calcaire tombent et pourtant, lui ne s’effondre pas. Il conserve sa forme, n’est plus ce qu’il était avant, il est maintenant délicate chocolaterie. Que va-t-il donc lui arriver ?

L’œuf n’est pas au bout de ses peines. Il se sent transporter en compagnie d’une troupe de ses semblables. Non pas des œufs de toute première fraîcheur, non, des compagnons tout comme lui qui ont subi l’étrange métamorphose. Une main s’empare de chacun d’eux, délicatement les cache quelque part dans un jardin. Le voilà nu et fragile, sans espoir d’une autre vie, abandonné dans l’inconnu.

Soudain c’est un tremblement de terre, des hordes de pieds martellement l’espace. Des mains cherchent ceux qui échappent au piétinement. Notre œuf se trouve du nombre. Il retrouve espoir. Bref instant fugace sans lendemain. Il est mis en bouche, croqué, dévoré, il disparaît, totalement englouti par des mâchoires vorace qui ne s’arrête pas en si bon chemin. L’œuf ne sera jamais poule pas plus que coq. Il se contentera d’un voyage intérieur dans les entrailles d’une petite canaille qui achèvera sa journée avec une bonne crise au foie.

Le coq dans son jus vineux, passera sous d’autres dents. Les adultes se délecteront du silence du prétentieux tout autant que de sa chair, délicatement marinée. La journée de Pâques prend des allures d’hécatombe dans la famille des gallinacées. Seule la question demeure. Qui de l’œuf ou de la poule a commencé ? Une interrogation qui n’a certes pas sa place un jour de Pâques !

Ovoïdement vôtre.



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