L’infortune du pot
Un pot en cache toujours un autre…
Je ne voudrais pas en ajouter une couche car c'est fort justement en s'émancipant de la chose que débute notre relation intime et de longue durée avec ce mot et cette expression qui n'aura de cesse de se décliner de bien des manières. En attendant, il est bon de revenir au point de départ de ce périple qui débute avec notre émancipation.
L'enfant renonçant aux langes découvre alors l'usage d'un mot dont il fera par la suite mille et un emplois. Pour l'heure c'est en déposant en public ses humeurs qu'il fait l'admiration et la fierté des parents, attestant ainsi de ses premiers pas vers l'autonomie. C'est pour les siens la célébration d'une économie substantielle tant les fabricants mettent le paquet sur le prix de ce curieux réceptacle en matières absorbantes.
Le pot célèbre à la fois la fin d'une période qui n'avait que trop duré et l'entrée de plein pied dans l'univers des tracas quotidiens. Au début, il convient de suivre à la trace les dépôts de l'enfant, de s'en extasier ou de s'en préoccuper pour au fil du temps le laisser se dépêtrer de ses encombrements intestins sans plus en faire le moindre cas.
Ce pot-là coïncide souvent avec l'ère du petit pot. Celui-ci est la véritable fortune du pot pour l'industrie agroalimentaire. Le prix au kilo réjouit toutes les concurrences qui se donnent le mot pour faire cracher au bassinet les parents. Tous les mélanges y sont permis dans un vaste désir de mixer les bénéfices et l'éducation du goût et du coût.
Le temps passe l'enfant est devenu un adolescent pour lequel le pot se partage désormais entre pairs. Boire un pot, constituer un pot commun pour faire une fête, qu'importe le pot pourvu qu'on ait l'ivresse. C'est même au petit bonheur la chance que ce pot revient dans les conversations, évoquant une impasse réussie, un coup du sort, une heureuse coïncidence.
Le Pot se fera culinaire en vieillissant. La Poule au pot, la potée, le vieux pot dans lequel on fait les meilleurs brouets. Préoccupations d'adultes qui mettent de l'eau dans le vin, confondant la cruche et le pot tandis que leurs économies filent aux impôts. C'est d'ailleurs pour éviter ce piège que le liquide est préférable en l'espèce.
Le pot, la potiche viennent à intervalle régulier fleurir la mémoire de ceux qui sont partis, manque de pot sans doute, avant l'heure. Le chrysanthème s'impose par habitude. Faut-il être empoté pour suivre ainsi une tradition qui manque singulièrement d'imagination, une sorte de pot d'adieu en somme qui revient à date calendaire, comme un rituel qui fleure le manque de conviction. Le pot aux roses des regrets éternels qu'il convient de rendre ostensibles.
Le temps passe, le pot de départ est venu. C'est la fin d'une autre époque et le dernier virage qu'il convient d'aborder prudemment. Il faut faire durer la chose le plus longtemps possible en dépit des ennuis de santé qui viennent remettre le pot à l'ordre du jour. Il s'installe dans la chambre retrouve une fonction ancestrale pour peu que la mobilité soit réduite. Émaillé, il y a belle lurette qu’il ne vient plus servir la soupe à l'oignon des nuits de noce.
La boucle tend à se boucler. Le temps peut même revenir au manque de confiance qui impose d'en remettre une couche. Triste retour au point de départ, la dérive des incontinents qui cette fois n'ont plus l'espoir de reprendre le chemin initial. Une crise sanitaire sans que Jacob et Delafon soient dans le coup.
Le dernier pot ne sera pas commun. Il se fera urne pour ceux qui entendent brûler la vie par tous les bouts. Une forme élaborée et décisive de pot d'échappement sans qu'il faille recourir à la carte increvable des mille bornes. Tu es poussière et tu retourneras à la poussière.
À contre-pot.