vendredi 7 juillet 2017 - par Paul ORIOL

Cinque Terre, 176 marches

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Ils sont tous deux, étendus, nus, au retour d'une belle promenade, dans la montagne, le long d'un des sentiers des Cinque terre, entre les bleus du ciel et de la mer. Fatigués par la balade et par les 176 marches à gravir pour atteindre la chambre. Mais simplement heureux. Rafraîchis par la douche et la caresse de l'air qui circule entre les fenêtres, largement ouvertes.

 

Les fenêtres sont bien disposées. Le soleil n’entre pas. Par celle qui est en face d'eux, la vue s'étend, au dessus des toits et des jardins, jusqu'à la mer d'où remonte l'air frais. Par la fenêtre de gauche, les arbres peignent de verts multiples la colline. Au milieu de ces verts qui descendent en cascade vers le village et la mer, à mi-pente, un énorme buisson de lauriers roses se hausse du col pour se faire remarquer de loin.

 

La main brune passe lentement sur la peau que le soleil a, à peine, teinté. Un frisson naît entre les deux, se propage, lentement, de la main ? De la peau ? La main progresse, effleurant le corps qui semble imperceptiblement se glisser, s'offrir, favoriser le déplacement des doigts. Trois pulpes qui cherchent à capter la douceur du grain, à répondre à l'attente, à effacer et renouveler la tension en progressant.

 

Les corps se tendent. Se rapprochent. S'effleurent. Les yeux se ferment pour garder la luminosité et la fraîcheur de l'air. Pour permettre la concentration sur les ondes qui courent dans tous les sens, qui affolent.

 

La main brune glisse, rencontre de fines broussailles, les éveille, leur donne un souffle, les fait presque murmurer comme le vent fait chanter les feuilles de l'arbre, s'agiter les branches, vibrer le tronc jusqu'aux racines. Aspirant la vie de la terre. Nourrissant sa puissance de son désir.

 

A ce calme silencieux s'ajoute maintenant la voix grave d'un homme, tranquille, incompréhensible mais porteuse de sérénité. Qui parle, sous la fenêtre, seul ou au téléphone ou à un interlocuteur silencieux.

Ils sont tous deux, à travers ces fenêtres ouvertes, seuls, en pleine nature, calme, baignée de soleil, de couleurs, de courbes.... bercés par cette voix qui vient remplir la beauté apaisée de cette fin d'après-midi et l'humaniser.

 

Cinque Terre, 176 marches

Le sifflement du train chante l’accord de la nature et des amants. Suivi d'un terrible braillement de ferraille.

Pourquoi ce bruit dissonant avec l'instant, avec le paysage, réveille-t-il une phrase lue récemment... " le projectile tape dans la tranchée ; on dirait le coup de griffe d'un tigre rugissant ".

 

Le train est déjà loin mais le trouble persiste, s'incruste. Le bleu profond de la mer qui, tout à l'heure, n'était que source de sérénité et d'harmonie, semble afficher le calme hypocrite d'un linceul pour ceux qui fuient la misère et qui sont, partout, rejetés.

 

Comment l’harmonieuse puissance de la nature peut-elle couvrir de son indifférence les tueurs qui se cachent, les malheureux qui fuient la misère, les amants qui s'enferment dans sa bulle de silence et de douceur…
Comment peut-elle être la sérénité absolue d'un après-midi d'été et la sépulture en colère de milliers de marins pêcheurs ?
Comment la même mer, aussi bleue, aussi calme, peut-elle être, ici, l'image du plaisir des femmes, des hommes, des enfants, du bonheur des amants et un peu plus loin le drap mortuaire de milliers de personnes dans la complicité des hommes et des éléments.

Cinque Terre, 176 marches


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