mardi 4 mai 2010 - par Fred William Dewitt

Le Plan Blanc, épisode 1 : Enlarge your péniche

Spéculer, c’est ma grande passion. J’ai découvert ça quand j’étais vendeur à la Fnac. Chaque jour, mon métier était de vendre des vieux films en DVD, âgés de plus d’un demi-siècle (comme « Casablanca ») à des prix comme 23 euros (tout en sachant qu’il est à 10 euros sur le site du magasin). Stimuler les gens, je suis fort à ça. Blue-Ray ou DVD, la technique est la même : « Non monsieur, c’est pas cher pour un film de cet acabit, d’autant plus qu’il a été remastérisé à partir des vraies bandes originales du début qu’y’en a pas d’autres pour une qualité sonore et vidéo hors du commun, on a enlevé toutes les imperfections, on a remplacé les armes par des talkies-walkies, et surtout c’est de la haute définition, édition collector pour toi chez toi ». Les gens sont facilement ébahis, ils sentent tout d’un coup ce sentiment de perfections de ultrabright-very-best of de la marchandise.

Il y a deux domaines où détruire l’adage « le mieux est l’ennemi du bien » est d’une facilité consternante : l’informatique et la pharmacie. Comme j’ai quelques années à perdre, j’ai choisi la pharmacie. J’ai donc fait 6 ans d’études, dont une partie en tronc commun avec des médecins qui avaient comme hobby de nous mépriser et je me suis immiscé dans une petite pharmacie urbaine, le rêve américain quoi

Contrairement à l’idée reçue, les sites comme doctissimo ne nous embêtent pas plus que ça, en fait ce genre de repaire de neurasthéniques qui se font diagnostiquer des cancers du côlon à cause d’une mauvaise toux a plutôt tendance à accroitre notre clientèle, une clientèle plus bête, certes, mais une clientèle quand même. Ces clients balayent vos années de labeurs en université et vous donnent des cours de pharmacie. Elle vous crache dessus parce que le médicament qui guérira votre maladie imaginaire n’est prescrit que sur ordonnance, et que vous avez honte d’aller avouer à votre très sérieux médecin que l’internaute « Hercules34 » vous l’a conseillé sur les forums de Aufeminin.com.

Heureusement, vous dites vous, bientôt, votre défenseur du pouvoir d’achat, Leclerc s’engage, que dis-je, se bat pour vendre des médicaments, et un jour, nous, les pharmaciens, nous serons tous penauds. « C’est la publicité à la télé qui le dit, et puis de toute façon, je vais aller à une autre pharmacie ! Je suis sûr que je n’ai pas besoin de prescription pour ce médicament ». Amusant de savoir que peu de gens savent qu’on peut mourir sans trop forcer d’une surdose de Nurofen, qu’il ne faut pas prescrire d’aspirine à une femme qui a ses règles... Je ne parle même pas des divers médicaments, dits « bénins », qui se combinent très mal avec l’alcool. L’étudiant qui travaille chez Leclerc sera évidemment soucieux de vous en faire part s’il n’est pas trop occupé à expliquer à une cliente quelle est la différence entre peaux grasses et mi-sèches. Les gens adorent se customiser, ils adorent faire du tuning corporel : Amincir, agrandir, élargir, affermir, faire clignoter.. Cette vitamine pour ma peau, cette vitamine pour mon intelligence, celle-ci pour ma vigueur physique et celle-là pour stimuler et drainer mes tissus adipeux. L’auto-médication ce n’est pas un problème d’éthique, mais d’éducation.

Mais va, va t’acheter pour 60 euros de produits, après tout ça fait 10 ans qu’on répète dans les médias qu’aucun antiride ne fonctionne vraiment, qu’aucun régime via parapharmacie n’est réellement efficace. Nous jouons beaucoup sur l’effet psychologique de l’achat en pharmacie. Des petites boites éclairées aux néons aseptisés avec « plus mieux pour toi » sur la boite, et finalement avec un peu de chance et de placébo, vous y croirez tellement fort que ça finira par se réaliser. Et ça marche, très bien, mais on doit beaucoup à nos amis de la presse féminine.

Les clients nous prennent pour des épiciers. Quand on leur conseille quelque chose, il y a trois possibilités : soit le médicament est remboursé et c’est donc surement un produit à l’efficacité réduite, soit ils ne sont pas remboursés et donc on les arnaque, soit ils ne sont pas couverts en entier et c’est donc qu’on est sous le lobby d’un labo pharmaceutique. Et bien quoi ? Oui c’est vrai pour la plupart du temps, les entreprises de lecteur DVD donnent aussi des primes aux vendeurs en supermarché pour avoir leurs produits plus en avant, ou beaucoup plus présents dans les conseils, et ça ne vous a jamais déplu.

Pire, la plupart du temps chez votre médecin adoré, c’est le même trafic que vous approuvez avec amour. Le vilain porte stylos (vous savez, celui en plastique immonde, avec parfois des petites billes à l’intérieur pour rendre le tout plus ludique) de chez Sanofi, soigneusement posé à côté de la lampe, cache souvent un voyage à Tahiti pour la mise en avant de certains médicament, ou forme de médicament dont les stocks n’auraient pas été écoulés (les suppositoires, c’est plus en plus dur). Et quand il signe sa prescription, vous êtes tous soulagés, non ?

De peur de suivre nos conseils, vous préférez parfois acheter plus de produits, ou des produits plus cher, surtout éviter le très communiste générique. Cela ne fait pas forcément gonfler nos marges, mais administrativement c’est le chiffre d’affaire qui compte. Alors sans confiance, faire comprendre à un asthmatique, qui n’est pas en crise, qu’un médicament comme la ventoline a besoin d’une prescription (parce, par exemple, il provoque un effet d’accoutumance comme le défunt Nopron qui faisait dormir les enfants pour que papa et maman puissent avoir leur relation sexuelle mensuelle), c’est aussi dur que faire comprendre à quelqu’un que si le prix du médicament est plus cher que leurs pharmacies habituelles, c’est pas parce qu’on veut faire plus de profit sur les antidiarrhéiques (ce que je vous consens est un chantage très astucieux), mais parce qu’on suit la loi du marché.

C’est pourtant simple à comprendre, on achète les médicaments aux laboratoires et plus on en prend, moins c’est cher. Après, c’est à la pharmacie de savoir si elle préfère investir sur une palette de Polaramine (antiallergique) ou plutôt une palette de préservatif, c’est souvent plus une question de géo-localisation que de choix personnel (je travaille à côté d’une gare, je laisse vos préjugés sociaux résoudre l’énigme). Bien sûr, dans certaines villes les pharmacies se regroupent pour faire des achats groupés, alors soit c’est la coopérative cool qui vous fait économiser de l’argent, soit c’est la mafia qui peut évincer et détruire une pharmacie qui n’a pas voulu se plier à l’exigence d’un lobbyiste local.

Heureusement, nous avons des jeux pour relâcher la pression. C’est Jean qui a eu l’idée, ça s’appelle le concours NAPED. C’est très simple, on s’est rendu compte que la plupart des clients qui arrivent en bout d’argumentation lâchent assez rapidement l’expression « C’est une non-assistance à personne en danger ! » (oui donc NAPED, merci de réfléchir). Que ce soit pour des médicaments bénins qu’on a plus en stock, que ce soit parce qu’on refuse de servir 5 minutes après la fermeture pour des ordonnances longues comme un bras qui datent de deux semaines et qui sont soudainement vitales ; ou encore parce qu’on refuse d’offrir des médicaments parce que les malades « oublient » leurs papiers de mutuelle ou leurs cartes vitales et s’offusque de devoir débourser quelques euros (qui leur seront évidemment remboursés si leur mutuelle est en règle)… on arrive toujours au même stade, le cri du coeur, le scandale qui éclate : non assistance à personne en danger.

À force, ça en est devenu drôle, et donc on a décidé de faire un concours hebdomadaire. Le dimanche soir, après que les derniers clients ayant une envie pressente d’homéopathie à 22 heures soient partis, on fait le décompte. Je ne sais pas si c’est le fait que je vienne du milieu des supermarchés, mais mes techniques de persuasion sont plus élaborées, et c’est un vrai handicap pour ce jeu. J’ai eu un NAPED d’honneur pour avoir réussi à l’avoir fait dire à quelqu’un qui était venu pour un hémorroïde, l’équipe a trouvé ça très classe.

On pourrait vous expliquer tout ça, mais à quoi bon. Alors que vous, les malades, écoutez religieusement les docteurs, c’est à peine que la parole d’un pharmacien, pourtant presque aussi bien formé, ricoche dans vos hémisphères. Quand un patient pense savoir ce qu’il veut, sans même réellement connaitre ce qu’il demande, il est comme une femme déjà anorexique qui se laisse embobiner par les jolies couleurs de la boite d’amincissant qui montre une magnifique fausse femme qui fait l’apologie d’une molécule brevetée qui « optimise l’absorption des sucres » ou « catalyse la consommation des calories » en se disant « un jour ça sera moi qui lèverai les bras comme pour m’étirer dans un maillot une pièce taille 12 ans ». Alors, à quoi bon ? Autant faire notre travail de médico-markéting, c’est le seul qui marche chez vous, même et surtout pour vous soigner, et à ça, on est devenu très fort.

Il faut croire que le serment de Galien s’est pris une sévère raclée par le serment d’Hypocrate.



15 réactions


  • LE CHAT LE CHAT 4 mai 2010 10:42

    Enlarge your péniche 

    excellent , rien que pour ça , je plusse , fallait le trouver !  smiley


    • Francis, agnotologue JL 4 mai 2010 10:54

      Sauf que péniche en anglais se dit barge !  smiley


    • Shaytan666 Shaytan666 4 mai 2010 12:29

      Péniche est un nom galvaudé par les profanes, c.a.d. les non-marinier, qui appellent « péniche » tous bateaux navigant sur les canaux, fleuves ou rivières. Un « péniche » est un type de bateau bien spécifique de 38,5 m de long et de 5,05 m de large.
      Conclusion : Il est impossible d’agrandir « enlarge » une péniche  smiley


    • Emile Red Emile Red 4 mai 2010 14:13

      Shaytan,

      Vous confonder « péniche » avec une péniche particulière, mais la plus répandue en France, dénommée « Freycinet. »...

      Ce n’est que par extrapolation que les mariniers appellent « péniche » la « Freycinet » sinon ils emploient communément le terme de « bateau », les péniches sont une famille de bateau fluviaux à fond plat dont les caractéristiques sont variables suivant l’époque et le lieu.


    • Shaytan666 Shaytan666 4 mai 2010 16:08

      Bon, on va pas discuter pour si peu mais je suis pas d’accord !

      Péniche  : bateau de transport d’origine flamande, et surtout pas bateau de plaisance ! La différence est la même entre une péniche et un coche de plaisance qu’entre un semi-remorque et un camping-car. La « vraie » péniche mesure 38,50 m (voire 39) sur 5,05 m et porte 250 tonnes en canal, et 350 tonnes en rivière profonde. C’est ce bateau, appelé aussi « spits » en Flandres, qui a déterminé en France le gabarit Freycinet. À l’origine, la péniche est en bois et non motorisée. Quand elle sera motorisée, elle évoluera vers l’automoteur de canal que nous connaissons.
      De la même façon qu’on nomme parfois « baleine » indifféremment le cachalot, l’orque ou le bélouga, le grand public qualifie de « péniche » tout bateau fluvial, jusque et y compris les petits bateaux de plaisance en plastique ! C’est une profonde erreur, due au fait que la péniche a supplanté peu a peu tous les autres types de bateaux fluviaux au cours de la première moitié du XXe siècle, et s’est ainsi généralisée. La péniche est un bateau bien particulier, aux dimensions et formes bien définies, et ne saurait être synonyme de « bateau fluvial ».

      http://projetbabel.org/fluvial/p.htm


    • Emile Red Emile Red 4 mai 2010 18:19

      Shaytan,

      Je n’insiste pas mais je crois que tu te trompes, la péniche est un nom générique de bateaux à formes variées mais définies et utilisés comme moyen de transport fluvial, par contre les dimensions ne sont pas standard, d’ailleurs il y a des péniches qui ne peuvent naviguer sur certaines voies d’eau parceque leurs dimensions les empêchent d’utiliser les écluses aux dimensions Freycinet, en particulier des péniches Allemandes.

      Cherche bien il y a de très bons sites sur le sujet, et même la page wiki n’est pas trop mal faite bien que sujette à caution sur quelques plans.

      Toutes mes excuses à l’auteur pour cette digression....


    • 65beve 65beve 4 mai 2010 18:41

      Moi j’ai connu une Lili la péniche qui se faisait ses 4 noeuds à l’heure....
       Désolé, je sors.


    • Francis, agnotologue JL 5 mai 2010 08:20

      @ 65beve, en matière de marine, noeuds à l’heure est un pléonasme : le noeud est la vitesse d’un bateau de 1 mille à l’heure, soit 1,852 kilomètres à l’heure.


  • houchmandzadeh 4 mai 2010 13:23

    « Voyage au bout de la nuit » 2.0 ?


  • Emile Red Emile Red 4 mai 2010 14:18

    Article bien sympa.

    Tous les gens ayant travaillé ou travaillant dans le commerce connaissent ces travers du client suspicieux, ce doit être encore plus marquant dans la pharmacie quand la santé est en jeu...

    Un grand OUF de ma part, je ne suis jamais malade et ne vais jamais voir les professionnels de la profession, un simple grog pour un petit rhume une fois tous les dix ans et c’est reparti.

    Espérons que ça dure !


  • Blanqui de Paris 4 mai 2010 14:20

    Article drôle, même si vous aussi jetez tout vos clients dans le même panier...

    Moi j’aime bien mon pharmacien il est en général de bon conseil.

    Quand a acheter ses médicaments en grande surface , j’espère que vous serez résister.
    Il y a un an mon pharmacien offrait des fruits à ses clients en expliquant que si les supermarchés vendaient des médicaments , il pouvait lui se mettre à vendre des fruits (qui ont des vitamines) ; j’avais trouvé l’idée sympa et assez drôle...


  • Rough 4 mai 2010 14:40

    Excellent article !...C’est particulièrement bien vu....étant moi aussi pharmacien j’ai beaucoup apprécié...On sent le vécu !


  • dom y loulou dom 4 mai 2010 21:25

    j’ai bien rigollé merci auteur

    criant de vérité

    mais je me navre que vous n’ayez pas eu une pensée émue pour les jumelles des pharmacies, les drogueries étant en voie de disparition... les herboristes seraient-ils proscrits dorénavant par la babylone high tech ?


    • SysATI 5 mai 2010 01:50

      Le diplôme d’herboriste n’existe plus en France depuis 1941.


      Donc ceux qui sont encore en activité ont été diplomé il a plus de 60 ans !
      Il ne doit plus en rester beaucoup :)

      Ou alors ils sont également pharmaciens...

      Certains militent pour que ce diplôme soit rétabli en France (il existe encore dans de nombreux pays européens)...



  • martin 4 mai 2010 21:40

    bjr,
    la péniche délire ...un peu comme la croisière s’amuse....
    Précision.....vs avez ecrit..... « Amusant de savoir que peu de gens savent qu’on peut mourir sans trop forcer d’une surdose de Nurofen, »
    Erreur de débutant.......J’ en doute.... !!!!!
    volonté de désinformer......peut être... !!!!!
    j explique.....pour le savoir de tous......
    Nurofen est une marque ....L’ibuprofène la molecule....
    La dose toxique de l ibuprofène chez l adulte est 10 fois plus élevée que la dose thérapeutique qui est de 400mg/kg....
    en clair cela veux dire que pour un patient de 80 kgs la dose toxique représente 160 comprimes d ibuprofène 200 mg......
    en comparaison celle du paracétamol est seulement 2,5 fois a sa dose thérapeutique,aspirine 2 fois.......
    Soit pour un adulte de 80 kgs......20 comprimes de 500 mg ou 10 de 1 gr.....
    (Choisissez votre camp si vous voulez disparaitre ds la douleur, un comble pour un médicament soignant cette dernière.......le paracétamol attaque le foie.....)
    voila c mieux comme cela de dire les choses et de rétablir une certaine verité....
    cordialement
    martin


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