Ce jour où les adultes croient au Père Noël
Et surtout la santé !
Avec une semaine de retard.
Les plus accrochés vont décompter les secondes ; les carillons, les cloches, les sirènes et même les klaxons attendront avec impatience ce moment fatidique, cet instant qui effacera les peines et les chagrins, le mauvais sort et les coups tordus. C'est à minuit qu'il sera zéro heure, que l'instant du crime deviendra, ce soir-là uniquement, l'heure de toutes les espérances et de tous les souhaits.
Curieux sentiment confus, vaine croyance superstitieuse qui s'accroche à l'idée qu'un nouveau chiffre au bout de l'année va pouvoir inverser le cours des choses, changer les humains et bouleverser la destinée. Les adultes plus encore que les enfants, s'arc-boutent à ce désir magique d'un nouveau lendemain qui effacera l'ardoise du passé. Une semaine après Noël, c'est la ronde des rêves d'enfants devenus grands !
Pour bien montrer l'importance considérable de ce jour qui n'est rien de plus que le prolongement du précédent et l'éclaireur du suivant, pour bien nous installer dans l'illusion d'un renouveau qui n'est même pas solaire celui-là, le président en personne se taxe de sa déclaration solennelle. « Mes chers compatriotes,nous venons de vivre une année terriblement difficile. Mais c'est grâce à elle que va se construire un avenir plus radieux ... »
Des agitations de ce petit homme si normal, nous nous en moquons bien ; nous avons, depuis belle lurette, perdu le respect de la fonction et la croyance en la parole politique. Malgré tout, encore bien naïvement, nous espérons en ce jour capable de changer la face du monde. La seule certitude pourtant c'est que les seuls bénéficiaires de ces instants bénis seront les groupes qui s'occupent de la télécommunication
Je te souhaite, tu me souhaites … La banalité de cet instant me fait fuir ces fastidieux échanges de formules creuses et de bises improbables. Si ce n'était qu'une corvée limitée à ces quelques minutes qui feront basculer tous les calendriers du monde, passe encore. Mais il faudra supporter ces discours creux et ces formules vides, tout au long d'un mois de janvier, parsemé de cérémonies pompeuses et de rencontres hypocrites.
Je hais ce virage annuel, cet instant fictif, signe du seul arbitraire de l'art calendaire. Deux réveillons, c'est encore supportable mais l'effusion du second au douzième coup de minuit est pour moi la plus vaine et la plus insupportable expression de notre naufrage intellectuel. Cette pensée magique à deux balles, accompagnée de cotillons et de langues de belle-mère, ferait se dresser les cheveux sur les têtes de tous nos grands philosophes passés.
Fuir ces instants délirants d'une hystérie collective parfaitement orchestrée par tous les médias et les vendeurs de soupe, est une nécessité absolue pour moi. Que puis-je répondre à ces gens que je ne connais ni d'Éve ni d'Adam et qui veulent me claquer des bises sonores accompagnées de propos lénifiants ?
Oui, surtout la santé ! C'est ce qui compte vraiment. Bien sûr, il faut espérer des jours meilleurs, une conjoncture plus favorable, une économie plus responsable et solidaire, un renversement radical des principes qui régissent ce monde. Mais à quoi bon croire que tout sera possible sous le prétexte fallacieux qu'un quatre a bouté un trois de votre agenda ?
Rien ne changera vraiment au réveil. Celui-ci sera difficile, à cause d'un léger mal à la tête, de quelques douleurs dans la région du foie , par la suite, après un premier jour de l'année passé dans le brouillard et l'apathie, tout reprendra comme avant, ni en mieux ni en pire d'ailleurs. Seules les inévitables patinoires de nos marché de Noël et les guirlandes dans nos villes vont disparaître pour les onze mois qui viennent. Pour le reste, aucune fée ne viendra métamorphoser ce monde en déliquescence.
Alors vous êtes prévenus, ne m'imposez pas vos grimaces factices et vos propos verbeux. Laissez- moi à ma misanthropie congénitale et surtout ne me souhaitez RIEN. Gardez vos vœux et vos promesses pour ceux qui ont encore envie de croire à ces fadaises, qui ont besoin d'elles pour exister encore. Je ne vous souhaite que le bonjour car c'est bien la seule perspective sérieuse qui nous est offerte : la journée qui se présente à nous quand le soleil se lève. Le reste n'est que projection douteuse, perspective incertaine et pari insensé. Le champ des possibles est borné tout autant que je puis l'être ; c'est la seule certitude que nous ayons !
Sylvestrement vôtre
Tous mes bons œufs pour la suite ...