Fin de partie
La coupe est pleine
Voilà, une fois encore je suis sorti vivant de ce marathon infernal de repas festifs et de réveillons traditionnels, de verres à lever et d'apéritifs dinatoires. L'homme civilisé a retenu la leçon de ses ancêtres archaïques. Il se doit de faire de grandes réserves avant le terrible virage de l'hiver. À ce niveau là, c'est plus qu'une mesure de précaution, c'est de la folie douce.
Heureusement, j'ai depuis belle lurette renoncé aux crottes en chocolat, aux pâtes de fruits, aux marrons glacés et aux friandises de nos marchés de Noël. Je ne touche pas plus à la cerise sur le fardeau : la galette des rois. L'épiphanie constitue, il me semble, le point d'orgue (de barbarie) de cette avalanche alimentaire, le sommet de la lourdeur et de l'indigeste.
J'ai fait les comptes ou plutôt la balance a accusé le choc et le surplus. Le verdict est terrible, il me reste sur l'estomac qui est, lau-delà de sa vigoureuse proéminence, en fort triste état. Quand on songe à tous ceux qui ne mangent pas à leur faim, nous nous moquons d'eux en nous goinfrant sans fin. La punition est redoutable. Quand les uns n'ont pas le nécessaire, les autres sont menacés par l'infarctus. Ce monde est injuste ….
Il y a toujours plus odieux de par ce monde merveilleux. Notre ami Gégé, modèle de tempérance et de modération va prolonger les fêtes en se farcissant un Noël orthodoxe pour célébrer les desserts franco-russes, les vins de France et les alcools blancs si chers à son ami Vladimir. Son appétit est immense et son désir d'accumuler des graisses est tel qu'il souhaite les mettre à l'abri des ponctions adipeuses de la fiscalité française.
Mais revenons à nos gueuletons hexagonaux et sur-taxés. Je dois avouer que je ne suis pas raisonnable, je n'ai pas souhaité faire comme mes comparses des grandes villes. J'ai renoncé à ce tour de grande roue qui symbolise désormais la magnificence de l'Avent et permet de vomir tout son saoul et pour son beau loisir avec une vue imprenable. J'ai gardé les excédants et maintenant je les porte comme un bouclier abdominal.
Je n'ai pas non plus sombré dans les fontaines de vin chaud et me gavant de gaufres. Je suis impardonnable. Je tourne le dos à ce qui fait le charme de cette merveilleuse période vouée à la délicatesse et à la gastronomie factice. J'ai ainsi renoncé à la crise de foie qui vous force pendant quelques jours à la tisane et au jeûne. C'est ainsi que j'ai pris un peu de tour de taille pour ma plus grande honte !
C'est décidé, demain je me mets à la diète tout comme mon gros ami Gérard. Je vais tourner le dos à la galette indigeste du travail, à mes amis et leurs vœux autour d'une bolée de cidre. Je compte redevenir l'anachorète de l'assiette, l'ermite de la cellulite, le pénitent du crémant. Je dirai non à tous ces appels du pied ou bien du coude de mon camarade le diable et son bon ami cholestérol.
Je vais à nouveau enfourcher mon vélo d'appartement. La sueur doit couler, le péché de gourmandise doit se payer par des heures de souffrance. Je vais me faire forçat du régime après avoir été bagnard des tables et des bars. L'hiver sera rude : soupe et pain sec le tout arrosé d'eau du robinet. Il faut punir le pêcheur par là où il a pêché. Je sens ma conviction qui défaille ...
Je n'ai que ce que je mérite, ne vous apitoyez pas sur mon sort. Pensez, vous aussi à vous mettre en selle ou bien au régime sans sodium. De toute façon, nous ne ferons que devancer l'appel, prendre un peu d'avance sur ce que nous réserve notre cher gouvernement. La TVA va s'envoler, les prix iront plus vite encore car c'est toujours ainsi dans notre bon pays. Le chômage ne fera que croître et l'austérité nous poussera à nous rabattre sur les coquillettes.
Alors, prendre les devants, c'est se faire à l'idée que nous venons peut-être de vivre les derniers instants de notre société d'opulence. Nous allons nous serrer la ceinture pour notre plus grand bien d'autant que les cerveaux fuient notre nation. On annonce le départ de Depardieu et Bardot, bientôt il n'y aura plus de guide spirituel dans notre pauvre pays de France.
Courage les amis, acceptez vous aussi cette évidence. Nous entrons en récession, nous découvrons la nécessité des sacrifices, nous allons puiser dans nos bas de laine pour manger des patates à l'eau et des nouilles au beurre le dimanche ou un autre jour à votre convenance (nous sommes un état laïc). Nos réveillons seront alors un lointain souvenir. Finalement, ce qui est pris n'est plus à prendre, j'ai bien fait de me garnir de quelques kilogrammes superflus, ils vont me permettre de tenir dignement un peu plus longtemps que nos pauvres ….
Indigestement vôtre.