Les vendanges du Kilimandjaro
Il m’arrive parfois d’observer discrètement mes congénères à un feu rouge, sur le périphérique ou sur les boulevards de ceinture, aux heures du grand barnum routier de Paname.
Ma lucarne préférée est celle de 9 heures AM, heure où les jolies Parisiennes se rendent au turbin.
La tranche de 20 heures est sans grand intérêt qui ne voit que décrochages de mâchoires, tirages de vers luisants de narine et œils noirs chargés de reproche, fin d’une journée de stress, pensées s’envolant vers de jeunes progénitures qui se coucheront bientôt sans avoir eu droit à leur petite comptine du soir.
13 h 30 réserve de bonnes surprises à qui obtient son bon de sortie, RTT ou rendez-vous avec son banquier aidant.
C’est l’heure où le VRP reprend sa Polo fatiguée, cure-dent vissé au bec, FM pointée sur « Lahaie, l’amour et vous ». Une minute de déconcentration et ce genre d’asperge est capable de vous emboutir une Smart abandonnée au beau milieu du bitume par une Barbie, en livraison chez son coiffeur attitré.
Le créneau de 17 heures est sans conteste le plus décevant. Ford Fiesta et Twingo de fonctionnaires pressés de rejoindre le tunnel menant vers la A4 ou les A6a/b, livreurs au bord de la crise de nerfs polarisés sur les radars du périph, véhicules prioritaires zigzagant, toutes sirènes dehors, bref circulez ! Rien à voir...
Comme je le laissais entendre plus haut, ma préférence va aux belles matinales aux larges cernes qui vous claquent un sourire de connivence pour vous faire comprendre que leur nuit fut aussi voluptueuse que la vôtre... ordinaire.
Il y a celles qui pestent en silence contre ces maudits feux qui se mettent au vert, comme un fait exprès, à seule fin de contrarier leur séance de maquillage express, escamotée pour cause de réveil tardif.
Telle la déesse Durgâ, ces demoiselles excellent dans l’art de remettre de l’ordre dans le chignon en broussaille, portable dans une main, rouge à lèvres en bouche, genou coincé ferme sous le volant à quatre heures GMT. Certaines d‘entre elles semblent avoir définitivement opté pour cette salle de bains à quatre roues motrices qui leur fait gagner de si précieuses minutes de sommeil.
Un conseil, fuyez les étourdies qui roulent l’œil rivé au rétroviseur pendant l’applique du mascara, surtout si vous les précédez.
Du côté des hommes, c’est plutôt la cata, tenez-vous bien !
Il y a ceux qui kara-hoquettent hystériquement, toutes fenêtres ouvertes, oubliant toute décence et retenue.
Imaginez le cadre sévèrement brushé, qui envoie in extenso Les Vendanges de l’amour de Marie Laforêt, ou mieux encore Les Neiges du Kilimandjaro, façon Roberto Alagna de pacotille.
Il est vrai que l’insupportable pub de Préfon-retraite sur France Inter aidant, ces fils de l’APEC ont tôt fait de migrer sur Radio Nostalgie, exempte de frasques boursières et de talibanisme médiatique.
La nostalgie se plaisant à repasser en boucle les nanars populaires des sixties, un mois d’embouteillages suffit à un jeune pousse de la finance pour se familiariser sévère avec le répertoire de l’inénarrable Pascal Danel.
Notez que le ridicule n’est jamais loin avec le jeune parvenu qui, dans sa Golf GTI, se frotte au répertoire anglo-saxon, à l‘image de ce quidam qui massacre le « Crazy » de Gnarls Barkley.
Il est constant et douloureux d’observer que si la gent féminine sait à peu près se tenir, l’Homo conductor mâle moyen a, quant à lui, une fâcheuse tendance à s’oublier dès qu’il prend le volant.
Entre ceux qui battent la mesure sur le tableau de bord, qui soliloquent ou font Karaoké et ceux qui passent leur temps à tripoter leur poste FM, qui roulent sono à fond, qui s’épilent les narines ou pire, il n’y a pas photo.
D’après ces dames, ceux qui se curent le nez en tentant d’éjecter discrètement le produit de leurs excavations d’une simple pichenette sont définitivement disqualifiés. D’ailleurs, paraît-il, ce sont souvent ces mêmes goujats qui tentent de les draguer, une fois repérés.
A croire que le ridicule tue, sauf en voiture...
En ce qui me concerne, un seul regard complice et furtif échangé avec une jolie Parisienne suffit à me détourner (à jamais ?) de ce genre de turpitudes.