lundi 22 novembre 2010 - par Taupo

Quand les dragons des mers dansent

En ce début de semaine, je vais essayer de vous accompagner tendrement dans cette sortie de week-end en vous enchantant avec de belles images sous-marines… Et puis puisqu’on est lundi, je vais brusquement vous ramener les pieds sur terre, en brutalisant votre conception féérique de la nature !

Parlons donc poiscaille :

Dans la famille des Syngnathidés, on peut trouver les fameux hippocampes, les vipères de mer et les sublimes dragons des mers. Et si, dans la famille des Syngnathidé, on demande le papa, on se retrouvera souvent surpris de voir débarquer un poisson au bidon plein de petits bébés : une inversion des rôles fait que les mâles incubent les œufs que la femelle aura déposé dans une poche située sur le tronc pour les hippocampes, ou dans la partie ventrale de la queue pour les vipères de mer et les dragons des mers.

Il existe deux espèces que l’on nomme dragons des mers, mais qui appartiennent à des genres différents : Le dragon des mers commun qui vit parmi les algues Phyllopteryx taeniolatus (plus haut) et le dragon des mers feuillu Phycodurus eques que voici :

 

Phycodurus eques

 

Ces deux espèces sont caractérisées par leur grande taille (de 30 à 45cm de long) et les multiples appendices qui leur permet, à l’aide du mimétisme, de se cacher dans leur environnement en se faisant passer pour des algues plus ou moins feuillues. Les œufs que la femelles va déposer dans la poche de couvée du mâle seront fécondés par ce dernier, et se développeront, en passant par chacun des stades suivants, jusqu’à éclore lorsqu’ils seront capables de nager de leurs propres nageoires.

 

Etapes de développement de Phyllopteryx taeniolatus, Forsgren K, Lowe C, 2006

 

Mais ce qu’il y a de plus charmant dans cette histoire, c’est la danse nuptiale qu’effectuent les dragons des mers avant de s’unir dans le crépuscule des eaux peu profondes au large de l’Australie.

 

 

Transcription :

C’est le début du printemps. La saison durant laquelle les dragons des mers entament leur période nuptiale. Et dans la lumière crépusculaire, ils commencent à danser. Dans ce duo gracieux, chacun imite les actions de son partenaire. Les ténèbres vont bientôt englober le couple, mais ils continueront à danser, durant le reste de la nuit. Deux mois ont passé, et le résultat de leur danse nuptiale est dévoilé. C’est le mâle, et c’est lui porte les œufs, en grappes incrustées dans sa queue. Durant leur nuit d’amour, la femelle lui a transféré ses œufs et dès lors, le mâle, seul, s’en est occupé. En les portant sur lui, il les a protégé. Et maintenant, il est temps que ses efforts soient récompensés. Les œufs sont prêts à éclore. Durant un matin calme d’été, un bébé dragon, avec son jaune d’œuf toujours attaché, est né. Le lit d’algue abrite des dragons juvéniles qui sont déjà capables de se nourrir seuls. Malgré la protection de leur père durant leur développement, ils doivent maintenant se débrouiller sans son aide.

 

Oh la la, comme c’est tout mimi ! Les papas Syngnathidés, c’est vraiment les plus chics de tous les papas !

Ouais ben pas si vite les amis. J’vous rappelle que quand il est question de se reproduire, c’est le moment pour les partenaires de sortir leurs dards ou son pénis épineux, de se préparer à bouffer leur amant ou bien de dégainer son sexe en tire bouchon pour enfiler le vagin labyrinthique de madame !

 

Il est temps en effet d’égratigner à jamais l’image idyllique du papa hippocampe, et de vous présenter les sombres recoins de leurs poches de couvée !

 

 

Transcription :

La grossesse masculine : le côté obscur.

Je pense qu’on a toujours cru qu’ils représentaient les meilleurs pères du royaume animal, car ils portent les œufs, ils s’occupent de leur croissance. Mais ce que montre notre étude, c’est qu’il y a un côté obscur à cette histoire. La plupart des poissons, comme ceux qu’on voit ici dans l’aquarium de Londres, se reproduisent de manière traditionnelle : les mâles produisent beaucoup de sperme, qui est peu couteux en terme énergétique, et les femelles produisent quelques œufs qui sont plus couteux à produire. Et cela signifie que les femelles sont plus difficiles en ce qui concerne le choix de son partenaire. Les hippocampes et les vipères des mers sont uniques dans le sens où il y a un renversement complet de la situation, et c’est le mâle qui devient pointilleux car ils incubent les œufs. Ils sont enceints. Et c’est l’unique cas de grossesse masculine qu’on connaisse.

La grossesse masculine chez les Syngnathidés, décrit le phénomène où les mâles hippocampes ou vipères des mers (et les dragons des mers bien sûr) portent leur progéniture dans une poche à couvée, qui est une chambre à l’extérieur de leurs corps. Les femelles transfèrent leurs œufs dans cette poche durant la copulation, et le mâle va alors fertiliser les œufs qui se trouvent dans leur poche. Puis les mâles vont porter les œufs jusqu’au terme de leurs développement, et enfin, après quelques semaines, ils naissent sous forme de juvéniles capable de nager d’eux même.

Quand Kimberly et Adam ont observé le syngnathidé Syngnathus scovelli, ils voulaient savoir à quel point le mâle contrôlait la situation. Est-ce que la poche à couvée est simplement une chambre dans laquelle on peut placer les bébés jusqu’à la fin de leur développement, ou bien est-ce qu’elle permet d’avoir un rôle plus actif dans la reproduction, et peut-être plus sinistre ?

La recherche sur la sélection sexuelle devient de plus en plus important dans la Biologie Evolutive. Cela devient à vrai dire, un sujet très en vogue. Darwin s’est rendu compte à quelle point son rôle était important dans le cadre de la sélection naturelle, et a compris qu’en plus du concept commun où un individu adapté à son environnement va survivre et réussir préférentiellement à se reproduire, il y avait également des relations complexes entre les sexes car les mâles et les femelles s’investissent différemment dans leur progéniture.

Quand Darwin a proposé sa théorie sur la sélection sexuelle, il s’est consacré exclusivement sur la sélection précédant la copulation. Il parlait alors des choix ayant lieu avant la copulation avec par exemple les combats entre mâles qui précèdent l’accès aux femelles. L’idée c’est que les mâles entrent en compétition pour avoir accès aux femelles, ce qui va entraîner l’évolution des bois chez les rennes, ou la roue du paon, ce genre d’exemples classiques du résultat que peut entrainer la sélection sexuelle. Mais il y a une partie que Darwin n’a pas exploré, et il s’agit de la sélection sexuelle ayant lieu après la copulation, car il s’avère qu’après la reproduction, il y a des évènements qui peuvent encore avoir lieu dans les voies génitales femelles, ou de la compétition entre les spermatozoïdes appartenant à des mâles différents, qui génèrent également de la sélection sexuelle. C’est ce que nous essayons d’étudier. Il s’avère donc que la sélection sexuelle post-copulatoire a été très peu étudiée chez les espèces où une inversion des rôles entre mâles et femelles a eu lieu.

On trouve notre espèce de vipère de mer dans le golfe du Mexique, particulièrement dans les mers peu profondes qui abondent en colonies d’algues. Ils sont finalement très faciles à capturer parce qu’ils y s’y trouvent en abondance et qu’ils ne sont pas de très bons nageurs. Ce qui fait qu’on peut capturer beaucoup de poissons, les rapatrier dans le laboratoire, et les étudier directement dans le laboratoire.

Syngnathus scovelli représente un excellent organisme modèle pour ce genre d’expériences, car on peut observer les œufs à travers la poche, et ce durant la totalité de la grossesse.

Vous pouvez voir ici sa tête, sa poche se trouve en bas, ici, et on peut séparer ces deux rabats sous lesquels les œufs se retrouveront durant la grossesse.

Pour cette étude, ce que nous avons fait, c’est que nous avons poussé la copulation d’un mâle avec une femelle. Nous avons choisis des femelles soit grandes soit petites, pour chaque mâle.

Si une femelle réussit à copuler avec un mâle, elles doivent transférer ses œufs dans la poche de couvée de ce mâle, et espérer ensuite que ce mâle investisse l’énergie nécessaire à ce que les œufs se développent pour survivre.

Une fois que nous avons constaté que la reproduction a eu lieu, nous avons observé la poche de couvée, à l’aide d’un microscope et d’une caméra, et pris des photos de la poche au début, à mi-terme et à la fin de la grossesse.

Alors voici un œuf juste après que la femelle l’ait transféré. Il est jaune maintenant, mais il devrait être orange-rouge à l’origine. Puis une semaine plus tard vous obtenez cette étape-ci, qui est relativement petit encore, et à cette étape, l’embryon devrait encore avoir du jaune d’œuf attaché, mais il s’est détaché sur ce spécimen. Et ici vous avez un embryon prêt à naître, et il est plus grand, son museau et ses yeux sont plus larges, et il est prêt à être un juvénile autonome.

La poche de couvée est transparente, et les œufs sont assez larges, donc on peut prendre la poche en photo juste après le transfert, et les suivre tout au long de la grossesse. et on peut savoir pour chacun des œufs, s’il a donné une progéniture à la fin de la grossesse.

Mais ce que l’on observe également, ce sont des œufs qui ne se développent jamais à terme. Ils ne présenteront pas les étapes de développement traditionnels, et vont plutôt se ratatiner et changer de couleur durant la grossesse.

Une fois que le mâle a fini sa première grossesse, on re-forcait une copulation avec une femelle soit grande, soit petite, et réalisait la même expérience. On pouvait alors comparer les résultats de la première grossesse avec celles de la seconde.

Je pense qu’on a toujours considéré la poche de couvée comme une structure ayant évolué afin de couver la progéniture ce qui a entrainé l’idée qu’il s’agit des meilleurs papas du royaume animal, parce qu’ils ont des grossesses, qu’ils couvent leurs enfants, ils transfèrent des nutriments et offrent une protection à cette progéniture. Mais ce que montre notre étude, c’est que c’est ce qui peut arriver la plupart du temps, mais que parfois, il s’avère que le mâle va économiser de ses propres ressources et ne pas la dépenser à certains des œufs qu’il porte, et certains de nos résultats suggèrent même que les mâles peuvent même absorber les ressources contenues dans les œufs transférés par la femelle. Et donc, cela suggère qu’il existe un second rôle pour la poche de couvée et qu’au lieu de n’être que cette structure parfaite pour la couvée, elle possède également un côté obscur.

Imaginez un mâle qui copule avec une femelle, il n’en trouve pas beaucoup, alors il trouve une petite femelle, qui n’est pas si attirante, mais qui est la seule alentour…

Alors le mâle qui va accueillir les œufs de cette femelle peu attractive, il ne va pas en fait investir dans cette couvée, mais finalement recharger ses batteries pour la prochaine grossesse, et c’est en tout cas ce que suggère nos résultats. Il va donc plutôt choisir de ne pas investir ou de pomper les nutriments de cette couvée, pour pouvoir être prêt lorsqu’il rencontrera une femelle plus attirante, avec laquelle il investira plein pôt pour aboutir à une couvée en pleine forme.

Je pense que nous sommes en train de faire disparaitre une lacune, car il est assez important de remarquer que Darwin oublié de considérer la sélection sexuelle post copulatoire. Il y a des choses très importantes qui arrivent après la copulation, des évènements qu’on ne comprend pas encore très bien.

Je travaille avec de nombreux articles sur la sélection sexuelle, et je trouve que cet article est particulièrement classe parce qu’il repousse l’idée que l’important soit qu’un individu soit mâle ou femelle pour jouer un rôle dans la sélection sexuelle, l’important ce n’est pas le genre, et cette étude le montre de manière admirable en retrouvant les mêmes types de sélection mais dans un système où les rôles sont inversés, retrouvant les conclusions que Darwin a soulignées il y a 150 ans, et c’est une conclusion très satisfaisante.

 

Alors mesdemoiselles, la prochaine fois qu’un mec vous dit qu’il adorerait être un hippocampe pour prendre soin de votre futur bébé, méfiez-vous : C’est peut être son casse croûte avant d’élever les triplés qu’il aura avec une top-modèle…

 

Liens :

Article Not Exactly Rocket Science (et 2)

Article Laelaps

 

Référence :

Forsgren K, Lowe C : The life history of weedy seadragons, Phyllopteryx taeniolatus (Teleostei : Syngnathidae). Marine and Freshwater Research 2006, 57:313-322.

Paczolt, K., & Jones, A. (2010). Post-copulatory sexual selection and sexual conflict in the evolution of male pregnancy Nature, 464 (7287), 401-404 DOI : 10.1038/nature08861


6 réactions


  • Gollum Gollum 22 novembre 2010 11:37

    Magnifiques vidéos. Je ne loupe jamais vos textes, parmi les seuls vraiment intéressants sur Av. (Oui, je sais, je suis sans pitié.. 90% d’Av est bon pour la poubelle) Merci encore.


    • asterix asterix 22 novembre 2010 19:27

      Z’êtes un marrant, vous ! Pourriez-vous me dire dans quoi vous vous êtes recyclé ? 


  • LE CHAT LE CHAT 22 novembre 2010 13:23

    sublimes vidéos et très bon article , merci à Taupo toujours aussi bon !


  • alberto alberto 22 novembre 2010 13:56

    Jolies images !

    Quant à la conclusion de l’auteur, attention : des mecs aussi perfides que les gonzesses, ça n’existe que chez les hippocampes, chez les humains c’est le contraire ! Enfin en général...

    Bien à vous.


  • Annie 22 novembre 2010 18:40

    J’aimerai savoir s’il y a un nom pour les males enceints, afin de ne pas répéter mon erreur avec les escargots, même si les hyppocampes présentent l’unique cas de grossesse masculine.
    Une chose que je ne comprends pas : les hyppocampes sont-ils obligés de copuler ? (la question pourra sembler bête pour certains..)
    Ne peuvent-ils pas attendre pour cela de rencontrer une jolie hyppocampe ?
    Les photos sont sublimes comme d’habitude. J’ai particulièrement apprécié la danse nuptiale, qui m’a rappelé Fantasia, mais en nettement supérieur, comme quoi la fiction ne rattrape jamais la réalité.


  • Hieronymus Hieronymus 22 novembre 2010 22:35

    magnifique !
    les hippocampes ont toujours ete des creatures de reve ..
    on a pas fini de s’interroger sur le mystere de l’incroyable beaute de nombreuses especes animales, celle ci ne peut aucunement s’expliquer pour des raisons de selection naturelle, au contraire !
    cette beaute et cette grace, c’est completement superfaitatoire ds le monde vivant ..
    cela ne correspond a aucun critere d’utilite ni de survie, c’est une sorte de pure magie !


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