jeudi 1er octobre 2020 - par C’est Nabum

Tartes sur câble

Comme l'As de pique

« Le mec, je le connaissais mais je n’arrivais pas à me rappeler d’où ». Je lui fis part de cette impression quand pour toute réponse il me répondit : « Je suis parvis de vous recouvrer. Je vous crie de ternir chez roi afin de rouer aux tartes. » L’homme m’invitait semble-t-il à jouer aux cartes , c’est du moins ce que j’avais compris dans son curieux sabir, une manière si particulière de distordre les mots que je n’étais jamais certain de ses intentions. Pourtant, rapidement je me pris à son jeu, et c’est avec son défaut de langue que je vais me lancer dans le récit de cette curieuse aventure !

Qu’il fut retraité de l’éducation nationale ne me surprit pas le moins du monde. Son jargon relevait de la déformation professionnelle. Les années à enseigner l’apprentissage de la lecture en Cours préparatoire avaient dû altérer son rapport au monde et à la langue. J’espérais que jouer aux cartes ne constituerait pas un obstacle insurmontable pour ce hussard noir de la République. Nous avions décidé d’un commun accord de nous consacrer à la manille qu’il nommait curieusement vanille. Ce n’était que le début de ses innombrables dérives.

Nous avions croisé deux personnages interlopes qui avaient la ferme intention de nous plumer. La partie serait intéressée, à 10 centimes le point. Sur trois heures il y avait de quoi perdre un joli pactole. Il fallait être cinglé pour se lancer dans pareil défi surtout avec un partenaire qui m’était presque inconnu. Je ne sais pourquoi mais j’avais confiance en lui, persuadé qu’il allait jeter le trouble dans l’esprit de nos adversaires.

Il fallut trouver un lieu pour ce duel épique. Nous ne pouvions rester sur le carreau des halles, l’endroit ouvert à tous les vents, n’était pas de nature à se concentrer comme il convient. Le chœur de la cathédrale eut pu offrir un havre de paix mais nos malfrats déclinèrent la suggestion. C’est finalement chez mon compère, que nous nous rendîmes pour battre les cartes et laisser le hasard décider de notre bonne fortune.

Qu’il accepte de faire rentrer des inconnus chez lui de la sorte me laissa pantois. Il semblait incapable de percevoir le mal, ni même d’envisager une quelconque entourloupe possible. De ces deux individus n’émanait pourtant pas une confiance aveugle, ils avaient tout au contraire les yeux aux aguets, semblant évaluer le potentiel de cet intérieur. Les dés étaient jetés pourtant, il convenait de garder nos lascars à l’œil. Le plus important étant de trouver un endroit propice pour poser le tapis et mettre notre destin dans les mains de l’aléatoire.

Pour notre hôte, l’important était de choisir un support bénéfique. Il jeta tout d’abord son dévolu sur un guéridon de fort belle facture. La complexité de sa forme fut considérée comme un obstacle pour nos concurrents qui se trouvaient plus éloignés l’un de l’autre que nous deux. Ils refusèrent catégoriquement ce choix.

La maie fut ainsi retenue. Un fort beau meuble rustique qui autrefois permettait de conserver le pain. Pour éviter de nous griller dans cette partie à couteaux tirés, il n’y avait pas meilleure augure. C’est du moins ce que m’affirma en aparté mon collègue. Le tapis posé sur la maie, la partie pouvait débuter. Le tirage au sort, que le garçon nomma le grimage du mort désigna nos adversaires pour la première donne. Dès cet instant, les mots partirent en quenouille pour le plus grand étonnement de ceux qui allaient être les dindons de la farce …

Son premier jeu en main, notre coéquipier se prend les pieds dans le tapis, sa langue fourche et son esprit vagabonde. Il a de la peine pour le poix de lueur, il s’incline devant le palet de barreau, l’os de nèfle lui semble fort mal habillé, respectant ainsi sa réputation. Il tire ses tartes comme d’autres font avec le vin, se plaçant sous la cannelle, espérant une meilleure nonne pour le peu suivant. La patrie est incertaine, il n’a guère d’abouts dans son pain. Il avance tel un funambule sur son câble, certain d’être montré à la première couverture.

C’est ainsi qu’il tint conversation trois heures durant pour m’indiquer ce qu’il attendait de moi ou me donner des indications sur son jeu. Ainsi quand il disait : « Aujourd’hui je grelote ! » il me faisait comprendre qu’il avait le roi et la reine de l’atout. Pour indiquer la couleur il pouvait affirmer péremptoire et tout de go : « Demain on célèbre les rameaux ! » pour me pousser à prendre à carreau. « Il se peut que cette donne compte pour du beurre ! » manière adroite de me dire qu’il avait du cœur. « Ma mère a subi une greffe du foie ... » pour m’expliquer sournoisement que le roi de trèfle était en sa possession. « Que pensez-vous de la doctrine des Sikhes ? » afin de me convaincre que le pic serait de mise.

Vous auriez vu la mine éberluée des malheureux qui nous avaient défiés. Ils s’énervaient, se plaignaient de ces propos sans queue ni tête qui venaient ponctuer une conversation totalement déplacée. Toujours est-il qu’ils se firent plumer sans rémission. Les trois heures écoulées, le score était sans appel. Nous avions gagné chaud lapin comme le cria mon partenaire. La note était navrée pour ceux qui nous avaient stupidement défiés.

Je pensais empocher un joli pactole quand ce mec que je connaissais finalement à peine, bon prince prit la parole : « Chers avis, je dois enfin vous mettre tartes sur câble. J’ai pioché toute la patrie. Sans cesse, mes paraboles impromptues permettaient à mon paratonnerre de vivre mes incitations. Je suis un trancheur mais pas un pollueur. L’armoise est étalée, nous sommes mites ! »

Je vis alors dans les yeux de ceux qui avaient beaucoup perdu un vide sidéral. Il me fallut traduire ces propos qui sonnaient le glas du repas au restaurant que j’envisageais. « Chers amis, mon camarade désire mettre cartes sur table. Il a triché toute la partie. Sans arrêt, ces paroles incongrues me permettaient, moi son partenaire, de suivre ses indications. Il avoue être un tricheur mais pas un voleur. L’ardoise est effacée, nous sommes quittes ! »

Ce fut alors un grand éclat de rire. Nous finîmes tous les quatre autour d’une bonne table, la maie était signée entre les baves. Nous allions nous délecter d’une langue de veuf sauce irritante pour rester dans la tonalité de cette folle devanture.

Approximativement vôtre.



8 réactions


  • Germain de Colandon Germain de Colandon 1er octobre 2020 21:39

    Je préfère, et de loin, ce sabir là :

    " Mesdames, Messieurs,

    Les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui sont de celles dont la gravité ne peut échapper qu’à ceux dont la légèreté et l’incompréhension constituent un conglomérat d’ignorance que nous voulons croire indépendant de leurs justes sentiments. L’exemple glorieux de ceux qui nous ont précédés dans le passé doit être unanimement suivi par ceux qui continueront dans un proche et lumineux avenir, un présent chargé de promesses que glaneront les générations futures délivrées à jamais des nuées obscures qu’auront en pure perte essayé de semer sous leurs pas les mauvais bergers que la constance et la foi du peuple en ses destinées rendront vaines et illusoires.

    C’est pourquoi je lève mon verre en formant le voeu sincère et légitime de voir bientôt se lever le froment de la bonne graine sur les champs arrosés de la promesse formelle enfouie au plus profond de la terre nourricière, reflet intégral d’un idéal et d’une mystique dont la liberté et l’égalité sont les quatre points cardinaux en face d’une fraternité massive, indéfectible, imputrescible et légendaire." Pierre Dac


  • babelouest babelouest 2 octobre 2020 07:18

    J’ai bien ri... C’était contondant de gangue bourrue.... un poiré de carpes sinistrées...


  • juluch juluch 2 octobre 2020 10:23

    Drôle d’histoire......je ne sais ce qui est le plus étrange, le fait d’aller chez un inconu et avec des inconnus ou le langage...yo no sé...

    merci nabum.


  • Wald 2 octobre 2020 21:43

    Très drôle mon cher Nabum.


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