mercredi 15 mars 2006 - par Christian Le Meut

Réconciliation kanak

Des événements historiques étonnants se déroulent parfois loin des médias, et c’est tant mieux. C’est même un gage de leur réussite, comme cet exemple de réconciliation au sein du peuple kanak.

Il y a dix-huit ans, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. A Ouvéa, une petite île de l’archipel, la gendarmerie fut investie par des militants kanaks*. Ce n’était pas la première fois mais, cette fois-là, les choses tournèrent très mal et quatre gendarmes furent tués. Les militants kanaks emmenèrent les gendarmes restants, avec eux, dans la forêt d’Ouvéa jusqu’à la grotte de Gossanah, très vite encerclée par l’armée française.


Nous étions entre les deux tours des élections présidentielles. Le président de l’époque, François Mitterrand, y affrontait le Premier ministre, un certain Jacques Chirac... L’assaut fut donné à la grotte juste avant le second tour des élections. Les 21 membres du commando kanak et deux militaires furent tués.

Les accords de Matignon
Les événements se détérioraient, mais la réélection du président Mitterrand permit à un nouveau gouvernement de se mettre en place, avec Michel Rocard à sa tête. Une politique active de négociation entre les différentes parties permit la signature des accords de Matignon entre les leaders de la communauté blanche caldoche, Jacques Lafleur à leur tête, et les leaders de la communauté kanak menés par Jean-Marie Tjibaou et Yéweiné Yéweiné. Un référendum fut convoqué par le gouvernement Rocard pour approuver les accords de Matignon. A cette occasion, Tjibaou et Yéweiné tinrent plusieurs meetings en France. Les accords approuvés, la paix civile revint en Nouvelle-Calédonie et, en 2006, les accords de Matignon y sont toujours appliqués. Cet archipel prendra un jour peut-être son indépendance, si la majorité de sa population en est d’accord.

En mai 1989, les deux leaders kanaks se rendirent sur l’île d’Ouvéa pour rendre hommage aux hommes tombés un an auparavant. Ils y furent tués par chef de tribu local, Djubelli Wéa. On ignore les motivations exactes de ce crime, puisque Wéa fut tué sur le champ par un policier kanak, Daniel Fisdiépas, garde du corps des leaders kanaks. Depuis, il est devenu maire de Hienghène.

"Peut-être, pourquoi pas ?"
Histoire cruelle... Mais la suite se trouve dans la dernière livraison du trimestriel Alternatives non-violentes. Quelques années plus tard, les deux veuves des leaders assassinés, Marie-Claude Tjibaou et Hnadrune Yéweiné, furent approchées par la famille Wéa : “Ne pourrions-nous pas nous réconcilier ?”. “Peut-être, pourquoi pas ?”, répondirent les deux femmes, sans se concerter. Mais il fallut du temps, des réunions, le soutien des églises de Nouvelle-Calédonie, et de communes aussi, pour commencer à faire le lent travail de pardon. Comment pardonner le meurtre du mari, du père, du frère ? La famille Wéa devait, quant à elle, affronter la honte et la mise au ban. Le pardon implique des centaines de personnes.

Mais Marie-Claude Tjbaou et Hnadrune Yéweiné mirent des conditions : que tous leurs enfants acceptent la démarche ; que tout se passe sans télévision, sans enregistrement, sans présence de responsables politiques. Pas par rejet de la politique : “C’est une affaire de famille, pas de politique”, raconte Jean-Baptiste Libouban, un témoin de ce processus, dans la revue Alternatives non-violentes...

Détour par le Larzac
Le processus aboutit, et voici les trois veuves ensemble, en juin 2005, sur le plateau du Larzac, pour une cérémonie de réconciliation, en présence de Daniel Fisdiépas. Pourquoi le Larzac ? Une “caselle”, petite construction en pierres sèches, y avait été donnée au peuple kanak, dans les années 1980. C’est dans cet endroit symbolique qu’a eu lieu la réconciliation des trois veuves, Marie-Claude Tjibaou, Hnadrune Yéweiné, et Maneki Wéa, en juin dernier, devant des amis de longue date de la cause kanak : José Bové, Louis Joinet (conseiller de Rocard pendant les accords de Matignon), François Roux, avocat de militants kanaks, Stéphane Hessel, ancien ambassadeur de France...

La réconciliation a eu lieu dans le respect des rites traditionnels kanaks. “Comme les femmes ont accepté la réconciliation, l’histoire va avancer”, écrit Jean-Baptiste Libouban.

Christian Le Meut

* Kanak est invariable.

Alternatives Non-Violentes n°137, centre 308, 82 rue Jeanne d’Arc, 76000 Rouen. Tél 02.35.75.23.44. Ce numéro, consacré au thème de la réconciliation, aborde ce thème sous différents angles : psychologique, avec Isabelle Filliozat (Se réconcilier avec ses parents, c’est possible), historique, avec des exemples (Kosovo, Nouvelle-Calédonie, Afrique du Sud), philosophique (approche d’Emmanuel Lévinas)...
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4 réactions


  • copas (---.---.76.196) 15 mars 2006 19:51

    Beau, Très beau...


  • l1dit (---.---.54.30) 15 mars 2006 20:16

    Je suis ravie pour ces familles, pour ce peuple qui a énormément souffert et qui possède des qualités extraordinaires qui,mises au service du développement, ne pourront que se traduire par un enrichissement de tous . Merci pour votre article.


  • Melie (---.---.100.136) 18 décembre 2006 17:46

    Juste pour info, il est certainement vrai que lors de la rencontre des trois femmes dans le larzac, il n’y avait pas de caméra. Cependant, il y a tout de même le film de Gilles DAGNEAU et Wallès KOTRA « Tjibaou, le pardon » que vous pouvez consulter sur le site RFO nouvelle Calédonie

    http://nouvellecaledonie.rfo.fr/player_video.php3?iddoc=92_93_94_95_&id=95&f=asx&x=g

    Ce documentaire reste pour tout Kanak un exemple à suivre mais aussi le témoignage de ce que représente toute la signification du sens du « PARDON » même si cela est avant tout une affaire de famille.

    Car vous sous apercevrez qu’au travers de ce documentaire, il y aura 2 Pardons celui de la Famille Wéa envers les tjibaou et les Yeiwéné mais aussi celui des Gens de Canala envers Tjibaou.

    D’autre part, je vous signale que du 27 Avril au 30 Avril 2007, Il y aura un Festival du cinéma des Pays du pacifique sud à Rochefort en Charente Maritime. Ce film sera diffusé. smiley


  • regos (---.---.156.36) 13 avril 2007 11:39

    Merci pour ce bel article sur cet episode de la reconcilliation Kanak. Un film a été diffusé il y a plus de 5 ans sur les Accords de Matignon. Les personnages qui interviennent principalement sont Michel Rocard, Christian Blanc et Edgar Pisani. Le film raconte de manière chronologique comment résoudre un conflit impossible. Ce film nous apprend beaucoup plus que le récit d’un événement historique. On découvre que les informations qui arrivent a Paris sont totalement partisanes sans aucune objectivité et surtout qu’il n’y a aucun dialogue possible. Le film raconte l’intuition et le formidable sens politique et humaniste qui a guidé Rocard pour parvenir aux accords de Matignon qui tiennent encore aujourd’hui. Nous apprenons également que les signataires de l’accord sont restés plusieurs jours a négocier a Matignon avec impossibilité de sortir, de telephoner. Tout les opposait, ils ne s’étaient jamais vus et se haissaient mais ils avaient 3 ou 4 jours pour se quitter avec un accord. Depuis que j’ai vu ce film, je vote et j’ai compris que les hommes politiques n’étaient pas tous pourris, ni tous les mêmes.

    Si quelqu’un peut me donner le nom du film, l’auteur, la prod, la chaine de diff ou toute autre info je le remercie infiniement. [email protected]


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