jeudi 23 mai - par C’est Nabum

Pirate d’eau douce

 

Flibustiers de rivière.

 

Si marin d'eau douce fleure bon son mépris souverain pour la navigation fluviale, son équivalent avec le vocable Pirate n'a pas connu le moindre écho. Pourtant, c'est bien en rivière que débuta l'aventure périlleuse et déplorable de ce banditisme aqueux aux multiples vicissitudes. Jetons nous à l'eau pour examiner cette curieuse pratique.

Tandis que les chauffeurs, écorcheurs et coquillards tous gens de mauvaises compagnies semaient l'effroi dans les campagnes, d'autres mercenaires et gens d'armes mis à pied par la fin des conflits se mirent en tête de devenir des bandits de grands bassins. Leurs collègues écumaient les routes qui au fil de leurs exactions cessèrent d'être empruntées par les marchandises.

En dépit des difficultés liées à la navigation, les fleuves étaient un havre de paix tant s'en prendre à un bateau au milieu de l'eau exigeait bien un savoir-faire et une logistique qui ne pouvaient convenir à des amateurs. La piraterie fluviale demandant une stratégie de pointe et une logistique de qualité pour disparaître dans la nature, le mauvais coup consommé.

Mais plus encore pour nos lascars, il n'importait pas de frapper au hasard. Il convenait de frapper en connaissance de cause, de ne pas se tromper de cible et donc de disposer d'un réseau de mouchards et de mouches pour repérer la bonne cible, celle qui allait rapporter gros sans se trouver à devoir écouler le résultat du larcin aqueux.

Plus compliqué encore, l'art et la manière de s'afistoler pour se fondre dans la nature. Si sur l'eau salée, les pirates pouvaient se parer de vêtures effrayantes de nature à semer l'effroi rien qu'à la vue du drapeau noir et de leurs mines patibulaires, mais là, rien de tout ce folklore ne pouvait être de mise. Sur terre, leur allure eut alarmé les culs-terreux, déjà fort sourcilleux à la vue d'un étranger à la contrée.

Passer inaperçu n'est pas chose aisée pour qui se sait dans le collimateur des forces de l'ordre. Celui qui est sur le qui-vive ne peut avoir cet air détaché de celui qui n'a rien à se reprocher. Cet art de la dissimulation et du détachement n'est pas à la portée du premier venu. Le pirate d'eau douce se devait d'être un excellent comédien.

Mais pire encore, notre pirate avait forcément sur la conscience des crimes de sang. Contrairement au grand Océan qui ensevelissait les victimes de l'abordage ou les pauvres hères abandonnés à leur sort au milieu des flots, sur un navire ingouvernable désormais, la rivière suppose de ne pas laisser de spectateurs, ceci vaut sur le théâtre des opérations comme à sa proximité si par inadvertance, un quidam venait à se faire contre sa volonté, témoin de l'opération.

Fort de toutes ces difficultés, nombre de candidats à ce glorieux rôle de la flibuste renonçaient à passer à l'acte d'autant que la corde de chambre leur pendait au nez. Seule une petite élite de têtes brûlées, de trompe la mort et de gibier de potence pouvait se lancer dans une aventure à l'issue plus que probable. La glorieuse incertitude du brigandage de haut vol relevant alors de statistiques proches de zéro.

Devenir pirate d'eau douce était donc une option qui ne pouvait concerner que les candidats au suicide, assisté ou non. Dans ce contexte, ils méritent qu'on leur tire notre chapeau en dépit du cortège funeste qui les accompagne. Compagnons de la mort, ils étaient eux-mêmes les meilleurs assistants de la camarde, lui fournissant un lot conséquent de pauvres types qui devançaient l'appel par leurs interventions intempestives.

Voici le tableau dressé. N'attendez pas de moi que je vous informe des moyens d'action de nos mauvais diables. Je ne voudrais pas me faire leur complice ou pire encore, provoquer parmi les lecteurs des candidats à une reconversion qu'ils jugeraient lucrative. Même s'il n'y a plus guère de marchandises qui transitent sur nos rivières, la navigation de loisirs offre de belles perspectives à qui voudrait se refaire la cerise dans ce petit métier d'avenir.

Ceux qui prendraient au premier degré ce libelle aqueux risque fort de se saborder eux-mêmes. Rien n'est ici à prendre à la lettre de cachet. Mettre à prix une mauvaise tête n'a guère d'intérêt. Bon vent à tous.



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