Place Saint-Marc
La Croix-des-Chauffauds.
Tandis qu'à Rome, les fidèles se massent pour saluer le nouveau pape, il est peu probable que la petite place Saint Marc d'Orléans, suscite autant de ferveur. Il est vrai qu'elle n'est comparable ni par la taille ni par son ancienne destination, qui du reste a de quoi faire perdre la tête aux historiens et adeptes des archives.
Pourquoi diantre cet emplacement fut-il choisi, à l'écart du cœur de la cité, pour y exécuter les basses besognes pourvu que celles-ci ne concernent pas des condamnés illustres ou de haut rang. Le bas peuple en ce temps lointain, même pour sa dernière représentation, se voyait privé des grandes scènes locales. Une habitude qui perdure, semble-t-il !
Qui avait de l'entregent, une noble naissance ou une conscience plus noire encore que le commun des canailles, se trouvait honoré comme il se doit sur la place des martyres. Une sortie en grande pompe qui vous permet de compléter en apothéose un curriculum vitae qui vous ouvre plus aisément les portes de l'enfer. C'était encore la garantie d'attirer la foule et de garnir copieusement un chapeau dont l'usage devenait des plus incertains.
Pour d'autres lascars de seconde zone, la place de la prévôté proposait ses gibets avec vue sur Loire, dans cette basse ville qui faisait prendre de la hauteur à quelques gibiers de potence qui venaient ici se balancer pour leur dernier saut dans l'inconnu. Un spectacle également prisé par le bon peuple, toujours avide de sensations fortes, pourvu que d'autres se chargent de l'animation.
Mais fichtre, qu'allaient donc faire les gueux qui tiraient leur révérence sur cette place de la Croix-Chauffauds dans le prolongement de la Fosse au diable (Nom ancien de la rue qui la prolonge) ? Elle donne sur une rue mal commode pour accueillir un large public d'autant qu'avec sa configuration, bien peu de spectateurs pouvaient jouir de la vue imprenable. C'est sans doute un choix qui cherche à limiter l'audience pour priver la vedette d'une sortie honorable. Quelle misère !
De plus elle donne sur les clos vignerons, ce qui confirme que parfois les choses pouvaient tourner vinaigre dans ce territoire, jadis béni des dieux. Seuls les suppliciés de l'automne pouvaient se dire qu'un petit vent d'ange accompagnerait leur dernier voyage. Une mince consolation pour qui boit ainsi le calice jusqu'à la lie.
Quant au nom de l'ultime croix qui accompagnait leur voyage : « Croix des Chauffauds » est-elle une déformation d'échafaud ? On s'interroge dans le quartier d'autant plus qu'un appel à documents et témoignages a été lancé dans la presse locale par les membres d'Orléans proximité. C'est ainsi qu'ils m’apprennent que cette place portait ce curieux nom jusqu'en 1884.
Nous y découvrons encore que les criminels dès le XII e siècle y furent exécutés et exposés ce qui élimine la seule présence de la fameuse guillotine. Il y a de quoi perdre la tête malgré tout sur cette absence de traces pour un sujet qui habituellement défraie allégrement les chroniques et les témoignages.
Une piste lexicale cependant peut nous mener non sur la piste du crime mais sur l'origine du nom. En vieux « françois », un chaffaut était une estrade sur laquelle certains rendaient contre leur gré leur dernier soupir. Le mot devint échafaud, perdant alors son doublement de la consonne F. Les fameuses croix Chaffauds purent marquer à l'origine une fortification en bois de type tour de défense : fala, mot qui donna également catafalque.
On peut ainsi se persuader que tout ceci conduit indubitablement à la destination tragique de cette petite place, qui pour cesser de faire froid dans le dos, est depuis quelques années, fort agréablement fleurie et décorée.