mercredi 3 février 2021 - par C’est Nabum

Le caquetoire de Loire

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L’amarre aux canards.

 Il était une fois un endroit charmant qui incitait tout autant à la contemplation qu’à la discussion. Deux bancs faisaient face à la rivière au détour d’un grand virage comme la Loire aime à s’en parer, offrant en cet endroit une vue unique d’autant qu’un magnifique château se lovait tout contre le chemin de halage perché sur une levée qui dominait le paysage. En contre-bas, un vieux lavoir rappelait que là, il n’y a pas si longtemps, on battait le linge et la conversation.

Est-ce le souvenir des laveuses d’autrefois ? Est-ce encore l’écho lointain de leur cancanages d’alors ? À moins qu’il ne faille l’expliquer par l’absence de caquetoire à la sortie de la charmante petite église de ce bourg ligérien, toujours est-il qu’une joyeuse troupe de vieilles dames avaient pris possession des lieux.

Elles arrivaient juste après l’heure de la sieste et quel que fut le temps et la température, se retrouvaient là pour deviser, rêvasser, repérer encore les mouvements de ce côté-ci du village et échanger les derniers cancans de la communauté. Point n’était besoin de parcourir le journal local, a elles six, vous aviez matière à tout savoir de ce que passait et allait advenir dans la place. C’était en somme un cercle des discoureuses connu alentour sur le nom de Cancanerie.

Il y avait aimable moquerie à cette appellation et un brin d’espièglerie également. Il me faut vous en narrer la cause. Tout commença quand un gamin déluré entendit pour la première fois ce terme. Il commença par ouvrir un dictionnaire et à sa grande surprise découvrit le terme qu’il aurait écrit en doublant le second N. Il en accepta cette graphie quelque peu disgracieuse à ses yeux et finit même par en tirer une curieuse conséquence.

Si les deux n’avaient eu sa préférence c’est que les dames, au fil des ans, s’appuyaient les unes après les autres sur une canne pour se rendre à leur rendez-vous. Il lui fallait renoncer à cette explication mais le gamin, ayant de la suite dans les idées voulut en toute logique que l’endroit fit place aux canes, les femelles des canards. Il se mit en demeure chaque jour, pendant la sieste des dames de venir déposer autour des bancs des graines pour attirer cols verts et autres palmipèdes.

Le temps fit son œuvre, après la nuée des inévitables et insatiables mouettes, il parvint à ses fins. Les dames arrivaient désormais précédés d’une troupe de canards menant grand train. Les conversations se croisèrent, c’est à qui claquerait le plus fort du bec tandis que l’espiègle garnement riait sous cape de ce spectacle.

D’autres aussi s’en amusèrent. Les adultes de ce bourg trouvèrent fort drôle que le cercle de la Cancanerie ait ainsi fait des émules parmi les animaux à poils. La chose faisait beaucoup rire surtout que dans le lot, il y avait deux véritables et chastes demoiselles. Les gens sont toujours près à la grivoiserie pourvu que ce ne soit pas eux qui en soient les victimes.

Pour tous, l’endroit devait changer de nom. Il se trouve qu’il avait précisément là un vieil anneau d’amarrage, oublié dans les herbes. Il fut promptement dégagé, le pierré autour fut mis à nu, totalement désherbé et la petite zone autour des bancs aménagée de jolis gravillons et de quelques géraniums, l’incontournable plante d’ornement. Deux ou trois roses trémières vinrent se mêler au panorama qui désormais avait fière allure.

Un édile eut l’envie de profiter du succès de la chose pour organiser une petite inauguration, occasion de faire une petite fête à l’échelle du village, sans avoir à solliciter le ban et l’arrière ban des élus départementaux. Il suffisait pour ça de poser une plaque, de baptiser ce qui serait le parlement local, la curiosité qui ferait venir les touristes et s’arrêter les adeptes de la Loire à vélo. C’est le gamin qui lui glissa la solution à l’oreille. Sa suggestion fut retenue. Quelques temps plus tard, on dévoila une plaque sous les accords de l’harmonie municipale à qui ce jour-là, précisément, on pardonna aisément ses quelques errements habituels. 

« L’amarre aux canards » provoqua un immense éclat de rire tandis qu’en dessous, figurait en plus petit cette indication : « Autrefois, nommée la Cancanerie ». Tout le monde était content et on fit longtemps des gorges chaudes à propos de cette affaire. Aujourd’hui, les vieilles dames s’en sont allées, les bancs accueillent toujours ceux qui ont à causer du temps, de l’amour, des ragots du bourg ou de la Loire. C’est ainsi que la ville s’écoule douce et heureuse en bord de rivière.

Palabrement leur.

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10 réactions


  • juluch juluch 3 février 2021 16:08

    Dans mon village de l’Hérault il y avait deux endroits pour se retrouver :

    pour les jeunes sous un porche, pour les Anciens un banc juste à coté qui donnait droit sur le chemin menant au village ..... le lieu idéal !


  • Jjanloup Jjanloup 3 février 2021 16:28

    Délicieux instants de vie...


  • Passante Passante 3 février 2021 16:48

    tenez, je vous ai bien dégagé votre anneau d’amarrage

    (que vous aviez oublié dans les herbes) :

    « Il se trouve qu’il Y avait précisément là... » 


  • troletbuse troletbuse 3 février 2021 17:44

    Comme à l’Elysée, non ?


  • troletbuse troletbuse 3 février 2021 17:50

    J’ai connu vaguement le lavoir ? J’étais alors trop jeune. C’était le journal du coin.

    Ca n’a guère changé. Aujourd’hui, ls merdias télés et torchons reprennent toutes les histoires insignifiantes, chats et chiens perdus, (on ne peut plus dire poules écrasés, il n’y en a plus et même sur le trottoir, c’est interdit  smiley

    Ca ne sert à rien mais ca comble et ca leur évite un peu de mentir.


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