mercredi 8 février 2023 - par C’est Nabum

Le piano et les casseroles

 Les dilemmes du marmiton.

 Un marmiton à l'oreille musicale se prenant pour un maître queux se toqua un jour, de mener à la baguette tout son monde. La chose est d'autant plus surprenante que las d'entendre parler de l'accord des mets et des vins, il entendit pousser le bouchon plus loin. Pourquoi ne pas jouer des notes dans une cuisine plurielle plutôt que de se contenter, singulièrement, de présenter la note à ses convives ?

Il entreprit de chercher toute la gamme des possibles pour que son repas fut une partition dans laquelle personne ne manquerait à l'appel. Il pensa que le dos de cabillaud ferait fort belle ouverture, une mise en bouche qui ne se ferait pas tirer l'oreille. La crème et les épices se mettront au diapason afin d'ouvrir l'appétit et son concert.

La raie prendrait la suite. En toute logique avec un filet de citron pour éclaircir la voix et quelques câpres en guise de ponctuation. Il se doutait que cette montée chromatique allait lui mettre à dos les végétariens, son ambition ne tendait pas à l'universalité. Ce propos n'était pas dans ses cordes.

Pour saucer, il se résolut à faire le sacrifice de la croûte. La peinture serait au menu de son prochain repas. Il n'entendait pas mêler tous les arts. La mie suffirait à apporter une nouvelle touche qui favorisait son dessein. Il se réjouit de sa trouvaille. L'homme se contentait de peu, nous devons bien l'admettre.

C'est alors que le Fa se plaça en travers de son chemin. Il ne voyait rien qui eut pu faire l'affaire. Fort heureusement, du côté de Saint Amour, un viticulteur vint lui sauver la mise puisqu'il avait baptisé son vignoble : Domaine de Fa. Il suffisait de mettre en musique sa production d'autant qu'elle était biologique et courrait sur trois appellations. Seule ombre au tableau pour un cuisinier, les propriétaires se nomment Graillot, il conviendra de surveiller les cuissons.

La note suivante s'imposa d'elle-même. Une fois encore, sa clef ouvrait vers la mer et la Sole se fit meunière pour garder un peu les pieds sur terre. Il buvait du petit lait, son projet avançait à grand pas quand le La se mit en travers de la gorge. Que pouvait-il sortir de sa toque pour sauver la face.

La chimie vint à son secours. Ce qui n'est pas toujours fameux en matière de cuisine. Le Lanthane, ce métal gris argenté dont le La est le symbole chimique. Il découvrit qu'on en faisait les pierres à briquet et se résolut, en guise de pirouette, de préparer un plat flambé. Il n'avait que l'embarras du choix.

Pour la suite de son projet, il remit les pieds dans l'eau de mer, en allant chercher le poisson Scie. L'orthographe devait se plier à son initiative, il se faisait chef d'orchestre de sa brigade sans leur réclamer d'écrire convenablement les mets. Il entendait diriger un orchestre de cuisine et non de chambre ou d'académie.

Il fallait conclure sa montée musicale qui était désormais à sa portée en trouvant un autre do. La lecture de Cailloute le tira d'affaire puisqu'en Loire, on mangeait seulement le dos de chevesne, ce poisson d'eau douce aux trop nombreuses arrêtes. Il finirait par une matelote en guise d'apothéose même si son menu n'était guère équilibré.

C'est alors qu'il eut une soudaine inspiration. Il lui fallait honorer un grand compositeur, lui qui n'était qu'un modeste marmiton. Il abandonna son idée de matelote pour se tourner vers un plat qui fait honneur à la gastronomie tricolore. Il finirait par un Tournedos Rossini, une forme de symbiose parfaite entre la musique et la gourmandise.

Quand il se mit au piano pour mettre en musique son repas, il entendit chanter une casserole en inox sur le feu. Mais qu'elle ne fut pas son désappointement : elle sifflait faux. Son projet allait tomber à l'eau quand il se souvint qu'il pouvait faire appel aux cuivres, préférables de très loin à tous les autres instruments. Il venait de sauver la face et notre chef se mit à la baguette pour enchanter tous ses convives.

À contre-feu.

JPEG



6 réactions


Réagir