lundi 22 février 2010 - par André-Jacques Holbecq

Comment les orfèvres devinrent banquiers...

C’est vers le milieu du XVII° siècle que les marchands de Londres et de Stockholm commencent à confier la garde de leurs métaux précieux et autres objets de valeur aux orfèvres. Ceux-ci leurs remettent alors en contrepartie un reçu détaillé et nominatif, un certificat de dépôt, qui permet à son détenteur de récupérer à tout moment (« à vue », c’est-à-dire sans échéance de retrait), après avoir acquitté un droit de garde, les objets mêmes qu’ils avaient déposés. La boutique de l’orfèvre devient un coffre fort collectif bien protégé.

 
 Cependant, ces orfèvres ne mentionneront bientôt plus sur leurs certificats de dépôt que la valeur en livres sterling plutôt que les objets eux-mêmes. Par cet anonymat le remboursement peut se faire simplement par prélèvement sur l’ensemble des valeurs détenues dans les coffres, des « réserves » composées d’éléments interchangeables.
 
Puis, progressivement, ces certificats de dépôts seront établis au porteur. Le déposant peut alors, si son créancier l’accepte, remettre directement le certificat en paiement, au lieu d’être obligé de venir retirer les pièces ou les lingots. Le créancier pourra à son gré, soit à son tour utiliser ce certificat en tant que moyen de paiement, soit se faire rembourser en or, argent ou monnaie locale, au moment et à l’endroit désiré car les orfèvres ont alors établi un large réseau de correspondants de confiance jusqu’à l’étranger facilitant l’utilisation et la circulation des certificats et contribuant à retarder les demandes de remboursement.
 
Jusque là les certificats de dépôts compensent exactement le montant de valeurs précieuses présentes dans les coffres et retirées de la circulation. La masse monétaire demeure strictement inchangée, seul l’aspect matériel des paiements est modifié, la circulation de certificats remplaçant en partie la circulation des métaux précieux. Le bilan de l’orfèvre avec couverture intégrale ressemble à ceci :
 
Actif
Passif
Garde de métaux précieux de valeur : 10000
Certificats émis : 
10000
 
 
Très vite ensuite, l’orfèvre devient banquier
 
Les orfèvres vont vite s’apercevoir que le stock de métaux précieux ne descend jamais en dessous d’un certain seuil :
En effet :
1) comme les dépôts nouveaux tendent à équilibrer les retraits, les deux se compensent largement,
2) la probabilité pour que tous les billets soient présentés à la fois pour être convertis est très faible.
 
Une couverture en métal précieux à 100 % des certificats devient inutile puisque une partie seulement suffit à parer aux retraits. Plutôt que de conserver cet or et cet argent qui « dorment », mieux vaut dès lors les faire fructifier.
 
Vers 1665 les orfèvres vont commencer à émettre des certificats en échange d’une reconnaissance de dette et non plus d’un dépôt d’or ou d’argent. L’orfèvre remet à son client emprunteur, des billets en tout point identiques à ceux qu’ils remets aux déposants de valeurs.
 
Le bilan de l’orfèvre-banquier avec couverture partielle, ressemble ainsi à ceci.
 
 
Actif
Passif
- Métaux précieux de valeur : 10 000
(espèces immédiatement disponibles)
- Reconnaissances de dettes : 20 000
 
Certificats émis :
30 000
 
 
La valeur faciale de l’ensemble des certificats émis (30 000) est désormais supérieure à la valeur du stock de métaux précieux détenu.
 
Il y a bien là création monétaire puisque le volume de moyens de paiement disponibles s’est accru. Le principe de la création monétaire avec réserves fractionnaire était né.
 
Cette nouvelle transformation de la profession d’orfèvre repose sur :
a) la quasi certitude de solvabilité future de l’emprunteur.
b) l’absence future de toute demande généralisée de conversion en métal.
 
Progressivement la quantité de monnaie résulte de demandes de financement et non plus de la découverte d’or et d’argent. La monnaie peut alors être définie comme étant des dettes bancaires qui circulent
 
Le principe fondamental de la création monétaire par les banques - émettre une créance sur elles-mêmes, créance acceptée par le public comme moyen de paiement - est donc en place. L’État interviendra ensuite dans le processus en s’octroyant le monopole d’émission des billets. Progressivement la création monétaire devient très majoritairement de nature scripturale.
 
Aujourd’hui pour prêter, une banque n’a plus besoin d’or ou d’espèces ou de n’importe quel « argent » préalablement déposées par des épargnants, mais il va lui falloir effectivement satisfaire à un certain nombre de règles et d’équilibres de bilan et de comptes d’exploitation.
 
(Extrait de "Argent, dettes et banque" de A-J Holbecq, à paraitre début mars 2010 aux éditions Yves Michel)
 


5 réactions


  • Jimmy 22 février 2010 10:49

    bon article s’il est le début d’une série sur le fonctionnement des banques


  • ffi ffi 22 février 2010 11:29

    J’avais entendu dire que l’utilisation de ces « certificats de dépôts » avait fini par se généraliser pendant l’essor du commerce transatlantique.

    Paraît-il que transporter de l’or pendant ces voyages étaient hautement dangereux à cause de la piraterie. Les vaisseaux espagnols se seraient ainsi plusieurs fois faits détroussés par les corsaires, en particulier ceux de l’empire Britannique. C’est ce qui aurait fait que l’empire espagnol, démunit de cette innovation, peu à peu aurait périclité au profit de l’empire Britannique.

    Mais pour qu’une telle invention soit praticable, logiquement, cela implique un réseau de banques dans toutes les colonies avec lesquelles la métropole commerce.

    Ainsi, il suffit qu’il y ait suffisamment de stock dans les banques de chacun des continents, elles-mêmes mises en réseau, et il devint possible de ne transporter que du papier au lieu de transporter de l’or pour les divers paiements à destination (esclaves, matières premières...)


  • joelim joelim 22 février 2010 15:02

    Monsieur Holbecq, j’espère que vous continuerez à détailler ici les idées de l’écosociétalisme. En effet je crois que la difficulté de les faire connaître est lié au fait qu’on est tous plongés dans le monde bancal et spécieux de la monnaie et qu’on a du mal à comprendre autre chose. Quel poisson s’intéresserait à la caresse du vent ?

    Moi-même ai des interrogations envers cette esquisse de nouveau modèle économique que me semble être l’écosociétalisme. Il faut notamment tester les modèles en envisageant les biais possibles que ne manqueraient pas d’essayer d’exploiter les « drogués du flouze ».

    Et je pense que seule une pédagogie et une didactique claires et détaillées (encore plus que les efforts que je reconnais que vous avez déjà fait) peuvent faire avancer les choses. Et pour cela les médias citoyens peuvent aider...

  • finael finael 22 février 2010 19:57

    Très intéressant !

    Il me semble toutefois que des « banquiers », si on veut les appeler comme ça existaient depuis l’antiquité, comme des « assureurs » en particulier dans la Grèce classique.


  • André-Jacques Holbecq André-Jacques Holbecq 23 février 2010 08:57

    @Jimmy
    Difficile de mettre tout le bouquin sur Agoravox, mon éditeur ne sera pas content. ;)
    Mais ce livre « Argent, dettes et banques » sortira vers le 5 mars au prix (très) modique de 7,5 euros - http://www.yvesmichel.org/webmaster/tous-les-livres/argent-dettes-et-banques

    @Joelim
    Je fais ce que je peux... mais nous avons ouvert un nouveau site « spécifique » http://www.ecosocietal.org/

    @Finael : Ils étaient plus des comptables ou des prêteurs sur gage. Je réserve le terme de « banquiers » à ceux qui ont commencé à prêter ce qu’ils n’avaient pas et à « créer » de la monnaie.


Réagir