vendredi 30 mai - par C’est Nabum

Tenir parole

 

La coupe lui échappe.

 

Le sport réserve bien des surprises et provoque souvent chez ses adeptes des pratiques proches du sacré, de la superstition ou de la sorcellerie, des pratiques que l'on pourrait aisément qualifier de tirer par les cheveux. Les grigris sont légion, les gestes rituels si nombreux avant la rencontre que les énumérer ferait passer son auteur pour un aliéné. Chacun réagit à sa manière pour se concilier le sort et, le croit-il vraiment, faire basculer le sort de la rencontre de son côté.

C'est ainsi que Jacquet, un gentil joueur de ping-pong - ô pardon, de tennis de table - je vais me faire arracher les cheveux – avait l'habitude de jouer en nouant ses longs cheveux avec un bandeau qu'il prenait bien soin de ne jamais laver. Il se sentait plus fort ainsi tandis que ses partenaires affirmaient ironiquement qu'il sentait plus fort surtout !

On ne peut rien faire face à de tels comportements que le sport nourrit, surtout lorsqu'il est pratiqué de manière individuelle. Quand on ne peut se reposer sur ses partenaires, il faut puiser en soi des ressources mentales qui s'appuient sur des comportements curieux, irrationnels, mystérieux. Il en allait ainsi pour notre ami.

En ce jour de compétition tout particulièrement, il était en pleine forme. Son bandeau lui portait chance et le portait tout en haut du tournoi. Il avait un jeu échevelé disaient les spécialistes de la chose, n'hésitant pas à tutoyer les lignes, à jouer autour du filet, à couper les balles et à tresser des attaques qui se terminaient par un revers phénoménal.

Il avait mangé du cheval prétendaient ceux qui se moquaient de sa longue crinière qui battait au vent dans son dos. Il empestait aussi, ce qui lui donnait un avantage certain tant son maudit bandeau dégageait une odeur insupportable. Le règlement ne prévoyant rien sur ce point précis, les juges arbitres ne purent rien faire au point de s'en arracher les cheveux.

Les tours passants, les spectateurs spéculaient sur ses chances de triomphe dans ce tournoi. Allait-il emporter la coupe ? L'expression du reste avait fait le tour du gymnase et bien vite parvint aux oreilles de ce brave Jacquet. C'est ainsi que se sentant pousser des ailes devant cette forme exceptionnelle, il jura ses grands dieux de se raser la tête s'il accédait à sa première finale.

Le miracle se produisit, le succès appela le succès, il franchit tous les tours ce qui défrisa quelques adversaires mieux classés que lui mais qui durent baisser pavillon devant sa forme éclatante. Notre ami pour la première fois de sa carrière était en état de grâce. Tout le monde l'attendait au tournant pour sa fameuse promesse. Tout le monde, pas tout à fait…

La camarade de jeu de notre sportif émérite s'opposa catégoriquement à cette tonsure qui n'était pas de son goût. Elle mettait en balance une relation amoureuse qui semblait essentiellement capillaire. S'il se coupait les cheveux, il n'y couperait pas, elle le quittait, une menace qui le coupa net dans son élan. Il devait choisir entre sa parole donnée de manière un peu démonstrative et une amoureuse à laquelle il tenait à tous crins mais aussi comme à la prunelle des yeux.

Le choix fut vite fait et c'est avec ses cheveux toujours flottant sous son infâme bandeau qu'il entreprit de disputer sa finale. Ironie du sort ou facétie des organisateurs, l'arbitre avait le crâne lisse et un cheveu sur la langue ce qui fit beaucoup rire les nombreux spectateurs, tous assez désappointés de la volte-face de cette jeune pousse du Ping Pong français.

L'issue hélas ne tourna pas en sa faveur. La coupe promise lui passa sous le nez en dépit d'une résistance acharnée, d'une combativité extrême et d'un niveau de jeu jamais atteint chez ce jeune homme. Mais il n'avait pas tenu parole et qu'il perde cette rencontre d'un cheveu causa l'hilarité générale...

Tableaux de Stéphane Cantin

 



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