mercredi 23 septembre 2020 - par nemo3637

O.A.S. SUR RIO GRANDE

Le petit récit qui va suivre ne fait certes pas partie des grands souvenirs, des épisodes les plus dramatiques de ma vie. D'autres aventures où furent sauvés des enfants de la maladie, des Indiensdu mauvais sort, ne pourraient-elles pas faire l'objet d'une narration où je serais un peu le héros ? Nemo a du mal à se mettre en scène. ..

Je préfère me distraire aujourd'hui, me rappeler ce qui aujourd'hui peut faire sourire

Mon défaut de visa en règle auquel s'ajoutait une certaine maladresse quant à ma tentative de corruption m'avait valu un week-end en prison à Ciudad Juarez. Mais ces braves douaniers mexicains, après m'avoir soulagé des deux tiers de mes dollars, s'étaient finalement résolus à me libérer. La liberté ainsi retrouvée était toute relative. J'étais prévenu par le chef du poste que dans cette ville franche je pourrais très bien me faire de nouveau arrêter et que cette fois...

Le « jeu » de nombre de policiers mexicains consistait à arrêter des « gringos », pour faire chanter les familles états-uniennes, en les entrainant dans des procédures couteuses où l'on était obligé d'employer des avocats véreux. Faire cracher un maximum d'argent le plus longtemps possible, tel était l'objectif. Leur incarcération injustifiée durait ainsi des années.

J'aurai dû ne pas en mener large mais j'étais jeune, innocent, effronté...et français. C'est ce « détail » qui allait me sauver la mise. Car à cette époque là, à l'étonnement de mes interlocuteurs, en plus de ma langue maternelle, je ne parlais qu'espagnol, à peine anglais, encore moins le mélange de patois espagnol-nord-américain pratiqué sur la frontière.

Faire chanter ma famille ? Les malheureux flics mexicains s'acharnèrent un bon bout de temps il est vrai, sur une grande carte des Etats-Unis pour tenter sans succès de repérer un « état » dénommé « France ». Peu à peu de multiples indices dissipaient leurs derniers espoirs. Hélas pour eux, je n'étais que menu fretin.

La grille de la prison s'ouvrit donc. Je sortis avec des tapes dans le dos et sans même un coup de pied au cul.

Comment quitter à présent le Mexique sans un rond ou presque ? Rio Grande...Rio Bravo de « l'autre côté » les Rangers attendent...J'avais eu le temps de retourner le problème dans tous les sens.

Rencontrer par exemple un compatriote aurait pu m'aider... Je savais bien qu'un Français haut en couleur habitait Juarez. Cet ancien directeur de l'Alliance, où j'avais moi-même travaillé par la suite, s'adonnant au spiritisme, s'était finalement enfui au bras de la conjointe du secrétaire général des alliances françaises du Mexique... Racontars, légendes...

Je trouvais facilement l'adresse de D., à présent directeur de la « Escuela Americana ». Ce grand type, en plus de la corpulence, avait une autre singularité ; une étrange ressemblance... avec le Général De Gaulle quant à l'accent, l'intonation de la voix. Etonnant ! Dans le patio, à 10 heures ce matin-là, à jeun depuis près de trois jours, on m'accueillais chaleureusement avec un grand verre de whisky que je ne pus avaler

Je dus expliquer ma situation, mon désir de passer la frontière. D. m'écoutais avec sympathie, sans m'interrompre. Quand j'eus fini ce fut à lui de me raconter son itinéraire. Il avait milité au sein de l'OAS et participé à des attentats sanglants qu'il regrettait aujourd'hui. Il avait erré à travers les Etats-Unis pour rejoindre le Mexique en 1964, au moment du voyage du Général De Gaulle. Et là il avait obtenu son amnistie...Tout en me racontant son histoire il regardait son verre déjà bien entamé. « Si le seul rein qu'il me reste vient à lâcher je sais ce qu'il reste à faire... » Bravade ?..

    • Nous ne sommes pas du même bord...

    • Je le comprend et cette cause n'est plus la mienne admit-il. Mais tu vas avoir bientôt l'occasion de rejoindre El Paso...

Dans ma situation pouvais-je me payer le luxe d’une controverse ?

    • Demain soir, comme chaque mois, j'organise une petite soirée où j'ai invité toutes mes amie spirites américaines. Nous faisons tourner les tables... - Eh oui il faut savoir mettre un peu de beurre dans les épinards..- et elles s'en retournent chez elles le soir même. Et là ce sera à toi de jouer...

Le lendemain, je devais avant tout assister à un cours de français donné par Monsieur le Directeur à ses élèves de la « Alianza americana ». Il y tenait absolument. Je fus donc présenté aux élèves comme étant moi-même un « professeur ». Et le cours débuta sur l’instant. Je remarquais sur chaque table un exemplaire de la méthode « assimil ». Et D. lisait un passage de dialogue à voix forte :

- Garçon, un café s’il vous plait !

Et le choeur des élèves de reprendre, avec une tonalité hispanophone qui répondait donc de façon fantastique à l’ordre gaullien :

- Garçon, oune café s’il vous plait !

Et d’enchaîner :

- Et bien chaud !

Auquel les élèves se firent évidemment l’écho :

- Et bien chaud !

D. semblait fier de lui. Il se tourna vers moi pour recevoir mon acquiescement. Devant cette désarmante démonstration je ne pouvais énoncer qu’approbation et compliments.

Le repas du soir, arrosé de vins français, fut pantagruélique. Mais j’étais jeune et toujours affamé. Les convives américaines semblaient avoir elles aussi des envies des plus variées. Ma voisine, une grande femme blonde aux allures décidées, parlait, parait-il, quand elle était en transes, sous l’égide de D., le « french baron », des langues inconnues. Sa main gauche attaqua sous la table mon genou droit par un massage de plus en plus résolu.

- You’re french…so french.

D. en face de moi m’encourageait en français gaullien :

- C’est dans la poche. Allez ! du doigté et bon voyage !

La soirée se termina à une heure convenable. J’étais sous tension, sous l’emprise d’une grande Américaine éméchée, ingénieur à El Paso, qui se faisait fort de me faire passer la frontière pour me réserver ensuite, chez elle, un sort attendu. Vers 11 heures du soir, la police des frontières américaine, vit donc débouler une dame au pas mal assuré, presque tonitruante, avec un type qui la suivait timidement, sac à dos et cheveux longs.

- I’m with my friend . He’s french and dont make him in trouble !

Les flics Texans la regardèrent d’un air entendu, avec un brin de commisération. Elle devait être connue. Mais dans la foulée, j’obtins, sur mon passeport le coup de tampon tant attendu qui valait donc visa d’entrée. J’étais aux anges…- et aux Etats-Unis - rassemblant mon énergie pour l’étape suivante à laquelle j’étais, semble-t-il, convié…

Continuer ici le récit ne serait-il pas ouvrir un nouveau chapitre ?.

Quant à D. il était entendu que toute relation ultérieure était inconcevable. Cependant une étrange rencontre tout à fait improbable, une dizaine d’années plus tard, dans les Pyrénées, si lointaines du Mexique, m’apprit qu’il avait lui-même mis fin à ses jours tel que prédit. Asi es.

 



2 réactions


  • leypanou 23 septembre 2020 13:08

    Merci pour cet article intéressant : rien ne vaut une expérience à l’étranger, surtout avec une rencontre avec un baroudeur.

    On voit aussi que la légalité est toujours à géométrie variable : l’écosystème de l’environnement est supérieur à toutes les lois écrites et pour quelqu’un de borné, c’est très déroutant.


  • nemo3637 nemo3637 23 septembre 2020 21:12

    Merci pour ton intérêt, pour tes réflexions ..

    Il faut quand même savoir se méfier des « baroudeurs » grande gueule qui veulent toujours nous « en mettre plein la vue ». Comme dans la chanson « je suis un aventurier » de Jacques Dutronc...


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