mercredi 19 mars 2008 - par Jérôme di Costanzo

Le patricien et le successeur de saint Pierre : Churchill & Jean-Paul II

“Onward, Christian soldiers, marching as to war, With the cross of Jesus going on before. Christ, the royal Master, leads against the foe ; Forward into battle see His banners go !”(1)

Le 12 août 1941, à la demande de Winston Churchill, fut intégré dans la cérémonie clôturant la signature de la « Charte Atlantique », en baie de Platentia, l’hymne religieux « Onward, Christian Soldiers ». Dans son livre « The Second World war », il témoignera, non sans émotion, de l’égrégore solennel régnant ce jour-là au large de Terre-Neuve : « Aucun des participants n’oubliera jamais le spectacle de cette assemblée massée sur le pont arrière du « Prince of wales ». La symbolique de l’Union Jack et de la Bannière étoilée flottant côte à côte, les chapelains britanniques et américains se relayant pour réciter les prières, les rangs serrés des marins américains et britanniques entremêlés, utilisant les mêmes livres de prières, prononçant les mêmes implorations, chantant les mêmes hymnes familiers » (2). Scellant une alliance, jusqu’à présent quasi indéfectible entre les Etats-unis et le Royaume-Uni, cette « Atlantica Carta » est un credo prophétique qui nous annonce, déjà dans ses grands traits, l’Otan, la volonté de libéralisation des marchés, le désarmement, et aussi l’arrivée d’un président Reagan et d’une Margaret Thatcher. En ce jour d’août 1941, ce partage de valeurs communes, cet œcuménisme politique annoncent d’ores et déjà un Jean-Paul II. Le 1er mars 1955, lors de son dernier discours à la Chambre des communes, le sauveur de 1940, devenu le prophète de la guerre froide, conclut sa carrière politique par ces mots : « Peut-être le jour viendra-t-il où la loyauté, l’amour du prochain, le respect pour la justice et la liberté permettront aux générations actuellement en souffrance de laisser derrière elles, avec sérénité et après l’avoir vaincue, l’horreur du temps que nous vivons. D’ici-là, ne fléchissez jamais, ne vous laissez jamais décourager, ne désespérez Jamais ». Comment ne pas rapprocher cet ultime discours du « N’ayez pas peur (3) » de Jean-Paul II ? Ce sont, à vingt-cinq ans d’intervalle, des paroles salvatrices promettant des jours meilleurs, proférées dans une foi absolue en la providence. C’est ici une surprenante filiation : le patricien Winston Churchill et le vicaire du Christ, Jean-Paul II. Cet article n’a pas pour but d’amalgamer la religion avec la politique, mais de comparer deux figures emblématiques du conservatisme moderne.

« Ne cédez jamais au désespoir, mais, si cela devait vous arriver, luttez avec l’énergie du désespoir », Edmond Burke.

Les deux personnages partagent de nombreux points communs. Charismatiques et populaires, ce sont deux tribuns d’exception, souvent qualifiés par l’intelligentsia progressiste d’horribles conservateurs. Combattants acharnés du nazisme et du communisme, ils surent toujours trouver les mots justes pour garder intact l’espoir auprès de leur peuple respectif, qu’il s’agisse des Britanniques sous le Blitz ou des Polonais sous le communisme.
Ils restent des pourvoyeurs, devant l’Histoire, de liberté et de démocratie. Il y a chez eux un respect indéniable pour la « Vox populi ». Citons pour exemple la phrase du Premier ministre « la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres », que l’on peut rapprocher de la réflexion du Saint Père à un Pinochet à l’occasion de son voyage au Chili. Le dictateur interrogea le très Saint Père : « Pourquoi l’Église parle-t-elle sans cesse de démocratie ? Toutes les méthodes de gouvernement se valent. » Jean Paul II lui répondit : « Non, le peuple a le droit de jouir de ses libertés fondamentales, même s’il commet des erreurs dans l’exercice de celles-ci. ». (4)

Libérateurs des peuples asservis, ils eurent tous les deux de l’empathie pour le peuple juif. Churchill fut un des artisans de la « déclaration Balfour » et un partisan de la cause sioniste. Jean-Paul II fut le pape de la réconciliation entre le catholicisme et la religion juive. Il y a, chez ces deux hommes, une fidélité inextinguible à la « Vieille Loi » par excellence : la Loi Mosaïque ! Ils sont, à eux deux, des exemples d’un messianisme rédempteur inhérent au conservatisme : volonté de libérer les peuples de l’oppression, de l’esclavage, qu’il soit nazi ou communiste.

« Un discours Whig, sir », lance Melbourne, au Premier ministre Canning à la fin de son premier discours à la Chambre des communes. Ce dernier rétorque « Un discours Whig, avec des arguments Tory ! » (scène du film de Robert Bolt Lady Caroline Lamb). (5)

On a souvent qualifié chacun de ces deux hommes de « libéral conservateur ». Et le terme libéral est à prendre au sens le plus large. John O’Sullivan dans son livre The President, the Pope & the Prime minister, à propos de la Truce de 1968 écrit par l’évêque Wojtyla, résume la dialectique du futur Saint Père en parlant « de défense d’une doctrine traditionnelle par des arguments non traditionnels ». Et un Churchill a fait le saut plusieurs fois du Parti conservateur au Parti libéral et inversement. Il fit partie dans ses premières années en politique des hooligans socio-conservateurs de la Chambre des communes, des fidèles "perpétuateurs" de la politique « One Nation » de Benjamin Disraeli (6).

Des whigs conservateurs ?

Churchill est issu d’une famille patricienne, avec comme figure patriarcale, John Churchill, duc de Marlborough. C’est cette vieille aristocratie, historiquement liée au pays, ce « grand chêne » dont parle le « barrister de Beaconsfield » Edmond Burke, ces patriciens qui, au XVIIIe siècle, incarnèrent, face au déficit de « droit divin » dû à la chute des Stuart et à l’avènement d’un roi continental, la continuité de la tradition politique. C’est l’héritage de Churchill, qui est comme son ancêtre le duc de Marlborough et Burke, un savant mélange oscillant entre libéralisme de raison, acceptable, parce que se plaçant dans une logique rhétorique, et un conservatisme « tory » de tradition. Alfred Delp, cité par Benoît XVI dans son Jésus de Nazareth, corrobore cette nécessité pour tout conservatisme de se rattacher à une croyance en un Dieu et en un respect fidèle de la loi : « Le pain est important, la liberté est plus importante, mais la chose la plus importante de toutes, c’est la fidélité constante et l’adoration jamais trahie. » (7). Fidélité et adoration à la « Vieille Loi » doivent être placées au-dessus de tout. C’est ce qui empêche le conservatisme libéral de dériver vers un conservatisme marxisant ou poreux. Il ne s’agit pas de « whiggisme », mais de liberté dans l’obéissance et la fidélité à la loi primordiale.

On pourra reconnaître cette même « fidélité et adoration », sur le pont arrière du HMS Prince of Wales en baie de Platentia, unissant quelque part, par une « Atlantica carta », en une « One Nation », un Royaume et des États unis. L’Histoire confirmera le paradigme, d’abord par la libération célébrée un 8 mai 1945, sur le balcon de Buckingham Palace, avec la famille royale et un Churchill en larmes entonnant, avec le peuple britannique, un Land of Hope & Glory (8) que l’on peut penser écrit en ce jour béni, pour un « Gesta Dei per Anglo » (9). Moise mena le peuple élu en Terre Sainte, mais il lui fut interdit d’y rentrer. Churchill a dirigé le peuple britannique à la victoire, et il ne fut pas réélu.

Le conservatisme churchillien fut prolongé sans succès par Eden et Mac Millan. Un échec à Suez pour le premier et une fin ridicule pour le second avec la scabreuse affaire Profumo. Ce conservatisme de la « One Nation » fut remis en question par une Margaret Thatcher et un Keith Joseph. Selon eux, le Tory « One Nation » par son goût exacerbé du dialogue et du consensus politique avait trahi la pensée originelle de la doctrine. La « Dame de Fer » ramena la doctrine à ces postulats de base. La méthodiste Thatcher a guidé courageusement son peuple dans des réformes drastiques et sans concession, fidèle aux traditions libérales et marchandes du pays. Thatcher ferme, non sans affrontements, les mines et privatise, non sans quelques sarcasmes d’un Mac Millan. Elle remet sur les rails l’économie britannique. Elle est revenue au postulat de base de la doctrine, la fidélité à la règle. A ceci s’ajouta le succès incontestable de la campagne des Malouines, qui ressuscita le sentiment patriotique britannique. Sa politique illustre l’autre face du conservatisme, plus rigide certes, moins « socio-conservateur », attaché essentiellement à la liberté politique et économique.

Enfin Jean-Paul II greffe à la nécessité de l’adoration et de la fidélité la liberté religieuse : « La Liberté religieuse pour chacun et pour toute la population doit être respectée par tous et partout » (10). Cette position reste d’actualité. N’est-ce pas le fond de la controverse du Basileus Manuel Paléologue, que commenta Benoît XVI à Rastibonne ? L’adoration et la fidélité à Dieu et de sa loi sont la base du conservatisme. Nous rejoignons ainsi sans surprise la base de la pensée d’un John Locke qui établissait la bonne entente de la société sur l’interdiction de tout athéisme et sur l’obéissance aux lois.

Onward Christian soldier !

Avons-nous compris la portée symbolique de la rencontre au large de Terre-Neuve ?
N’y a-t-il pas là une promesse de réconciliation du christianisme ? « Marins américains et britanniques entremêlés, utilisant les mêmes livres de prières. » Dans « l’Union Jack et de la Bannière étoilée flottant côte à côte », je discerne une invitation à la réconciliation des deux mondes.

Notre prochain Evangile, au sens premier du terme !

N’y avait-il pas sur le HMS Prince of Wales, « One Nation », un seul peuple adorant fidèlement leur Dieu commun, une partie venue de l’ancien monde, l’autre du nouveau monde. Il y avait en ce jour « de grâce » d’août 1941, un seul Dieu, un seul peuple, une même foi et un seul monde ! « We believe in one god », « in god we trust », une seule tribu, unique et universelle. Le Concile de Nicée recommencé sur le pont arrière d’un navire, la constitution de Philadelphie de 1787 revivifiée : les Pères de l’Eglise rencontrant les Pères fondateurs. Voici notre héritage, notre « vieille loi », notre promesse. Platentia Bay et son ardente dévotion ne sont pas seulement un épisode de la Seconde Guerre mondiale, mais un prologue synthétique et dynamique de ce que sera le conservatisme au XXIe siècle. Alors ? Onwards Christians soldiers !

(1) « Onward, Christian Soldiers » : parole de Sabine Baring Gould, musique St Gertrude, de Arthur S. Sullivan.
(2) Churchill : François Bedarida, edition Fayart, pp. 59-60, p. 330, The Second World War, tome III, p384 trad FR, II, 2.
(3) Premier mots de sa Sainteté Jean-Paul II, sur le Balcon de la place Saint-Pierre, tiré de l’Ecriture (Marc VI-45 - Mathieu XIV-17 - Jean VI-29, puis après la transfiguration, encore Mathieu XVII-7 et enfin Luc XII-32).
(4) Entrevue du cardinal Angelo Sodano, 13 décembre 1996 cité dans Weigel, Georges, Jean-Paul II, témoin de l’espérance, éd. J.-C. Lattés, 1999 p. 652.
(5) The president, the Pope & the Prime minister, par John O’Sullivan (National Review, p12, « Indian summer of liberation »).
(6) Le conservatisme de ce dernier rompt avec le torysme « de Fer » incarné par un duc de Wellington, c’est la doctrine de la « One Nation ». C’est dans la nouvelle politique, « Sybil or the Two Nations », de 1845, que la « licorne des communes » décrit le Royaume-Uni comme « deux nations entre lesquelles il n’y a ni relation ni sympathie, qui sont aussi ignorantes des coutumes, des pensées et des sentiments l’une de l’autre comme si leurs habitants appartenaient à deux planètes différentes ». Il parle bien entendu des « riches et des pauvres ».
(7) Jésus de Nazareth, benoît XVI Ratzinger, p. 53, citant, le jésuite allemand exécuté par les nazis Alfred Delp.
(8) Land of Hope & Glory, composé par Edward Elgar sur un livret de A. C. Benson.
(9) Churchill, François Bedarida, édition Fayart, p. 301 « l’heure la plus belle 1940-1941 ».
(10) Idem p. 93, « discours du trentième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme ».



3 réactions


  • Céphale Céphale 19 mars 2008 15:35

    La France n’a pas eu la chance d’avoir un Winston Churchill et une Margaret Thatcher, mais elle a dans son patrimoine un grand écrivain conservateur : la comtesse de Ségur.

     

    Il faut lire et relire son chef d’oeuvre : Les petites filles modèles. On voit avec ravissement combien les pauvres sont utiles à la société en même temps qu’à la religion, car s’il n’y avait pas de pauvres les riches ne pourraient pas faire la charité.


    • Icks PEY Icks PEY 19 mars 2008 17:36

      @ Céphale

      « car s’il n’y avait pas de pauvres les riches ne pourraient pas faire la charité. »

      Cela étant dit, s’il n’y avait pas de riches, il n’y aurait pas grand monde pour donner à bouffer aux pauvres.

      @ l’auteur

      Merci pour votre article.

      Icks PEY


    • Jérôme L.J di Costanzo 19 mars 2008 17:55

      Je constate qu’en France on reste assez sectaire quand on parle de religion ou de conservatisme. C’est le grand handicape du pays. Essaillez de courrir un cent métres avec une seule jambe !

      il faut aussi en tout partialité observer , que le communisme, ideologie non conservatrice par essence et Athéiste. A bien su abuser des "pauvres", et je vous passe les exactions faites au nom de ces derniers.


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