samedi 23 mai 2015 - par C’est Nabum

Terrain vague …

Quand le béton n'avait pas tout mangé

Le dernier espace du jeu libre

Mon enfance était placée sous le signe de la liberté. C'était un temps où il n'y avait rien à craindre vraiment : les enfants évoluaient sous le regard bienveillant de tous les adultes ; chacun s'octroyant éventuellement le droit de recadrer celui qui faisait trop grande bêtise sans risquer, bien au contraire, de recevoir les foudres de parents irascibles et courroucés. Le vivre-ensemble avait encore un sens, la régulation était le lot de tous.

Nous nous retrouvions en bande, non pour tenir les murs mais bien pour profiter des espaces libres qui s'offraient encore à nous. On les nommait alors : « terrains vagues ! », l'appétit des promoteurs n'avait pas tout investi. Nous ne savions pas qu'il nous fallait profiter de ces dernières années de quiétude : les constructions allaient grand train, le béton mangerait bien vite ces merveilleux terrains de jeu.

Le premier endroit que nous avions adopté était au cœur du village : à deux pas derrière l'église et son presbytère, les anciens terrains de basket du patronage nous offraient un merveilleux écrin à l'abri des regards et des adultes. Nous y disposions de deux terrains de terre battue, enclavés derrière de hauts murs et un rideau d'arbres. Nous pouvions y faire tout le bruit que nous voulions sans déranger quiconque à l'exception de monsieur le curé …

Dès les beaux jours revenus, c'était notre point de ralliement. Nous en avons effectué des parties de football endiablées sans arbitre ni restriction ! Nous étions toujours d'accord ; la discorde n'étant pas notre manière d'envisager nos relations. Nous n'avions pas le modèle des sportifs toujours renâclant, trichant ou vitupérant après toute décision contraire. Nous jouions sans rêver d'être le nouveau Messi ; monsieur le Curé n'aurait pas apprécié !

Puis, comme nous grandissions, l'espace nous sembla trop étroit pour nos envolées sportives. Nous disposions tous de bicyclettes : la mobilité ne nous effrayait guère. C'est à la périphérie du village, devant les forges Simca, que se trouvait un vaste terrain vague, parfaitement plan qui nous tendait les bras. Ce fut, jusqu'à ce que les constructeurs nous en chassent, notre plaine de jeu.

Qui d'entre nous avait pris les commandes ? Comment s'organisaient les tournois et les équipes ? Cela demeure pour moi un mystère. Pourtant, tout était parfaitement huilé dans ces rendez-vous sauvages sans que le moindre adulte ne vienne se mêler de nous surveiller. Nous étions parfaitement organisés avec maillots distinctifs approximatifs, ballons en piteux état et buts de guingois.

Ce furent des heures de dépenses physiques, de courses folles, de parties endiablées. Les quartiers s'opposaient les uns aux les autres sans le moindre mauvais geste. Zlatan n'avait pas distillé son exemple désastreux : la télévision diffusait si rarement les matchs de football que nous n'avions pas d' images parasites dans l'esprit.

Ces joutes ne nous empêchaient pas pour autant de nous retrouver presque tous dans le club de football du village. Il n'y avait d'ailleurs pas beaucoup d'autres propositions à l'époque. Nous avions une capacité physique qui devrait effrayer les éducateurs d'aujourd'hui, toujours à limiter le temps de jeu des enfants contemporains. À cet âge pourtant, la fatigue est une notion étrangère au développement de l'enfant.

Hélas, les bulldozers sont arrivés et nos tournois inter-quartiers se sont achevés. Le terrain n'était plus vague : il était devenu chantier d'où s'élevèrent bientôt des immeubles impersonnels, des ensembles que l'on prétendait grands et que nous trouvions bien mesquins. La société basculait vers une conception plus encadrée des loisirs de la jeunesse. Il fallait qu'elle soit toujours sous le contrôle des adultes. Nous ne le savions pas encore mais le monde changeait de forme …

Vaguement leur.



8 réactions


  • fdg190 fdg190 23 mai 2015 16:09

    Cela me rappel des souvenirs !! smiley


  • colere48 colere48 23 mai 2015 16:58

    Toujours cette douce nostalgie douce et douloureuse tout à la fois...
    Bravo l’auteur et merci de nous rappeler qu’il exista un monde non virtuel ...
    Temps merveilleux où avec 2 roseaux, du papier journal et de la colle de farine on avait un honorable cerf volant décoré à la gouache, ou encore, on pouvait se bricoler un agrandisseur photo avec un l’objectif d’un vieil appareil , un bidon de peinture vide, et de quelques vieux tuyaux de plomberie reconvertie en colonne, une cave facile à occultée faisait un merveilleux labo !


  • sls0 sls0 24 mai 2015 08:18

    Ma filleule qui approche la trentaine a toujours apprécié les ballades avec son parrain.
    Un jour sur un chemin d’asphalte avec des bancs et de la verdure, je lui demande s’il n’y avait pas un HLM avant à cette endroit, elle me répond oui, maintenant c’est mieux.
    Je lui dit qu’enfant j’y ai vécu 3 ans et qu’avant c’était une mare à grenouille et tritons, peut être pour eux c’est pas mieux et que pour ceux qui ont connu la première fois le confort de la salle de bains dans les années soixante, sont ils plus heureux maintenant ?
    Le mieux de l’un est il le mieux de l’autre ?
    Je rejoins Nabum, le superflu je ne crois pas qu’il faut le mettre dans la catégorie ’’mieux’’

    Je réside dans un pays avec une moyenne d’âge de 23 ans, la nostalgie c’est pas trop la mode, le passé sert pour éviter de reproduire les mêmes bêtises surtout.
    Pas mal de choses de la vie courante me font remonter 40-50 ans en arrière, je trouve cela agréable, d’autres trouveront cela inconfortable.


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 mai 2015 09:14

      @sls0

      Ceux qui prennent tout du progrès sans le moindre regard critique réfutent l’idée de nostalgie
      Pour eux, le regard dans le rétro est un refus du réel

      Ils se trompent

      Du passé, il y a toujours des enseignements à retenir. On peut par exemple s’interroger sur la catastrophe scolaire actuelle et se demander si elle n’a pas de relation avec l’absence d’expériences naturelles des enfants de cette époque.

      Être toujours sous contrôle doit sans aucun doute fermer bien des portes dans la capacité de réfléchir par soi même !


    • sls0 sls0 24 mai 2015 15:17

      @C’est Nabum

      Le mot progrès est employé à toutes les sauces, si déjà il amène un bénéfice au niveau de la vie, c’est pas mal. S’il amène des contraintes environnementales, sociétales,....., on ne peut pas parler de progrès.

      Il faut regarder dans le rétro pour éviter de reproduire des erreurs mais la nostalgie est-ce constructif ?
      En roulant si on ne regarde que dans le rétro, le mur n’est pas loin.

      Aux plus jeunes je dis souvent deux phases :
      On apprend beaucoup de ses conneries, du moment qu’elles ne vous mettent pas en danger et qu’elles n’apportent pas de gêne pour autrui elles ont leur utilité.
      Et inutile de me donner des conseils, je sais me tromper tout seul.
      Paradoxalement, ils viennent souvent demander des conseils.

      Je réside dans un pays avec une moyenne d’âge de 23 ans à l’adolescence tardive, ils regardent très peu dans le rétro. Coté sourires c’est le top.


    • C'est Nabum C’est Nabum 25 mai 2015 08:44

      @sls0

      Je ne sais que vous répondre


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