mercredi 19 juin - par C’est Nabum

Un pince sans rire

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Curieux destin.

 

Un pince-oreille aimait à se faire tirer l'oreille. La chose peut paraître surprenante tandis que le propos risquait fort de tourner en boucle. Quoique n'ayant jamais mis les pinces dans le moindre conduit auditif, l'animal devait son sobriquet à sa préférence pour l'abricot, un fruit qui se faisait appeler oreillon dans certaines régions.

Que les savants le nomment forficule n'était pour lui d'aucune importance. Il tenait à son sobriquet qui lui allait comme un gant. Ce nom lui donnait des lettres de noblesse et il n'était pas rare que dans le petit monde des insectes dermaptères polyphages, il aimât à se faire appeler « Monseigneur ! ». On peut même affirmer qu'il en pinçait pour ce titre

Autre fantaisie chez notre ami, il ne supportait pas de se séparer de sa femelle. Pour lui, la vie en couple supposait que jamais ils ne se séparent et que toujours ils aillent par paire. Dans le petit microcosme, ses collègues s'en amusaient fort, ayant jugé bon de qualifier ces deux-là de paire de pince. Les animaux aussi sont capables de moquerie.

Monsieur et Madame aimaient donc à se montrer en société dans des réunions mondaines. Leur préférence allait pour ces soirées un peu guindées, où le protocole tiré à quatre épingles devait être respecté à la lettre. Que leurs voisins qualifient de tels rendez-vous, de vulgaires pince-fesses, ne leur posait aucun problème. C'est dans ce décorum qu'ils adoraient être servis par des domestiques qui prenaient des pincettes pour s'adresser à eux.

Ne leur reprochons pas cette dérive, nul n'est à l'abri de se griser dans un tel univers. Par contre, lorsqu'ils devaient affronter le commun, les insectes de leur condition, monsieur surtout, se montrait hautain, méprisant, distant. Il s'équipait d'un pince-nez afin de montrer clairement qu'il n'était pas de ce monde de gueux.

Cette particularité amusait beaucoup ceux qu'il pensait ainsi prendre de haut. Bien vite il devint la risée de ces pairs au point que loin de le gratifier de ce Monseigneur auquel il tenait tant, il devint le Pince sans rire et la tête de turc de toute sa famille. Fort heureusement le propos ne lui était jamais arrivé aux oreilles, il en eut été fort courroucé.

Son aventure tourna au drame lorsque des forficules mal intentionnés lui firent parvenir un carton d'invitation. Monsieur et Madame étaient conviés à une soirée dansante caritative pour venir en aide aux éphémères dont le sort était si peu enviable. Notre paire de pinces se para de ses beaux atours pour se rendre dans ce qu'ils pensaient être le gratin de la société.

On les avait leurrés honteusement. Ils se trouvèrent dans un bouge, un clandé, un bal populaire de la plus basse extraction qui soit mais là où les pince-oreilles s'amusaient sans faire de simagrées. La première surprise passée, madame se plut dans cet univers qui était le sien tandis que monsieur était outré. Dans ce pince-fesse, la belle trouva bien vite un cavalier, un brave pince-oreille qui ne se prenait pas pour ce qu'il n'était pas.

De danses en danses, leur proximité se faisait plus éclatante et ne put échapper à notre Monseigneur qui se trouva cochon comme devant. Son épouse en pinçait pour un autre, un individu des bas-fonds. Quel déshonneur. Le pince sans rire en pleura de rage tandis qu'autour de lui, les moqueurs lui faisaient les cornes.

Voilà ce qu'il advint pour qui entend vivre au-dessus de sa condition. Que cette histoire daigne se glisser dans l'une de vos oreilles contrairement à ce pauvre insecte qui jamais ne s'y aventure en dépit d'une réputation usurpée. C'est la seule leçon à retenir de cette fantaisie quelque peu tirée par les cheveux.



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