mardi 29 janvier 2013 - par Denis Thomas

Arts martiaux : La cage de l’image de soi

La liberté est une immense richesse. D’elle découle l’inaliénabilité des choix de l’Homme, de son expression. La rogner, de quelque façon que ce soit, conduit immanquablement dans l’impasse et empêche toute forme de progrès.

Ceci se vérifie dans l’Histoire. Et n’épargne pas les Budô (les arts martiaux japonais), bien évidemment. En ce domaine, le plus terrible est que non seulement la liberté est détournée par les « détenteurs du savoir » mais aussi, plus ou moins consciemment, par ceux qui en sont les légitimes propriétaires : c’est-à-dire nous même.

De fait, nous nous retrouvons, dès nos premiers pas sur le tatami, enfermés dans une cage que d’autres ont construit à dessein de contrôle mais dont nous fermons seuls (et trop souvent docilement) la porte à clé.

Bien sûr, nous ne nous emprisonnons ni clairement, ni franchement. Nous y avons été aidés insidieusement par un système huilé et incroyablement efficace. Car il puise au plus profond de notre « moi ».

ARAIGNEE

En effet, notre désir d’apprendre, de chercher surtout, est, pour la grande majorité d’entre nous infiniment moins fort que celui de paraître.

Paraître dans notre geste, paraître au sein du groupe et dans ce qui régit celui-ci. Notre place, très vite, n’est pas celle que l’ardeur à l’étude devrait nous offrir, sans ostentation, mais bel et bien celle, subjective, à laquelle notre « image » nous permet de prétendre. C’est là que le piège se tend, que la toile d’araignée se tisse.

 

Il convient sans doute de s’arrêter afin d’examiner la composition de cette image.

Chacun possède une conception de ce que le « physique » doit renvoyer. Sommes-nous « assez » fort, souple, rapide etc … ? Cet « assez » n’est pas, certes, écrit quelque part, dans un document détaillé qui fixerait tel ou tel niveau de qualité. Mais l’objectif est là. Un peu comme un ogre insatiable.

De plus, nous sommes, la plupart du temps, de très mauvais juges de la « condition physique » qui est la nôtre. Combien de pratiquants (es) capables de réaliser un grand écart avec écrasement facial ai-je vu depuis des décennies lors de l’échauffement devenir de vrais bouts de bois quelques instants plus tard ? Il y a gros à parier que l’image du physique venait alors brutalement percuter l’image du mental.

A ce titre, également, tout se brouille très vite sous la pression de l’extérieur. L’acquis formel vole vite en éclat dès lors que la problématique de l’échange est importante, que le rythme n’est pas conforme aux attentes. Normal, direz-vous car on ne peut faire que ce que l’on sait faire.

LORGNETTE

Mais au-delà, s’instaure très vite une forme d’auto censure qui bride toute velléité d’expression personnelle qui permettrait éventuellement d’apporter une forme de réponse martiale. Et, objectivement, une perte dirigée de la confiance en soi.

Et c’est précisément ici que se situe le siège de la « maladie » . Il y a une image « officielle » du savoir. Alors que celle-ci devait être prise au grand angle, elle ne propose qu’une vision effectuée à partir du « gros bout de la lorgnette ». 

Les « reporters » de cette photographie, n’ont, bien souvent, jamais été correspondants de guerre. En d’autres termes, ils ont ramené un témoignage limité à ce qu’ils ont compris de leur source – ce qui semble normal – mais, ce qui est bien dommage, limité à leur propre volonté de recherche du sens.

Voilà pour ce qui est de l’image du savoir « reçu » par les enseignants. On n’ose imaginer ce qu’il en est de celle du savoir « transmis » aux pratiquants …

Ces images sont subjectives et vides de sens. Elles sont superficielles et démonstratives. On se souviendra que Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido, estimait que toute démonstration de son art, passant par une mise en scène de ce dernier, était purement et simplement mensongère.

IMPOSTURE, SENSATION ET GALOP

De surcroit, ces images de savoir ont fabriqué une image de « pouvoir » des plus aléatoires pour l’élévation de la pratique. Elles posent surtout l’épineuse question de la relation « Maître-Elève ».

A ce jour, la position de Maître dans l’enseignement des Budô intègre assez peu que, pour exister, elle doit s’interpénétrer avec celle de disciple. Ces deux entités forment un tout axé sur la recherche idéale, débarrassée de l’ego, de toute idée de … pouvoir. Et de mercantilisme.

Allant à l’encontre de ce principe, la forme d’enseignement actuellement privilégiée est dangereuse. Il faut empêcher les « experts » (les guillemets sont ici très importants) de « confisquer notre capacité de penser, de délibérer, de décider », explique Roland Gori professeur de psychopathologie clinique à l’université Aix-Marseille 1 et auteur du récent ouvrage « La fabrique des imposteurs ».

Sans le savoir, Roland Gori offre une piste aux pratiquants. « La voie de sortie de l’imposture emprunte le chemin de la création et de l’inventivité », déclare-t-il sur France Info.

Si il y a bien une valeur qui est singulièrement absente du discours des experts de tous poils, c’est bien celle de la « sensation ». Et pour cause, elle chemine de conserve avec l’expression personnelle, par essence incontrôlable. Et surtout avec le naturel et le sens de la pratique.

La volonté de contrôle a donc chassé le naturel et contrairement à ce qu’avançait Destouches dans la pièce de théâtre « Le Glorieux », une fois chassé, le naturel ne revient pas au galop.



7 réactions


  • Gabriel Gabriel 29 janvier 2013 11:54

    L’Aïkido a de ceci de particulier, par rapport à d’autres arts martiaux, qu’il ne se pratique pas dans un but de médaille, de récompense étant donné qu’il n’y a pas de compétition. Sa pratique est un échange entre partenaire (Tori et Uke). Il est évident que pour aborder la phase « spirituelle » de cet art, il faut soit de nombreuses années de pratique, soit une convention mentale déjà acquise à sa philosophie (Une bonne ouverture d’esprit). Les travers que l’on retrouve dans ce milieu sont les mêmes que ceux que nous retrouvons dans la vie professionnelle, familiale ou associative où la guerre des ego s’alimente de rancœur en vue d’agrandir son périmètre de pouvoir (il suffit de voir ce qui ce passe actuellement entre les dirigeants de la FFAAA et la FFAB, sans parler des fédérations dissidentes…) Les pratiquants restent des hommes ou des femmes avec leurs qualités et leurs défauts et il serait illusoire de penser que la seule pratique d’un art martial quel qu’il soit serait suffisante à leurs évolutions. Ayant presque une vingtaine d’années de pratique dans cette discipline, il m’arrive de dispenser des cours en tant que remplaçant, c’est pour moi un honneur et un enrichissement extraordinaire que de pouvoir faire partager ses sensations et son point de vue au travers de la technique et là, je m’aperçois à cette instant donné, que j’ai de nouveau tout à réapprendre. Aussi, faut-il arrêter de se prendre la tête et simplement, de temps en temps, s’asseoir dans un coin pour écouter sa petite voix intérieure qui nous donne la plus merveilleuse des musiques, celle qui nous permet de danser avec autrui. 


  • Satournenkare Satournenkare 29 janvier 2013 13:05

    2 questions restées sans réponses dans votre premier article :

    -votre analyse est elle valable pour des maitres comme Saito, Hirokazu Kobayashi, Koichi Tohei ou Tamura, (quand il enseignait hors FFAB ) ?
    -que pensez vous de ceci : http://www.aikidotakemusu.org/fr/articles/lettre-ouverte-laikikai ?


  • gaijin gaijin 29 janvier 2013 14:06

    oui c’est une problématique
    mais je pense que vous ne la prenez pas par le bon bout !
    les arts martiaux dont vous parlez ne pas des budo et les maîtres égotiques ne sont que des imposteurs .....en effet
    mais dans les budo le cadre n’est pas une cage : il n’est que le lieu de l’intégration de principes
    intégration a partir de laquelle le mouvement jaillit de manière spontanée.
    lisez ou relisez l’excellent livre de Tokitsu sensei : le kata

    bien sur cette intégration véritable rééducation du corps et de l’esprit demande du temps, du travail, et un investissement total ce qui fait qu’il y a toute une faune qui préfère cultiver l’ apparence et pratiquer des sports de combat qui ne sont en rien des budo qu’elle que puisse être leur appellation.
    le tout servit a la sauce championnite par les média.....et le cinéma merdique .

    «  une valeur qui est singulièrement absente du discours des experts de tous poils, c’est bien celle de la « sensation » »
    faut croire que l’on a pas rencontré les mêmes .......
    ou que vous n’écoutez pas vraiment ( je veut dire avec votre corps )

     


  • easy easy 29 janvier 2013 14:45

    L’auteur semblant être venu ici pour faire connaître son livre plutôt que pour papoter, je m’adresse aux intervenants

    Seriez-vous d’accord pour convenir que l’aïkido consiste à visser l’adversaire (et à se dévisser pour se défaire d’un vissage) ?

    Imaginons deux adversaires reliés à leur main droite par un mètre de très gros tuyau d’arrosage. Le jeu consiste à tourner autour de l’autre de manière à tordre ce tuyau tout en envoyant la torsion sur l’autre (en conservant son propre bras correctement aligné). L’adversaire est alors obligé de se plier vers le sol et même de s’y rouler pour se dévisser. 


    • Gabriel Gabriel 29 janvier 2013 17:19

      Bonjour easy, en Aïkido il ne s’agit pas d’adversaires mais des partenaires. Je ne dirai pas que le jeu consiste à tourner autour de l’autre (Cette vision me semble un peu réductrice) mais, pour faire simple, disons qu’il y a deux façons principales d’aborder le problème suivant l’attaque proposée. La première consiste à entrer dans le cercle du partenaire en anticipant sa frappe et en l’immobilisant par la technique la plus appropriée (Ik Kyo, Ni Kyo, San Kyo etc..) La seconde consiste à éviter la frappe tout en profitant de son inertie afin de le laisser entrer dans notre cercle et ainsi placer sa technique (Shihonage, Kokyunage, Kotegaeshi etc…) Et tout cela sans l’utilisation d’une force physique quelconque mais avec un déplacement et centrage parfait à chaque instant de la technique. L’immobilisation, la projection ou la chute n’étant que le résultat final de la technique.


    • easy easy 29 janvier 2013 19:37

      Il y a certes des cas d’accompagnement et aussi de blocage
      Mais ne trouvez-vous pas que dans la moitié des cas on va à tordre le bras (qui nous saisit ou que nous saisissons) ?

      Ce que vous appelez clefs, je crois que ça peut s’appeler torsion

      Un type me saisit le poignet.
      Je ne fais rien pour qu’il me lâche, je vais même à maintenir sa main fermée sur mon poignet. Et je me déplace sur son côté. 
      Il se retrouve avec le poignet tordu.
      Ouille,
      Je fais deux mouvements de plus et le voilà avec le bras tordu dans le dos
      (Et il ne peut se défaire que s’il se dévisse en se baissant puis en roulant au sol) 

      Dans les entraînement, ces torsions ne sautent pas aux yeux car chacun passe son temps à se dévisser en roulant au sol
      Mais si l’on a vraiment à combattre un voyou, on exerce la torsion et on ne le lâche pas. On ne lui permet même pas de se dévisser en roulant.
      On l’immobilise, on le fixe par une torsion. 


  • Suldhrun Suldhrun 29 janvier 2013 15:51

    Irimi nague

    Le bonjour !


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