samedi 6 février 2010 - par Fred William Dewitt

Cornichon – Episode 3 : ôdes publicitaires

Depuis que la droite est au pouvoir, Loretta Urgo, ma voisine de palier et moi même nous nous amusons comme des petits fous. Récemment, on a fait une blague au concierge. Depuis la sortie de la loi HADOPI, chaque citoyen est responsable de sa connexion wifi, or les fournisseurs d’accès à internet comme Numéricable (le fournisseur de mon concierge), Orange ou encore Alice utilisent pour la plupart de leurs box un système de sécurité par défaut nommé WEP qui se casse en 10 minutes. On a donc piraté son réseau et téléchargé pour rire plusieurs fois l’entière discographie de J.J. Goldman. L’effet frederic mitterand immédiat a été d’avoir son accès internet coupé pour cause de contrefaçon de musique Universal. Le plus drôle dans l’histoire, c’est que ce concierge est sourd, et que internet était le seul moyen de communiquer avec son fils unique qui habite a des kilomètre.

La loi hadopi a été votée pour arrêter le « pillage », et ce à contre courant de toutes les études qui prouvaient que cela stimulait la consommation culturelle, alors qu’en fait les vrai pilleurs de musique, c’est nous les publicitaires.

Pour comprendre ça, revenons si vous le voulez bien (et tant pis si vous ne voulez pas) sur la genèse d’une publicité. Tout commence dans un Quick, ou dans un Burger King pour les plus chanceux. Un projet à rendre pour une boîte commandé par le service marketing d’une filiale d’un produit, lui même dans l’entreprise mère des filiales, englobée elle même dans un système plus gros et exotique (puisque installé pour des raisons de commerce équitable – aider les populations du monde – dans les ïles Caïman) : d’un bout du monde au PMU de Nanterre.

On fait un premier jet, on le travail. Il ne faut pas croire les idées reçues, on a de l’estime pour la création audiovisuelle. On est juste des réalisateurs de fiction qui, à un moment crucial de leurs carrières, ont subi un délit de faciès face à des arrogantes personnes du Cinéma qui nous ont pas considéré de leurs « crew », recueillis dans un landeau sur les eaux du Nil par le monde de la publicité. L’un dans l’autre, on défend notre école, on est obligé d’être nous même méprisant sinon on ne serait plus crédible.

Alors, on étudie, on maitrise plutôt bien la chose dramaturgique parce que dans notre obligation de rapidité et de synthèse, nous avons développé des constructions plus performantes en terme de persuasion (oui, ne faites pas votre fan-boy du cinéma avec un grand C, un film c’est une publicité qui vante son propre crédibili-intéret). Les séries ont adopté nos structures, nos codes, puis les films ont progressivement fait le parallèle avec les séries.

Une fois le script fait, on écrit un autre papier, qui grosso-modo contient le triple d’image que contiendra le spot, pour vanter ses mérites, ses vertus narratives, pourquoi il faut absolument que c’est lui le plus mieux qui va changer la marque et éventuellement guérir le sida.

Et généralement le script est bon, drôle, un peu élitiste (je vous rappelle qu’on se doit d’être méprisant, et aussi que c’est la fautes des cinéastes) et il passe en conseil d’administration où il se fait taillader en pièce pour devenir une sorte d’extrait de soap-opera dans lequel la dialectique ressemble à une lettre de menace réalisée à partir d’un journal papier – économique donc. Mais pas économie de moyen, on parle d’éco-sémantique : on ne crée pas d’entropie consumériste (oh, je vous ai fait peur, rassurez vous, cela veut juste dire qu’on dit tout et son contraire ce qui permet d’ôter tout discernement au consommateur sur ces choix et son propre mode de consommation) avec des messages compliqués (dur de reprendre la phrase, hein ?).

Et c’est là où vient notre lien amicommercial avec la musique. Comme le film n’a plus aucun intérêt dramaturgique, il faut lui en attribuer, et comment on fait ? Allez , la réponse est dans la première phrase du paragraphe, en mettant de la musique. C’est un véritable hold-up qui se fait de deux manières.

Soit on fait un un hold-up culturel, on prend une musique connue, du classique c’est mieux pour les marques d’une manière générale, et on en fait un thème. A chaque spot, on retrouve l’air. Plus l’air est inscrit culturellement chez le public, mieux ça marche, et ce, parce que certaines classes de populations reconnaissent sans vraiment connaitre la source de la mélodie. David Coperfield, youplaboum, on remplace la source méconnue par une marque bien connue dans l’univers socio-discursif du récepteur. Reflex de Pablov, lève la patte consommateur car Casino n’attend pas.

J’étais fasciné de voir que le fils de ma soeur (vous ne croyez quand même pas que j’ai le temps de faire des enfants, j’ai a peine le temps d’aller sur internet pour commander les femmes que je fréquente) associait directement l’oeuvre de Grieg, le château du roi de la montagne, une de ses oeuvres les plus admirables (c’est pas parce que je participe à la destruction sémantique de la culture que je ne l’aime pas), aux vendeurs de fenêtre Lapeyre dans un raccourcis pratiquement cognitif. Nous avons réussi là où les propagandes fascistes n’avaient qu’a peine effleuré les capacités du remodelage idéo-culturel. Comment peut-on encore apprécier le quatuor précis des voix de « Mr Sandman » sans penser aux supermarchés Auchan ? Les exemples sont nombreux, massacrer un classique dans une publicité récurrente pour aboutir un amalgame total et très juteux pour nous.

L’autre possibilité, encore plus rentable, c’est un hold-up des nouveau talents. Et là, dieu (non je ne crois pas en dieu, je vis au 21ème siècle grégorien moi) bénisse MySpace. Des milliers de groupes sont prêts à se vendre pour des contrats précaires. Je vous cacherai pas que cette méthode n’est pas gratuite, il en faut du temps pour pas faire le tri depuis que n’importe quel imbécile qui a eu une guitare en plastique à noël peut mettre ses gammes sur internet. Le temps c’est de l’argent, et heureusement, on a inventé les stagiaires pour passer ces heures ( un stagiaire c’est 2€ par heures, heures supplémentaires rarement revendiquées – « Mais oui tu l’auras ton CDI, allez à demain »).

Une fois la perle trouvée, elle devient l’emblème de la marque pour un temps. La musique ne nous a rien couté et on lui croque sa sémantique artistique par une répétition systématique de ses trois notes. Oh je vous vois me juger, mais pensez à Yaël Naim qui a été sauvé par la publicité d’Apple, sa maison de disque est en plus très engagée pour Hadopi, et nous on aime bien Hadopi parce que le gouvernement est très gourmand en publicité pour vous faire comprendre qu’il a raison.

Et voila c’est aussi simple que ça, Tings Tings se retrouve dans trois publicités (on était content, ils avaient la patate, une musique accessible de 7 à 77 ans et rythmé, c’était le jackpot) : Fanta (coca cola), Apple et Vivelle Dop (Lascad). Le plus génial dans tout ça, c’est que les artistes n’ont pratiquement pas leur mot à dire, tant qu’on arrose la boite de production (dans le cas de myspace, j’ai remarqué que des prix à 4 chiffres suffisent à impressionner les jeunes). Bon je vous cacherai pas (oui il y a beaucoup de choses que je ne vous cache pas) qu’à force d’entendre les dites musiques, le public se lasse très vite d’un groupe qu’on entend trop, c’est jetable, mais c’est excitant : on trouve, on détruit, on recherche. C’est le cycle de la vie, et tout ça pour une voiture, un paquet de lessive ou encore du matériel hi-tech.

Pour notre publicité de cornichon, on a fait nos recherches, on a trouvé un musique type « familial ». Un bref contact, les auteurs sont méfiants, on fait un premier apport de 400 euros via paypal (oui on a viré un stagiaire) et ils ont dit oui tout de suite. Il manquait plus qu’a écrire la publicité. C’est un mécanique qui fonctionne parfaitement bien, le public est très réceptif, l’empreinte marque est totalement percutante.

Cela dit n’oubliez pas le fondement de ce choix délibéré : nous publicitaire séparé du crew cinema, offrant des scripts qui se font taillader par des administratifs pour ressembler à ça :

« Lors d’un repas, un chef de famille tente de raconter, à ses enfants et sa femme, une blague qu’il a entendu au bureau (Notes du DA de L.Com : ethnie des personnages non discernable : variante porto/espagnole/marocain/anglais/allemand). Sa famille ennuyée d’une énième histoire drôle dont la narration est épuisante, se met à croquer des cornichons AMORA pour couvrir le son de sa voix. Le spot se termine par une réflexion espiègle de la jeune mère (Note DA : je vous laisse champs libre pour celle là) »

.. et bien nous n’avons pas d’autre choix que de mettre un peu de musique sympa, au moins ça vous fait passer le temps, le nôtre aussi. Finalement, ça ne vaut pas mieux que les publicité Leclerc où vous entendez la même phrase 6 fois d’affilée (avec une comparaison de prix douteuse) ? ou toujours ces spots où un homme vous regarde produit en main et droit dans les yeux en vous assurant : « ça fonctionne ! ». Au diable la sémantique culturelle, Barthes n’aura rien pu empêcher.



2 réactions


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 6 février 2010 11:25

    Bonjour,

    c’est dommage, votre traduction reflète tout à fait l’esprit anglo-saxon, mais cela ne fait pas mouche chez les latins. Pourtant, votre texte définit parfaitement comment ces textes de lois internicides viennent au secours de la pub qui pille le patrimoine musical pour vendre les cornichon amorals...

    Pourtant, vous avez entièrement raison. Amora la pub ! 


  • sisyphe sisyphe 6 février 2010 22:37

    Intéressante dissection ...

    Mais ça finit en queue de cornichon qui, comme la banane, en a deux...

    A suivre ?


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