jeudi 10 septembre 2020 - par C’est Nabum

L’étiquette qui déchire

Le débat est clos.

Un isthme pour le géographe est une bande de terre étroite, située entre deux mers qui réunit deux terres tandis que l’expert en morphologie évoque ce mot pour la partie rétrécie d’un organe comme par exemple l’isthme de l’encéphale. Ce dernier exemple tombe à point nommé pour illustrer le propos qui va suivre. Perdant son th afin de n’être pas envoyé chez les Grecs, ce terme devient alors un formidable et incontournable suffixe qui au lieu de réunir deux bandes humaines grâce à un raisonnement étroit même si ces dernières sont séparées par deux opinions diamétralement opposées et un Océan de querelles et d’incompréhension.

Je devine que mon propos se trouve étranglé au niveau du rétrécissement céphalé, là où précisément notre cerveau embryonnaire subit une division à partir de laquelle se développent les colliculus ou tubercules quadrijumeaux et les pédoncules cérébraux. Vous saisissez ? Si vous ne parvenez pas à comprendre, il conviendrait de saisir un conseil scientifique en linguistique comparée faisant comme souvent appel à votre cerveau reptilien.

Mais revenons à nos moutons puisque ce sont eux qui bêlent à longueur de journée pour justifier leurs comportements et dénoncer les quelques voix qui s’élèvent encore dans la cacophonie ambiante des médias aux ordres. Ne sachant plus que dire et, il est vrai, entravés qu’ils sont dans leur expression par un masque qui barre leur bouche et des élastiques qui compriment leur cerveau, ils s’exclament en chœur : « Complotistes ! »

La méthode n’est pas nouvelle et l’échange d’amabilité se pratique souvent entre les camps retranchés de deux pensées inconciliables : « Fasciste ! », « Sioniste », « Communiste  ! », « Altermondialiste ! », « Écologiste ! », « Capitaliste ! », « Raciste ! », « Sexiste ! », … La liste est longue et aime à créer de nouvelles catégories comme ce formidable : « ANTIMASQUISTE ! » qui vient de sortir des fonds baptismaux de la pensée lapidaire.

Une fois l’étiquette accolée au revers d’un individu devenu dans l’instant infréquentable, plus rien ne sera alors ni repris ni échangé. Pas plus les arguments que les propos, le débat est clos, il ne reste plus qu’à tourner les talons et s’en aller chacun de son côté, si possible avec en guise de réponse un autre « isme » vengeur. L’échange s’arrête là, la discussion se fracasse immédiatement sur ce coup de poignard dans la dialectique ancienne.

Ni thèse ni antithèse, point de pensées développées, à l’heure du numérique, on ne perd pas de temps dans le laboratoire d’idées. Un seul slogan, une seule appellation et il n’y a plus rien à dire. On peut se désoler de cette incapacité à argumenter tout autant qu’à écouter l’autre. On doit simplement constater que changer d’avis n’est plus permis, que le doute a déserté le paysage intellectuel tandis que l’avis est devenu tout puissant.

On ne cesse d’accorder de l’importance à ceux que des imbéciles faisant métier de diffuser du vent appelle l’OPINION, qu’elle soit publique, intime, diffuse ou confuse, elle est le support de sondages, de propositions de loi, d’émissions, d’articles. Les prétendus sondeurs d’opinion oublient hélas de définir clairement ce qu’est cette chose subtile qui autrefois devait se fonder sur une étude préalable du sujet, une analyse fine des différentes propositions, une synthèse raisonnée avant d’établir une opinion toujours susceptible d’être modifiée en fonction de nouvelles données.

Plus rien de tout ça, la vitesse et la simplification ont éliminé toutes ces étapes fastidieuses. Les béotiens ont désormais un avis tranché sur tout et surtout une idée fixe afin de ne pas avoir à changer d’avis et passer pour un imbécile au pays des idéologies coulées dans le marbre. Le plus chic est alors d’être interrogé par un journaliste qui n’en sait pas plus que vous, vous tendant un micro au bord d’un trottoir, les pieds dans le caniveau et la tête farci de truismes. Chaque camp ne dispose que d’un outil unique pour répondre à ceux d’en face : un substantif flanqué d’un suffixe pour paradoxalement une réplique sans substance.

Complotristement vôtre.

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