lundi 19 octobre 2020 - par C’est Nabum

Langue en décomposition

Dur à avaler.

Le trait d’union ne fait plus recette pas plus que le mot valise quand il s’agit de désigner ce que beaucoup pensent être un concept nouveau. Adieu les mots qui ont fait le succès d’une langue qui savait elle aussi se contracter pour nommer une invention ou une idée qui émergeait. Nous devons renoncer à nos valeurs tout autant qu’à ce qui fit l’art de vivre à la française puisque seul l’anglais est efficient dans ce rôle. Laissez-moi vous raconter par le menu l’aventure de ce mot en devanture.

Je devine qu’une fois de plus je parle Hébreux pour les adeptes du globish, ce créole universel d’un anglais de bas étage. Allez-donc sur les places publiques lorsqu’il y a une fête ou une animation quelconque (je sais, la chose n’est guère possible en ce moment) et tentez de vous y sustenter (dois-je expliquer ?). Les organisateurs, soucieux de vous voir dépenser sans compter ni apprécier, ont pensé à vous en invitant une gargote sur pneumatiques.

Vous ne manquerez pas de tomber sur une camionnette agencée afin de permettre aux foules affamées de trouver de quoi se remplir la panse sans y penser vraiment. Le tout, le plus vite possible car l’époque est à la nourriture rapide, insipide et uniforme. Beaucoup ont oublié que la gastronomie nationale fut un temps une fierté qui attirait encore le touriste...

Comme le véhicule en question est affublé, comme vous devez vous en douter d’un néologisme anglophone, son succès est garanti, qu’importe la qualité de ce qui est destiné simplement à vous remplir le bide. Le camion-bouffe ne pouvait pas faire l’affaire, quatre consonnes c’est trop indigeste à l’ère de la vitesse. Ce bouffe final aurait eu au moins l’avantage de ne pas mentir sur la qualité.

Mangeoire-mobile aurait eu ma préférence mais les moutons y trouvèrent comme une moquerie discrète sur leur comportement atavique. Ils auraient fait du foin, se seraient écriés qu’on se gaussait d’eux. Auto-cuiseur aurait pu satisfaire à la définition même s’il ne convient pas de confondre vapeur et saveur. Le terme a été employé à autre chose ce qui me coupe le sifflet. Pourtant, tout y était dans ce mot composé sans faire de salade.

À bien y réfléchir, l’histoire aurait dû, avec un peu de culture et le respect de nos traditions, nous mettre sur la voie, ce qui en la circonstance, aurait été du meilleur effet. Nos armées quand elles partaient pour leurs fameuses campagnes, le plus souvent infructueuses, avaient le souci de l'intendance, le nerf de la guerre parait-il, (est-ce pour cela que la viande était toujours indigeste ?).

La roulotte était le siège de la confection des repas. Voilà un terme efficace, bien ancré sur ses roues et capable de définir aisément ce qu’on va trouver dans ce camion : de quoi s’alimenter avant d’aller au feu, se remplir le ventre pour démontrer ensuite ce qu’on y a dedans. Une fois encore, la confusion était permise et surtout, l’idée tout à fait exacte du reste qu’en un pareil endroit, le client était surtout là pour se faire rouler et essuyer le coup de fusil.

La cantine aurait dû sauter à la gorge des lexicologues de la modernité. Il n’y avait pas mieux pour à la fois faire référence au repas, à la mobilité et à l’idée d’exotisme. Hélas, depuis qu’elles sont devenues Restaurant scolaire elles ont galvaudé à ce point le terme que la cantine passe pour un lieu infect de nourrissage.

Pourtant je le proclame haut et fort, il n’eut été pas plus joli terme pour désigner ces camions qui ouvrent leur flanc pour laisser échapper des effluves nauséeuses que ce terme bien franchouillard de cantine, naturellement à la condition qu’on y fasse de la nourriture saine, de qualité, économique et bien mitonnée. On devine là que les contraintes étaient sans doute trop grandes pour les tenants de ces maudits food-trucks si prisés par ceux qui veulent tuer notre langue et notre culture.

Indigestement vôtre.



2 réactions


Réagir