mardi 20 février 2007 - par Denis Langlois

L’Utopie révolutionnaire est toujours vivante

En avril 2005, Denis Langlois, avocat et écrivain, auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont « les Dossiers noirs de la police française », « La Politique expliquée aux enfants (illustrée par Plantu) ou « l’Affaire Seznec » (Prix des droits de l’homme 1989), a publié aux Editions Michalon un livre sur l’utopie révolutionnaire intitulé « L’utopie est morte ! vive l’utopie ! ». Il s’agit - l’auteur en est conscient - d’un livre à contre-courant, surtout dans une période délibérément électoraliste. Même les partis communistes ou gauchistes ne se recommandent plus de la révolution et ceux qui le font encore n’admettent pas qu’on qualifie leur idéologie d’utopique, c’est-à-dire d’irréalisable dans la forme qu’ils lui donnent. Cependant, le rêve de changer fondamentalement le monde dans un sens plus juste et plus libre, existe toujours dans l’esprit et le coeur d’un nombre important de citoyens. C’est pourquoi Denis Langlois nous a demandé de publier un extrait de l’introduction de son livre qui lui semble d’actualité, en espérant susciter les réactions constructives ou non de lecteurs.

"...Pas question de laisser la place à ceux qui ont réduit la politique au soin de gérer petitement le quotidien. Nous refusons de n’être que des spectateurs désengagés de l’histoire, de notre propre histoire. Au contraire, nous voulons la prendre à bras-le-corps, par la peau du cou, la maîtriser, la dominer, ne serait-ce qu’en pensée. En jouir pleinement. Retrouver la fièvre des grands récits, des grands voyages.

Or, en ces temps peu favorables aux projections dans l’avenir et aux boussoles emballées, les bien pensants, les politiquement corrects, les nouveaux citoyens aseptisés, nous ont fait remiser nos rêves révolutionnaires. Ils en ont même dressé l’acte de décès. Morts de leur belle mort, dépassés, ridicules, malsains, dangereux. D’après eux, c’étaient des enfantillages qui, concrètement, ne pouvaient aboutir qu’à un régime totalitaire, une dictature sanglante, exactement le contraire de ce que nous prétendions atteindre. Des épousailles pour le meilleur qui tournent au pire. Un cauchemar dissimulé derrière le mirage. Aujourd’hui, le mot même de révolution est devenu tabou. Les gauchistes officiels ne le prononcent plus, de crainte d’effaroucher leurs électeurs.

Bien sûr c’étaient des enfantillages, mais qui soutiendra que l’existence humaine peut être autre chose qu’un enfantillage, une façon tragico-bouffonne de se voiler la face, d’allumer des lampions aux branches des échafauds ? Comment pourrait-il en aller autrement de ces êtres qui se retrouvent sur une planète sans savoir d’où ils viennent et quel est le sens de cette vie qui les mène inexorablement vers la mort ?

Le capitalisme et le social-libéralisme qui sont aujourd’hui les deux seuls produits politiques disponibles en magasin ne sont-ils pas eux aussi des enfantillages ? Accumuler le plus de richesses et de pouvoirs possibles, vouloir en quelque sorte lester son existence, alors que la mort est la fin la plus misérable qui soit, alors que les linceuls n’ont pas de poches et les squelettes plus d’oreilles pour retenir les couronnes, n’est-ce pas un enfantillage ? Prétendre freiner cette accumulation au nom de valeurs vaguement réformatrices ou même contestatrices, n’est-ce pas jouer à l’enfant qui se met en travers de la voie et, les bras tendus, se figure qu’il va arrêter un train lancé à toute vitesse et en plus réussir à monter dedans ?

L’argent, le profit, la puissance, la gloire, la bonne conscience (souvent accompagnée elle aussi d’une soif de pouvoir), la morale distributrice de bons points, sont autant d’illusions et même - au risque de trahir le mot - d’utopies qui ne peuvent se réaliser faute d’une vie immortelle dont on connaîtrait exactement le mode d’emploi.

Tout est enfantillage ou rien ne l’est. Je penche délibérément pour la première hypothèse et cela ne me gêne pas. Les êtres humains - c’est une banalité de le rappeler - n’ont fait que progresser matériellement, se spécialiser, inventer des bidules de plus en plus perfectionnés, mais ils n’ont pas avancé d’un orteil dans le sens d’une maturité morale ou psychologique. Tout simplement parce que cela leur était impossible, parce que chaque fois ils venaient buter contre l’absurdité de la condition humaine. Alors, ils ont fui, ils se sont réfugiés dans l’utopie, dans le "non-lieu", dans l’univers de nulle part et d’ailleurs.

Si l’"utopie" capitaliste, celle des fous de l’or et de ses privilèges, s’est imposée en déployant ses tentacules sur la globalité du monde, ce n’est pas parce que c’est la meilleure, seulement parce que, dans son individualisme exacerbé, son arrogance, son avidité, dans ce qu’on peut appeler ses "mauvais sentiments", c’est la plus facile à mettre en oeuvre. Un jeu d’enfant précisément. Amasser le plus de richesses et de pouvoirs, les gosses de la maternelle savent le faire naturellement. Les plus doués, les plus gonflés, les plus costauds, pigent tout de suite comment on rafle les jouets des copains, comment on casse la gueule de ceux qui rouspètent et comment en plus on se fait admirer de la majorité passive.

(...) La révolution, celle qui consiste à vouloir démantibuler tout cela en s’imaginant qu’il en sortira quelque chose de meilleur, que l’homme deviendra partageur, n’est pas à première vue une utopie plus évoluée que les autres, car fatalement l’espèce humaine retombera dans la situation précédente. Elle n’est pas cependant moins évoluée. Elle se situe sur le même plan, celui de la vanité de tout effort pour se sortir de la condition humaine lorsqu’on est un être humain. Bref, a priori et, je le répète, sur un plan théorique, toutes les utopies se ressemblent pour la bonne raison qu’elles ont le point commun de n’être que des utopies et de ne pouvoir être autre chose que des utopies.

Alors, me demanderez-vous, pourquoi rejeter telle utopie et mettre en avant telle autre ? Au nom de la nuisance de certaines qui, imposées par la violence, provoqueraient des massacres impressionnants. Jusqu’ici, les carnages qui peuvent être imputés à la mise en pratique des utopies révolutionnaires et plus spécialement "communistes" sont certes impressionnants : le père Staline et son compère Mao ou encore les Khmers rouges n’y sont pas allés avec le dos de l’écumoire. Sous prétexte de construire le bonheur commun, l’Etat et le Parti ont détruit la société humaine à coups de purges, de terreur et de goulags.

Mais tout cela est insignifiant, du petit boulot, de l’artisanat, à côté des milliards de morts provoqués par la lutte classique pour l’argent et la puissance. (L’idéologie nazie et les fascismes en général se situent dans le droit fil de cette lutte, ils n’en sont qu’une monstrueuse variante.) Aujourd’hui, le capitalisme, mondialisé ou non, entraîne chaque jour des milliers et des milliers de morts bouffés par la misère, les cadences de travail, la pollution, sans parler des guerres qu’il provoque régulièrement. Le social-libéralisme (en fait la gestion sociale du capitalisme) ainsi que la nouvelle contestation réformiste qui marche sur ses traces, loin de freiner cette activité dévastatrice, ne peuvent que l’accompagner, jouer vaguement aux ambulanciers, coller deux trois rustines, inciter à la distribution de quelques miettes, chercher seulement à ce que la situation devienne un peu plus acceptable - un peu moins inacceptable - pour avoir été emballée dans des papiers aux couleurs rose bonbon, vert pastel ou rose pâlichon. La pièce de théâtre serait-elle moins sinistre, parce que le décor a été repeint pour la centième fois ?

Ecartons donc ces leçons de morale (ou de stratégie) que l’on prétend nous donner et revenons à notre point de départ. Toutes les utopies se ressemblent, parce que ce sont des utopies, une façon pour l’homme de transcender son propre esprit, d’être capable de penser des choses qui ne se réaliseront jamais, d’habiter des mondes que personne ne constuira.

Il n’y a en réalité que deux grandes utopies : celle qui consiste à dire comme les capitalistes "Toujours plus et chacun pour soi", avec la variante contestato-réformiste "Essayons de limiter les dégâts" ; et celle des révolutionnaires qui lancent "Bousculons tout et faisons du neuf", en sachant que la mise en application de cette dernière catégorie, nous l’avons appris à nos dépens, ne peut aboutir qu’à un éternel retour des choses.

En fin de compte d’ailleurs, du fait de cet inévitable retour à la case départ, on pourrait soutenir qu’il n’y a que des versions d’une seule et même utopie : celle qui consiste à crier plus ou moins désespérément "Vivons notre condition d’être humain", alors que nous ne savons pas grand chose sur les tenants et aboutissants de cette condition, alors que nous nous engageons dans un sens unique qui est en même temps - on peut le redouter - une voie sans issue. Si nous ajoutons que les croyances religieuses sont de simples variations de l’utopie principale qui présentent cette particularité de faire appel à une puissance supérieure et surnaturelle pour régler les problèmes, force est de reconnaître que par nécessité nous sommes tous des utopistes, des bâtisseurs de rêves, des buveurs de mirages.

Quel peut être alors le critère indiscutable qui fasse rejeter certaines utopies ? L’inefficacité. Mais, par définition, une utopie est inneficace. Elle n’est qu’une illusion, un trompe-l’oeil, un aveuglement. Une fiction. Sur ce plan-là, le capitalisme, le social-libéralisme, la contestation réformiste ou la révolution doivent être placés au même rang. Ils n’apportent aucune solution satisfaisante à la quête désespérée des humains. Ils n’apportent aucune solution du tout. Ils ne répondent, en ce qui concerne du moins les actes préconisés, à aucune des questions que se posent les hommes, lorsqu’il leur arrive à un moment ou l’autre de leur vie d’être conscients.

(...) A défaut d’efficacité, obligation est donc de faire appel à un critère que la politique écarte généralement : le plaisir, lié bien sûr au désir et à la passion. Une bonne utopie est celle qui procure une dose satisfaisante de plaisir à ceux qui y placent leurs espoirs. Aucune utopie ne mènera jamais à rien, mais au cours du voyage elle permettra de passer le temps le moins désagréablement possible.

(...) Dans ces conditions, il serait non seulement abusif mais sans effet réel de prétendre refuser à quelqu’un d’avoir des espoirs, de rechercher un certain plaisir, de s’en délecter individuellement ou collectivement. Il est bien connu que les désirs que l’on n’a jamais essayé de prendre pour des réalités pourrissent en nous et donnent un mauvais goût à la vie.

Ceci étant posé, je ne vois pas au nom de quoi on refuserait à qui que ce soit le droit de trouver son plaisir dans l’utopie révolutionnaire. Ce livre - nul n’en sera surpris et ne portera plainte pour tromperie sur la marchandise - visera donc à exposer pourquoi l’utopie révolutionnaire me semble la plus séduisante, la plus exaltante, la plus incandescente, tout en sachant - je le répète pour écarter délibérément tout malentendu - qu’elle n’est qu’une utopie et donc rien de plus ou rien de moins palpable que les autres utopies. Rien de réalisable. Rien de rien. Rien. Le seul luxe dérisoire que nous pouvons nous offrir. Le souffle de vent que nous pouvons saisir à pleines poignées, en sachant qu’en rouvrant nos mains nous ne trouverons que notre paume immanquablement nue.

(...) Dans ces conditions pourquoi consacrer un livre à l’utopie révolutionnaire ? Pourquoi la démythifier et, de façon plus que paradoxale, la prôner ?

Parce que la philosophie de la vie, je n’ose dire sa seule sagesse, en tout cas sa lucidité, c’est de désacraliser l’utopie, mais aussi de réhabiliter son imaginaire, pour qu’elle ne pèse pas trop.

Parce que justement l’utopie révolutionnaire, c’est ce qu’il y a de plus aérien sur les rayons du grand hypermarché de l’humanité. Parce que c’est la meilleure façon de se tenir la tête au-dessus de l’eau. Etre vivant avec intensité.

(...) Les générations d’êtres humains disparaîtront les unes après les autres. Le progrès scientifique, les manipulations génétiques, ne feront qu’en repousser le moment, mais ils n’aboliront jamais définitivement la mort. Par contre, l’utopie révolutionnaire, l’espoir désespéré de changer le monde, continueront d’enflammer le coeur et l’esprit des hommes.(...) Connaissez-vous quelqu’un capable d’éteindre l’incendie de l’espoir ? L’utopie révolutionnaire que certains croient avoir éradiquée, réduite définitivement au silence, reprendra d’elle-même son envol. C’est un besoin vital d’émancipation jamais assouvi de l’individu et de la communauté humaine, au moins d’une partie de la communauté humaine, la plus démunie, la plus écrasée. Une aspiration fondamentale à découvrir d’autres possibles, à les inventer. Un moteur rebelle de l’Histoire. Allez donc arrêter un moteur rebelle de l’Histoire !

L’éternelle utopie est plus que jamais à l’ordre du jour. Prenons le pari que les paroles de "L’Internationale" ("Nous ne sommes rien, soyons tout !") résonneront bientôt à nouveau dans les gorges et dans les rues. Celui qui s’estime capable de faire taire à jamais ces cris est un assassin d’utopie, mais aussi à sa manière un utopiste. Les mains nues, il est là face à la mer, essayant d’arrêter les vagues en dressant des digues de sable. "C’est la lutte finale, groupons-nous et demain..."



23 réactions


  • pingouin perplexe (---.---.210.30) 20 février 2007 16:38

    Votre article est intéressant, en ceci qu’il invite, de manière pour le moins énergique, à renouveler la réflexion par rapport à la condition d’être humain. L’Histoire atteste que de nombreuses utopies, pour émancipatrices qu’elles étaient, ont malheureusement connu de bien sombres destins. Pourquoi donc ? Peut-être en ceci qu’elles faisaient fi de l’inanalysé, et donc, de la portée du geste freudien. Par le fait de quelque « automatisme de répétition », de nombreuses utopies auront vu, à divers degrés, revenir sous d’autres formes ce qu’elles entendaient combattre. Cela fera d’ailleurs dire à Lacan qu’à l’instar de l’astronomie, la révolution désigne souvent un mouvement qui consiste à en revenir au même point. Dès lors, s’il devait y avoir quelque chose de tenable en matière d’utopie, comment le faire vivre ?

    Commencer, peut-être, par défendre jusqu’au bout le droit de comprendre, par le fait des rapports aux livres, à la culture, et, lorsque l’on entend dire que la comprenotte, c’est du superflu, qui aurait éventuellement à s’effacer devant le jeu des « instincts », n’en pas tenir compte. Que, dans cette exploration de la condition humaine, le rapport à la culture puisse être la majeure, et que l’on ne nous dise pas que les livres auraient à s’effacer face à des logiques de réflexes conditionnés. Et qu’en cela, aussi, puissent être critiqués les mobiles de prédation, souvent transposés de manière abusive aux sociétés humaines, et n’ayant pas de meilleur effet que de monter les gens les uns contre les autres, comme « dressés pavloviennement ».

    Une utopie qui, à mon avis, se tient, et qui gagne à se trouver continuellement soutenue correspond à la lutte contre le péril de l’extrême, qui voudrait, pour quelque motif que ce soit, pouvoir disposer de la personne humaine sans admettre de limites. L’extrême peut prendre de multiples formes. La notion d’un ordre de coexistence des différences conçue comme richesse et potentiel humain, ne correspondrait-elle pas en fait plutôt à un idéal « au centre » ?


  • André Chenet (---.---.31.27) 21 février 2007 07:29

    L’utopie n’est-ce pas d’abord un mode de vie et de penser dans une société de plus en plus étouffante ? Une expression du cri et de la révolte contre le mur des fusillés au fond d’une impasse ? N’est-ce pas ce mince morceau de ciel étoilé que l’on aperçois comme si c’était la dernière fois ? Lorsque les partis politiques se réclament (et par là même la récupèrent) d’une utopie ils en font immanquablement une propagande insensée ! L’utopie permet à des individus suffisamment autonomes de « réinventer la vie » hors des systèmes imposés ou leurs libertés s’estompent, et de se rencontrer (de créer des liens intenses, fraternels) afin de l’éprouver au jour le jour en mettant en oeuvres de nouvelles façons de vivre ensemble. Sans utopie, les sociétés humaines s’uniformisent, se banalisent, se sclérosent... L’utopie comme source d’inspiration fonde les droits de l’homme et de la femme, inspire la démocratie et le savoir vivre collectif. Elle déjoue tous lespouvoirs en place, hors des circuits officiels, elle est l’enfance de l’art, la conscience possible, le défi infatiguable de ceux qui refusent de marcher au pas...etc...


    • (---.---.37.71) 21 février 2007 14:04

      L’Utopie, c’est l’illusion et le réconfort de l’arriére monde, de l’Au dela, c’est de la religion...


  • bob (---.---.212.223) 21 février 2007 08:57

    sympathique pensee neanmoins combien prenez vous en tant qu’avocat desinteresse par l’argent ? Est ce que vos tarifs sont pertinents avec vos propos ?


    • Denis Langlois Denis Langlois 21 février 2007 09:44

      Si votre question est une insinuation, elle tombe totalement à plat.

      Je suis à présent avocat honoraire, mais lorsque j’exerçais la profession d’avocat, je ne me faisais jamais payer. (Je vivais de mes droits d’auteur.) Naïvement, mais en accord avec ma conscience, je préparais une société où l’argent n’aurait plus aucune importance ou même n’existerait plus. J’ai d’ailleurs consacré plusieurs pages - où l’humour n’est, je l’espère, pas absent - à cette question dans mon livre « L’utopie est morte ! Vive l’utopie ! ». Je me fais un plaisir de vous les citer :

      " Et l’argent ? Y aura-t-il encore de l’argent ? Là, ce n’est plus une question, camarades, c’est une obscénité. Vous voulez parler de fric, de pèze, de flouze ? Pour un révolutionnaire, tout cela est dégoûtant et salit les doigts. La société que l’on veut jeter bas est d’ailleurs répugnante parce qu’elle est infectée, gangrenée par l’argent. C’est là l’obsession du capitaliste qui l’entasse, qui le thésaurise, qui le capitalise, qui s’en sert pour écrabouiller les autres.

      Un révolutionnaire est bien obligé de se servir de l’argent, mais lui c’est seulement pour vivre, parce qu’il ne peut pas faire autrement, certainement pas pour l’empiler. Un révolutionnaire est fauché mais il a les mains propres, donc il est plus riche que le capitaliste. À la Bourse des valeurs révolutionnaires, une conscience nette vaut plus qu’un compte en banque bien garni.

      Dès que l’argent se glisse quelque part, c’est foutu. Ça rend arrogant ceux qui en ont et jaloux ceux qui n’en ont pas. C’est d’ailleurs vrai pour toute propriété privée. Alors, le révolutionnaire va supprimer l’argent. Il rêve d’une société où cet excrément n’existera plus et ne corrompra pas le Monde nouveau qu’il va construire.

      Une société de troc alors ? Non, d’échange. Le mot est plus beau. Tu me donnes, je te donne. J’échange mon travail contre le tien. Je fournis tout ce que je peux, je reçois tout ce dont j’ai besoin. Je ne suis plus exploité, tu n’es plus exploité. Nous ne sommes plus des objets standards, des marchandises. Je ne possède rien, nous possédons tout. C’est normal, puisque nous sommes des frères et des sœurs, ou des sœurs et des frères. Des compagnons, puisque le compagnon (ou la “compagnonne”) est, selon l’étymologie, celui avec qui on partage le pain.

      Plus de prix, plus de marché, plus de profit éhonté. Mais comment fixer la valeur de ce que chacun apporte ? Comment éviter que le travail de l’un, parce qu’il est plus rare, vaille davantage que le travail de l’autre plus courant, plus banal ? Comment empêcher que le travail intellectuel ne soit mieux coté que le travail manuel ? Comment éviter que la fameuse loi de l’offre et de la demande, celle de l’affreux marché et de son rapport de forces, ne ressurgisse ?

      Hors-jeu, chers camarades ! C’est ici que l’arbitre du jeu révolutionnaire - et j’ai le redoutable honneur d’être ici cet arbitre - doit siffler la faute. Avec des questions comme ça, on sort des limites du terrain, on fait le lit de l’adversaire. Ce sont donc des questions qu’il vaut mieux éviter de poser. À la rigueur on peut y répondre en disant que le Monde étant nouveau, la propriété privée ayant dans sa plus grande partie disparu, les individus auront des attitudes nouvelles que personne ne peut même imaginer...

      Bref, il n’y aura plus d’argent et cela fonctionnera parfaitement. C’est tout dire, on oubliera même le temps où ce déchet dégueulasse, corrupteur, coulait dans les caniveaux puants, pestilentiels, de la société honnie - honni soit qui mal y dépense - et heureusement disparue.

      D’ailleurs il faut bien se mettre dans la tête que nous raisonnons actuellement comme nous raisonnons parce que nous vivons dans une société égoïste, matérialiste et avariée. Si nous la renversons, si nous adoptons de nouvelles valeurs, nous raisonnerons forcément d’une autre façon. Comment ? Je n’en sais rien. Personne ne peut le savoir, puisque cela n’existe pas encore et qu’on ne peut pas imaginer le Monde nouveau qui existera alors. Je me répète ? C’est vrai. Mais vous aussi, camarades, avec vos interrogations absurdes et vos difficultés à imaginer l’Inimaginable.

      Un conseil seulement : Ne brûlez pas tout de suite vos billets de banque, même s’ils sont très sales. Nous ne sommes pas encore dans le Monde nouveau. Ca peut encore servir. D’ailleurs, le jour venu, vous n’aurez même pas besoin de brûler vos billets. Ils n’auront plus aucune valeur. Irrévocablement démonétisés, ils s’envoleront au vent de l’Histoire. Ils se retrouveront sur le carreau, piétinés par le peuple en marche. Ceux qui le voudront s’en serviront pour tapisser leur chambre, mais ce sera considéré comme de fort mauvais goût et, puisque dans le Monde nouveau personne n’aura mauvais goût, l’argent ne sera même pas utilisé pour recouvrir les murs des pissotières.


    • chantecler (---.---.146.34) 21 février 2007 09:59

      @ Denis Langlois : chapeau !


    • pingouin perplexe (---.---.97.50) 21 février 2007 11:48

      pamphlet vivant et réussi smiley


    • tovara (---.---.149.182) 12 mars 2007 09:54

      Tout à fait d’accord : redevenons chrétiens, il n’y a rien de plus révolutionnaire : le Christ s’est sacrifié pour l’humanité, le seul parmi les marxistes qui l’a fait, c’est Che Guevara, c’est pour celà qu’il est toujours aussi populaire...


  • Marsupilami Marsupilami 21 février 2007 10:19

    @ L’auteur

    Bravo, excellent texte qui fout la pèche quand on le lit le matin. Il faut vivre et mourir sagement révolté.

    « L’une des seules positions philosophiques cohérentes, c’est ainsi la révolte » (Albert Camus).


  • Fred (---.---.152.75) 21 février 2007 13:56

    Bonjour

    j’ai tout juste le niveau du bac, je suis un citoyen limité socialement et intellectuellement, mais je permets de m’exprimer quand même :

    l’injustice existe partout sur notre planète, il est humain de se révolter donc d’avoir l’utopie de croire en un monde meilleur.

    Je suis bien triste pour ceux qui ne croient pas en cela.

    En tout cas bravo pour ce passage de votre livre.


    • (---.---.37.71) 21 février 2007 14:02

      Définition de l’injustice, SVP ?


    • (---.---.152.235) 25 février 2007 11:29

      C’est l’absence de justice dans une situation où l’on considère qu’il devrait y avoir justice.

      Tout inégalité n’est pas une injustice.


  • André Chenet (---.---.31.27) 21 février 2007 16:28

    La race humaine doit ses plus plus hautes réalisations - morales, artistiques, sociales...) à tous ceux qui ont su se projeter dans un monde plus harmonieux et plus juste. Ce sont ceux qui, de nos jours plus que naguère, se réclament du réalisme néolibéral de droite ou de gauche(notamment les policiens professionnels,les économistes, les mandarins de la finance et autres banquiers, les militaires et marchands de canons, les statisticiens, les macreaux, les publicitaires ...bref tous les vendus du profit à tout prix )qui avilissent la vie et le coeur des hommes. Sans les chantres des utopies (qui n’ont jamais été, à l’origine, des systèmes prêts à l’emploi, sans les poètes visionnaires, tout porte à croire que l’humanité se serait autodétruite depuis belle lurette, en se livrant sans retenues à des excès criminels bien pires que ceux que nous avons connus. Les philosophies utopiques relèvent davantage de la pratique collective CONSCIENTE que de la théorie. Les aliénés ne font que suivre les directives qui les aliéneront davantage, les arriérés sont ceux qui n’ont jamais connu la souffrance d’apprendre à penser par eux-mêmes, en interdépendance. Ainsi, l’égoïsme est la plaie purulante de la nature humaine. Il faut beaucoup d’amour en soi, pour concevoir et expérimenter jours après jours les vaste territoire de l’utopie. Les peuples préfèrent malheureusement l’exiguité des familles prisons patries où « on » (les dictatures spirituelles de l’autorité) les tient enchaîner. L’utopie demande beaucoup d’imagination, de courage et si vous me permettez l’expression, de grandeur d’âme. Des vertus qui ne se marchandent pas.


    • pingouin perplexe (---.---.97.50) 21 février 2007 19:02

      Après s’être levé et avoir pris sa douche, l’Homme s’écria « l’eau me descend du singe ». Et ce fut, semble-t-il, une blessure narcissique. Des singeries, il faut bien reconnaître qu’il n’en manque pas. A commencer, sans doute, par celle qui consiste à inverser les domaines des moyens et des fins. Etre à l’endroit serait-il une utopie ? L’économie est un moyen et l’Homme est une fin. Malheureusement, l’approche contraire ne peut qu’induire une course à la puissance aussi folle que périlleuse.


    • moebius (---.---.128.238) 24 février 2007 21:59

      elle le doit aussi à l’égoisme, cessez donc de vous la péter vous allez enfler comme une baudruche


    • moebius (---.---.128.238) 24 février 2007 22:12

      non non l’utopie révolutionnaire n’est pas morte car elle bande encore...Vous plaisantez l’utopie révolutionnaire est bien morte (et je le déplore) par contre les révolutionnaires permanents sont toujours vivants. La petite épicerie utopique se porte bien., demandez nos produits, les meilleurs, je vous recommande particuliérement nos fromages du terroirs.


  • (---.---.255.71) 24 février 2007 21:36

    « ma tante en avait 2, aussi je décidai de l’appeler tonton... »

    extrait de : l’utopie et la réalité


    • (---.---.152.235) 25 février 2007 11:26

      « Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle, et si mon oncle en était on l’appellerait ma tante. » Pierre Dac, Les Pensées, Paris : Éditions de Saint-Germain des Prés, 1972.


  • candidat 007 (---.---.41.75) 25 février 2007 09:59

    C’est le mea culpa et de le de profundis des babas cools marxistes-léninistes ou Trotskisques. Arlette a déjà compris cela depuis longtemps, c’est pour cela que LO est une petite secte utopiste ; Celle du « bon plaisir de ma révolution », qui s’est isolée volontairement et s’y trouve trés bien.

    Les autres qui se prennent au sérieux, en brandissant leur révolte factice, comme Besancenot sont donc bien des menteurs, des opportunistes, des profiteurs et des individualistes qui trompent les citoyens.

    Vous avez raison Monsieur Langlois, je crois aussi comme vous que ces gens préférent empêcher ou nuire à la transformation de la société, que de perdre leur utopie.


  • yaka (---.---.159.43) 25 février 2007 10:49

    vive l’utopie du pc qui est millénaire et qui prend son temps qu’importe le présent puisque l’avenir est radieux... que les pauvres crèvent pas à pas puisque nous assurerons pour leur descendance le règne de la félicité stalinien j’étais stalinien je reste !!

    Vous voulez de l’utopie ? votez le pen, ça va faire du bruit dans le landerneau, ici et maintenant !!! là vous aurez de la révolution, là ça va bouger

    votre utopie c’est une belle manière de faire du surplace.

    Qu’est-ce qui peut faire changer les choses : sarko, bayrou, ségo ? on est tous d’accord

    l’extrême gauche ? peut-être mais dans un climat révolutionnaire

    Qui peut créer ce climat propice ? Il n’y a que le pen qui puisse aujourd’hui faire exploser le système mais je crains comme je l’ai dit plus haut que les soi disant révolutionnaires n’aient aucune envie de faire exploser le système.


  • lau03 (---.---.122.57) 6 mars 2007 23:43

    Il y a bientôt 40 ans est arrivé en France un maître zen, nommé Taisen Deshimaru. Il enseigna à s’asseoir en méditation, comme le Bouddha. Dans le zen, on ne prône pas particulièrement une utopie révolutionnaire. Mais en retournant le regard vers l’intérieur, en s’observant soi-même, l’on fait demi-tour et on retourne à ses propres racines : il n’y a aucune vérité qui ne soit en-dehors de soi. Cela ne signifie pas que chacun n’a pas la sienne, différente. Mais celle qui nous est propre n’appartient à personne, à aucune idéologie, aucun parti, aucune religion, à aucun parent. C’est ce que Deshimaru qualifiait de révolution intérieure, et pensait que cette attitude était la seule à même de pouvoir sortir de la crise de la civilisation moderne. Il me semble qu’il avait raison, et que son message est toujours actuel. Comment faire la révolution sans faire couler le sang ni vouloir changer les autres avant soi-même ?? En tournant son regard vers l’intérieur, pour reconnaître sa vraie réalité. Telle était l’utopie de tous les bouddhas ! Point d’activisme : s’asseoir, et laisser tout tomber, et s’observer soi-même, et à partir d’un esprit réunifié et paisible, créer un nouveau monde. Simplement.


  • Jérémy dumont Jeremy dumont 25 octobre 2008 13:16

    Les oiseaux de mauvais augure dressent un portrait sombre d’une société en mal d’avenir et d’ambitions collectives. A les entendre, les jeunes contestent moins, les créatifs suivent la mode, les philosophes bégaient...

    Dans leur description, ils oublient que si le contexte économique, politique et social incite à la morosité, il est aussi porteur de contradictions génératrices de nouvelles idées et d’ utopies.

    Collectons des utopies concretes et réalisables pour imaginer les produits de demain et concevoir des publicités qui ne racontent pas que des histoires. Les objectifs sont que chacun puisse avoir des rêves assez hauts pour ne pas les perdre de vue et écrire un futur commun désirable qui nous permettra de le choisir et non plus de le subir


    http://www.levidepoches.fr/courtscircuits/2008/10/rapport-dinnova.html

  • Christian Hivert Christian Hivert 10 janvier 2010 13:33

    Salut Denis, content de te retrouver en pleine forme, je peux apporter mon témoignage en faveur de tes affirmations, en précisant que tu nous offrais tes conseils juridique pour nos compagnons en délicatesse judiciaire même la nuit.

    http://www.mouvementautonome.com

    Christian Hivert


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