lundi 6 août 2018 - par C’est Nabum

La Salamandre

Les cousins de la loge

Il était une fois un grand personnage, un homme si bien mis qu’il devait pour le moins être un Prince, chassant en forêt d'Orléans. Il avait renoncé à être accompagné, désirant pour une fois, aller seul dans les bois, jouir du spectacle de la nature, surprendre les animaux, écouter le chant des oiseaux. La chose était si rare pour lui qu’il en était tout étourdi. Il jouissait pleinement des merveilles qui l’entouraient, renonçant même à tuer, se contentant d'admirer la nature et de profiter de ce moment rare.

Tout à sa contemplation il allait en tous sens, revenant sur ses pas, tournant en rond tant et si bien qu’il se trouva perdu et incapable de retrouver un point de repère. La nuit allait le surprendre, ses gens ne manqueraient pas de s’inquiéter sans pour autant être en mesure de venir à son secours. Il avait tellement taillé la route, fuyant la foule de ses suiveurs, qu’ils ne penseraient jamais à le quérir aussi loin.

François, car tel était son prénom, se préparait à passer la nuit seul, sans grande inquiétude toutefois il est vrai, tant l’homme avait connu les champs de bataille et des aventures extraordinaires. Pourtant, au loin, les hurlements d’une horde de loups lui glacèrent le sang tandis que le brame du cerf dans pareilles circonstances, ajoutèrent à la sourde inquiétude qui naissait en lui. La nuit, la forêt semble peuplée d’ombres et de mystères, François découvrait ainsi que l’homme tout puissant qu’il puisse être, doit avouer sa faiblesse face à l’immensité de la plus grande forêt du royaume.

Le froid, les rumeurs de la nuit, la proximité des loups lui firent en rabattre de sa prestance légendaire. Il avait peur pourquoi ne pas se l’avouer puisque nul ne pouvait s’en rendre compte. Sa solitude lui permettait de sauver sa réputation. Mais qu’allait-il devenir ? Son cheval piaffait, ruait. L’animal lui aussi avait été gagné par l’angoisse. Il lui fallut mettre pied à terre pour éviter de choir lors d’une ruade. Décidément l’aventure prenait véritablement mauvaise tournure …

François en était là de ses tourments quand il vit surgir de derrière les buisson, un charbonnier, un bûcheron qui constituait des fagots de charbonnettes, des bois de hêtre, tous coupés à la même longueur avec une précision diabolique. L’homme des bois salua celui qui était perdu et l’invita, sans même savoir qui il était à venir passer la nuit dans sa modeste demeure.

François, ravi de l’aubaine ne se fit pas prier. Il accepta avec plaisir cette opportune main tendue, se présenta sous ce simple prénom, sans rien dire de ses titres. Il découvrit ainsi une curieuse maison construite dans les bois, non pas un palais somptueux où il avait l’habitude de vivre, mais une loge, un modeste « cul de loup » comme la nommait le forestier.

C’était une cabane adossée à un talus, entourée du socle de terre de 50 cm de haut afin sans doute d’écarter les animaux fouisseurs. Construites de rondins et de fascines, la loge était couverte de mottes de terre herbues. Elle avait une forme ni tout à fait ronde ni tout à fait régulière, se contentant de suivre les mouvements du talus. À l’intérieur, un foyer de pierres et de briques dispensait une chaleur bienfaitrice. Une marmite y était pendue, un bol de soupe fut offerte au visiteur qui n’avait jamais apprécié de la sorte, ce plat simple et rustique.

François passa la nuit sur une litière de feuilles mortes. Au matin, il remercia le charbonnier lui promettant de revenir pour le récompenser comme il se doit. L’homme l’invita à le retrouver à la prochaine pleine lune, à la Saint Thibault. Il le mènerait au cœur de la forêt, découvrir le grand secret des loges. Intrigué, François promit d’être au rendez-vous, en retrouvant son sauveur ce soir-là, juste devant sa loge.

C’est ainsi que quelques jours après, celui qui bien que roi de France, ne voulait pas se faire connaître, revint devant le « Cul de Loup » où il avait passé une nuit salvatrice. Le charbonnier qui sans doute l’avait reconnu tout en respectant son désir de ne l’être point, avait dans l’idée de le conduire au grand rassemblement de ceux de sa profession, société ésotérique et clandestine qui se réunissait dans une clairière au milieu de la forêt sacrée des Carnutes, la belle et grande Leudica, comme ils la nommaient.

Là, au carrefour des huit routes, à deux pas de la voie et des camps romains, se tenait une cérémonie initiatique, une célébration des forces mystérieuses de la création. Une grande meule trônait au centre de la place. C’était un immense tas de rondins de hêtre posés savamment sur quelques étais de chêne. Le tout, avait la forme d’une immense meule de foin couverte de terre et de mousse afin que la combustion lente permette de produire du charbon de bois selon la technique de la pyrolyse. Du cœur de la meule, une cheminée naturelle d’où sortaient des volutes de fumée blanche.

Les charbonniers étaient installés en cercle, à distance de la combustion mystérieuse. Ils échangeaient des propos empreints d’une grande sagesse tout en honorant le dieu Mithra, le principe créatif de la lumière. La Loge des charbonniers fut à la création des loges maçonniques. François assistait à cette célébration des savoirs occultes quand une salamandre sortit de la base de la meule. Tous alors de se lever et d’admirer ce prodige, l’animal sacré, celui qui selon la légende vivait dans les flammes et transformait le mauvais feu en bon feu.

C’est à ce moment là précisément que la fumée de blanche devint noire. La transmutation du bois en charbon était arrivée à son terme. La métamorphose magique venait de s’achever et le charbon allait permettre les travaux des forgerons. François profita de l’émotion qui avait étreint tous les participants pour prendre place sur le billot central, celui qui servait de trône à celui qui semblait mener la cérémonie. Le grand maître s’indigna de l’insolence du bonhomme et s’adressa à lui de manière virulente.

« Mon bon cousin, tout roi de France que vous êtes car nous devons bien le reconnaître, nous vous avons tous reconnu, cela ne vous donne nullement le droit de prendre la place de celui qui règne ici, en l'occurrence votre serviteur, grand pontife : le « pater patratus ». Vous devriez savoir, notre bon Prince, que Charbonnier est maître chez soi. Laissez-moi la place que la cérémonie puisse se poursuivre ! »

François premier, en dépit de sa maladresse fut initié, marqué du sceau charbonnier afin d’être adoubé. C’est ainsi qu’il devint membre de cette société secrète et adopta tout naturellement la Salamandre comme emblème royal. Il garda pour lui les raisons de ce choix et jamais il n’expliqua pourquoi il donnait du « Mon bon cousin, ma bonne cousine » désormais à ses proches, à la manière des maçons et des rosicruciens. Il avait appris, cette nuit-là bien des secrets. Il fit également la connaissance d'un personnage énigmatique d’un savoir immense qui se faisait appeler Léonard.

La face du royaume allait être changée durant cette nuit en forêt d’Orléans. La nation pouvait enfin sortir des ténèbres pour aller sereinement vers la Renaissance des arts et de la culture. On bâtit alors des châteaux qui tournèrent le dos aux conceptions guerrières, la beauté et la sagesse avaient désormais leur place dans les mœurs de la suite du roi.

Léonard de Vinci fut le grand artisan de ce renouveau magnifique. La salamandre en fut le symbole, elle qu’on trouve en maints endroits dans le Château de Chambord. Nul ne sut jamais les origines de ce tournant capital pour l’histoire du Royaume. Cela se passa à Ingrannes, vous feriez bien de me croire ou je serais bien capable de vous brûler les arpions. Je ne serais pas autrement surpris qu’il en émane alors une odeur de cochon grillé. Je referme ma besace, le temps est venu de découper le goret et d’arrêter de raconter des sornettes.

Esotériquement leur.



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