vendredi 21 mai 2021 - par C’est Nabum

Quand le bouchon saute

Le gerbage pour commencer.

Ils piaffaient d'impatience depuis si longtemps qu'ils étaient tous là, à piétiner sur la ligne de départ, prêts à se trouver en première position pour être du nombre des heureux élus. C'est ainsi, la compétition gagne toutes les activités humaines, la tournée des grands ducs n'échappe pas à la règle. Il faut se montrer, s'afficher, surtout quand on occupe une position officielle ou bien que l'on soit candidat à une prochaine élection.

Les règles de tempérance tombent subitement. Ils sont tous là, les outres gonflées de leur orgueilleuse importance à vouloir être sur le cliché devant une flopée d'objectifs qui vont immortaliser l’événement le plus primordial qui soit, le plus révélateur également de notre état de déliquescence mentale collective.

La coupe est pleine, le martellement médiatique a une fois encore joué son rôle. Il y a foule en dépit d'une météorologie incertaine, voire parfaitement exécrable. Les mêmes qui habituellement se lamentent à la première petite goutte, passent outre si j'ose dire, pour se précipiter sous la première averse venue et se trouver ainsi sous la goulotte de l'actualité brûlante.

Nous sommes loin de la course à l'escargot. Ils ont tous abandonné leur coquille pour foncer, toutes antennes déployées vers le monde communicant pour diffuser en direct ce premier pas de l'humanité déconfite. Il se peut même qu'il n'y ait plus personne derrière les écrans pour assister à ce spectacle tant ils sont une multitude à terrasser ainsi l'hydre des privations incessantes.

Il faut arroser ça, être du nombre des élus qui bénéficieront d'une place au paradis des consommateurs. Saint Pierre en personne a édicté des règles strictes, établi des normes et un protocole. S'il y a beaucoup d'appelés, le nombre des élus sera soigneusement délimité par une jauge intangible.

Le propre de la jauge c'est qu'elle permet de contrôler le niveau d'un liquide. Mais comme ce jour-là, on a observé un peu partout dans le pays, une cascade de débordements, ce qui devait arriver finit immanquablement par subvenir. Dans la joie et l’allégresse, les premiers arrivants, ceux qui trouvèrent leur place au soleil, commandèrent du champagne…

Dans la griserie de l'instant historique, ils secouèrent le cocotier tout autant que la bouteille, tombèrent les masques et firent sauter le bouchon de la pandémie. Que croyez-vous qu'il advint ? Devant tant d'effervescence depuis si longtemps retenue, le liquide sous la pression enfin libérée, usa de son principe physique bien connu : le gerbage, pour faire pleuvoir sur les terrasses de tout le pays. Les bulles se firent gouttelettes et les noceurs se trouvèrent trempés jusqu'aux os.

Mais cette folie ne fut pas que passagère. Les mots ont une tendance à faire effet boule de neige. Comme il se doit ce gerbage dans une hystérie collective sans précédent a mis en branle son champ lexical. La raison ayant abandonné cette multitude, les mesures de protection tombèrent aussi vite que les trombes d'eau venues du ciel.

On se réjouissait en haut lieu de ce phénomène, attestant que l'acte même de consommer n'avait pas été oublié en dépit des restrictions imposées par le contexte sanitaire. Les tenants du libéralisme se frottaient les mains qu'ils venaient de laver avec les retombées de gerbage. Qu'importe la quatrième vague, ce qui est pris n'est plus à prendre.

D'autres, plus circonspects, savent qu'il faut anticiper sur l'avenir pour faire eux aussi, fructifier le moment présent. Ils ont commandé en grand nombre des gerbes de fleurs, quand on pousse le bouchon trop loin, il y a toujours des retombées ultérieures. La camarde, elle, ne se paie pas en liquide ! D'autres terrassements suivront, les fossoyeurs attendent leur heure. Garçon ? La même chose…

Terrassement vôtre



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