mardi 29 janvier 2019 - par Axel_Borg

Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode XIII - 1986, un Maradona stellaire venge les Malouines

Seize ans après l'édition 1970, le Mexique devient le premier pays à recevoir deux fois la Coupe du Monde, remplaçant en 1983 la Colombie au pied levé. Quatre ans après la guerre des Malouines (1982), l'Argentine prend sa revanche sur l'Angleterre par un doublé de Diego Maradona : la main de Dieu puis un slalom inoubliable faisant des joueurs des Three Lions autant de piquets inoffensifs. Si la France et le Brésil offrent au monde entier un spectacle magistral à Jalisco, les trois stars que sont Zico, Platini et Socrates rejoignent le club des rois maudits du Mundial : Ferenc Puskas, Eusebio, Johan Cruyff ... Quant à l'Union Soviétique, trois mois après Tchernobyl, elle voit ses rêves de gloire anéantis par les Diables rouges belges, qui sont ramenés à la raison par un Maradona de gala en demi-finale ... Si Gary Lineker est le meilleur buteur de Mexico 86 avec six réalisations, El Pibe del Oro écrase tout, faisant encore mieux que Pelé en 1970 : cinq buts et cinq passes décisives pour l'Argentin, contre quatre réalisations et cinq offrandes au Brésilien seize ans plus tôt sur les pelouses mexicaines.

En 1986, c’est le Mexique qui organise la Coupe du Monde, après le désistement en 1983 de la Colombie pour raisons économiques, expliquées le 25 octobre 1982 à Bogota par le président Belisario Betancur : La règle d’or selon laquelle le Mundial devait servir à a Colombie, et non pas la Colombie à la multinationale du football, n’a pas été respectée. Tout le monde pense alors que le Mondial 1986 va échoir au Brésil, sauf Joao Havelange, engagé dans une guerre byzantine avec le Président de la C.B.F. Giulite Coutinho. Le président de la FIFA avait expliqué pourquoi son pays ne devait pas être désigné pour 1986, soit la treizième édition, en raison des profondes transformations qu’il jugeait nécessaire : Une Coupe du Monde exige des moyens modernes de communication, de sécurité, de transports par voies routières et ferroviaires, d’hôtellerie, qui, pour l’instant, n’apparaissent pas suffisants dans le pays. Giulite Coutinho avait répliqué : Les problèmes soulevés ne peuvent mettre en cause la candidature brésilienne tant ils apparaissent minimes. La Coupe du Monde au Brésil sera soutenue par tout un peuple qui a déjà montré sa passion pour le football. Dès 1980, l’aigle bicéphale Dassler / Havelange espérait le retrait colombien, comme en témoigne cette déclaration du Machiavel d’Adidas  : En 1986, la Coupe du Monde de football sera probablement donnée au Mexique si la Colombie se désiste de son mandat d’organisateur, une possibilité, qui, pour l’instant, est prise en compte par la FIFA. Le Brésil est aussi considéré comme un second choix possible par les cercles d’influence de la Fédération Internationale, même si le président de la FIFA, le docteur Joao Havelange, use du tout le prestige de sa position pour aider de tout son poids la candidature de son pays natal. Ces mêmes cercles considèrent absurde et presque ridicule les suggestions de tenir une Coupe du Monde aux Etats-Unis. D’autant plus que l’intérêt pour le soccer est en déclin aux Etats-Unis. Certains voient même l’existence de la North American Soccer League remise en question. Le coup de grâce sera en effet porté à la NASL par la désignation du Mexique au détriment de la candidature américaine. La Warner Bros, propriétaire du Cosmos New York qui avait enrichi Pelé, Chinaglia ou Beckenbauer, cessera d’investir dans un championnat privé d’une caisse de résonance telle que la Coupe du Monde. Dix ans après la candidature américaine défaite pour les Jeux Olympiques de 1976 (année du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis), bien que Richard Nixon et Henry Kissinger aient offert des pierres de lune aux membres du CIO, l’Amérique apprend à perdre face au voisin mexicain, comme Los Angeles face à la candidature de Montréal. L’oncle Sam s’en souviendra, notamment pour les Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996, privant Athènes du centenaire des Jeux de 1896. Ironie du destin, Mexico est frappé en septembre 1985 par un terrible séisme. Mais le Mexique honorera tout de même son engagement, devenant le premier pays, avant l’Italie (1990), la France (1998), l’Allemagne (2006) et le Brésil (2014) à recevoir une deuxième fois l’épreuve suprême du football mondial. Quand l’heure du tournoi arrive, le monde est encore sous le choc de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 28 avril 1986 en Ukraine. Cela n’a pas perturbé les joueurs du Dynamo Kiev, qui ont écrasé l’Atletico Madrid 3-0 à Lyon en finale de la Coupe des Coupes. Alors que le football n’a toujours pas digéré le traumatisme du Heysel le 29 mai 1985 à Bruxelles, l’Europe politique a vu l’Espagne et le Portugal rejoindre la C.E.E. portant à douze le nombre de ses membres, la Grèce ayant rejoint l’union en 1981. Les favoris sont au nombre de trois : la France de Platini, surnommé le Brésil de l’Europe depuis sa victoire à l’Euro 84, l’Argentine de Maradona, et le grand Brésil de Zico. Ce dernier se voit aidé dès son entrée en lice par une erreur d’arbitrage défavorable à l’Espagne. L’arbitre australien Christopher Bambridge, totalement inexpérimenté, refuse un but valable à l’Espagnol Michel, avant de valider un but au Brésilien Socrates qui lui était hors-jeu ! Le joueur du Flamengo s’en expliquera avec franchise : Pour des raisons politiques et commerciales évidentes, tout le monde sait que dans l’intérêt général il faut que la carrière du Brésil et celle du Mexique se prolongent le plus longtemps possible. Autant dire, qu’en cas de décision délicate, Brésil et Mexique ne seront jamais désavantagés. En huitième de finale, le Brésil écrase la Pologne 4-0, le roi Pelé déclare ceci : Le pape est peut-être polonais, mais Dieu, lui, est brésilien ... Michel Platini, le triple Ballon d’Or (1983, 1984, 1985) français, victime d’une tendinite, ne sera pas au mieux durant ce tournoi où les Bleus dominent l’Italie en huitième de finale, puis le Brésil en quart de finale, le 21 juin 1986. Deux jours après la mort de Coluche en moto à Opio, la France se hisse en demi-finale après un match sublime où Joël Bats a sauvé la patrie devant un penalty de Zico. Les virtuoses que sont Michel Platini et Socrates ratent chacun leur tentative dans la fatidique séance de tirs aux but où Luis Fernandez qualifie les Bleus, porté par la voix de Thierry Roland en direct au stade Jalisco de Guadalajara : Allez mon petit bonhomme. On comptera 7 morts à Rio de Janeiro après ce match, près de 2 000 personnes hospitalisées tandis que des supporters vietnamiens manifesteront leur joie devant l’Ambassade de France à Hanoï. L’exploit est majuscule même si la France passe par un trou de souris, les Bleus étant félicités par le Premier Ministre Jacques Chirac et le Président de la République François Mitterrand : Bravo pour ce très beau match contre un adversaire remarquable. Tous nos vœux pour la demi-finale. Amitiés. Le lendemain du match à Detroit, Ayrton Senna gagne le Grand Prix des Etats-Unis de Formule 1 devant deux pilotes français, Jacques Laffite et Alain Prost. Le pilote brésilien de Lotus Renault prend une habitude, utiliser son drapeau national comme emblème de victoire, geste qu’il répètera à domicile à Interlagos en 1991 et 1993, sur l’autodrome José Carlos Pace de Sao Paulo. Zico et Socrates, rois maudits, sont rejoints au tour suivant par Michel Platini, puisque la RFA se montre impitoyable. Il faudra tout le talent de Diego Maradona en finale pour priver l’Allemagne du titre mondial. El Pibe del Oro est de très loin le meilleur joueur de cette treizième édition, malgré les parades du gardien belge Jean-Marie Pfaff et les six buts de la fine gâchette anglaise Gary Lineker. Contre l’Argentin, le buteur d’Everton sauve l’honneur après deux buts inoubliables de Maradona. Le premier, la fameuse Main de Dieu, permet aux hommes de Carlos Bilardo de venger la guerre des Malouines face à la Perfide Albion, ainsi que les injures d’Alf Ramsey en 1966 à Wembley. Par sa main face à Peter Shilton, Diego a brisé deux totems. Le gardien anglais raconte ce moment incroyable : Après ce but de la main, je suis reste immobile à attendre que l’arbitre siffle. Quand j’ai vu qu’il ne le faisait pas, j’ai regardé le juge de ligne en pensant qu’il allait lever le drapeau : rien ! On aurait dit une gigantesque plaisanterie ! Peter Shilton ignorait peut-être que Maradona n’en était pas à son coup d’essai en la matière, ayant déjà inscrit un but de la main avec Naples contre l’Udinese de Zico en 1985 en Série A italienne … L’intéressé, lui, justifie son geste face à un journaliste mexicain qui le galvanise en faisant référence à une intervention céleste : Ce but, c’est ma tête et aussi la main de Dieu qui m’a guidé en pensant à tous ces gamins disparus aux Malouines. Déjà, avant de croiser la route de Fidel Castro à Cuba puis d’Hugo Chavez au Vénézuela, Diego Maradona donnait un sens politique à ses succès sportifs … Gary Lineker, avec le recul, comprend la rouerie du capitaine argentin : Ce que nous a fait Maradona est terrible. Mais, pour être honnête, j’aurais adoré réussir la même chose : marquer un tel but, de la main, ni vu ni connu, doit te procurer une certaine jouissance. Le second but du roi Diego, un slalom spécial face aux défenseurs de Three Lions aussi inoffensifs que de piquets dans une descente de ski alpin à Kitzbühel ou Cortina d’Ampezzo, fait rentrer le numéro 10 napolitain dans la légende du football. En moins de dix secondes, Maradona devient un Dieu vivant ... Le populaire commentateur de la télévision argentine Victor Hugo Morales exulte de joie : Mon Dieu, quel but ! Excusez-moi, mais j’ai envie de pleurer ! Maradona, après une course mémorable, après la plus belle action de tous les temps, cerf-volant cosmique, mais de quelle planète viens-tu ? L’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de Littérature en 2010, ne tarit pas d’éloges sur le numéro 10 argentin, auteur de 5 buts et de 5 passes décisives durant ce Mundial mexicain : Admirer un tel champion, c’est admirer la poésie, l’art abstrait, la forme pour la forme, sans aucun contenu rationnel, identifiable. Ce garçon possède des vertus footballistiques au-delà de l’humain. Le sélectionneur anglais, Bobby Robson, avoue ceci : J’ai le plus grand respect pour Maradona. Je n’ai pas aimé ce but. Je l’ai admiré. A Londres, un porte-parole du Labour Party (parti d’opposition au gouvernement conservateur de Margaret Thatcher) estime que la rencontre Argentine / Angleterre pouvait être un exemple pour les hommes politiques sur la façon de conduire leurs propres négociations. Ce qui a été vu par des millions de gens à travers le monde doit maintenant être suivi par une restauration des relations diplomatiques entre les deux pays. Quant à Thierry Roland, connu pour ses fulgurances à l’antenne, sa remarque raciste sur l’arbitre du match vaudra à Antenne 2 de gérer un incident diplomatique avec la Tunisie : Honnêtement, Jean-Michel Larqué, ne croyez-vous pas qu'il y a autre chose qu'un arbitre tunisien pour arbitrer un match de cette importance ? (...) Je ne suis pas raciste, je n'ai rien contre les tunisiens. D'ailleurs, ma femme de ménage est tunisienne. Le journaliste gratifiera les télévisions de France et de Navarre d’autres punchlines en 1998 et 2002 … Ce match fut joué par l’Albiceleste avec des maillots bleus nuit Coq Sportif achetés à la hâte dans Mexico, l’écusson de l’AFA (la fédération argentine de football) étant brodé par des couturières mexicaines. La raison ? Le maillot ciel et blanc traditionnel des Argentins avait fait transpirer à outrance les coéquipiers de Maradona. Le succès 2-1 de l’Albiceleste contre les Three Lions ne sera pas une victoire à la Pyrrhus. Sorte de dragster trempé dans la nitroglycérine comme Achille dans le Styx, Maradona élimine les Diables Rouges belges à lui tout seul en demi-finale par un nouveau doublé : Diego est l’arme fatale de ce mois de juin 1986, sorte d’orichalque unique en son genre. Un ultime caviar du prodige en finale permet à l’Argentine de marquer le troisième but vainqueur par Jorge Burruchaga. Hélas, personne ne le sait encore, mais ce 29 juin 1986 sera l'Everest de Diego Maradona qui n'ira pas plus haut avec sa garde prétorienne entraînée par le sélectionneur argentin Carlos Bilardo. Avec ce dernier, Maradona a passé un pacte en mars 1985 pour faire de lui le nouveau capitaine de l’Albiceleste au détriment de Daniel Passarella et se responsabiliser en vue de ce Mundial 1986. Alors quand le Secrétaire d’Etat aux Sports argentin avait tenté de limoger Carlos Bilardo, El Pibe del Oro était monté au créneau pour le défendre : Si vous le virez, je m’en irai avec lui. Le jour du sacre à Mexico, Maradona rend encore hommage à Carlos Bilardo : Je suis heureux et fier de cette victoire. Aujourd’hui, je me sens champion du monde, et non le meilleur joueur du monde, comme certains ne cessent de répéter. JE dédie ce titre à toute la jeunesse de mon pays et à tous les jeunes du monde entier. Cela dit, cette victoire revient aussi à tout un groupe de joueurs qui avaient faim de gloire, et qui a apporté un démenti à tous les gens qui ne croyaient pas en lui. J’ajoute que ce titre mondial, nous le devons également au mérite de notre sélectionneur, Carlos Bilardo, qui a su nous faire travailler avec méthode, et qui a toujours eu le souci, tout au long de la compétition, de nous persuader que nous pouvions être champions du monde. La revanche était belle en effet pour El Pibe del Oro, expulsé en 1982 face au Brésil de Zico au stade de Sarria, à Barcelone. Idem pour Bilardo, tant critiqué en Argentine … Le sélectionneur essuiera une larme au coup de sifflet final contre la RFA, voyant sortir sur la pelouse du stade Aztec un immense drapeau ciel et blanc aux couleurs du drapeau argentin, avec ces mots : Pardon Bilardo, et merci ! le défenseur Jose Luis Brown se souvient : Certains de nos joueurs n'avaient aucun soutien de la part des fans, des journalistes et des dirigeants. Bilardo était le seul à nous faire confiance mais nous avons dû partir un mois plus tôt que prévu parce que des rumeurs laissaient entendre que le ministre des sports voulait virer Bilardo. Le coach a tout arrangé en 48 heures et nous sommes allés nous préparer vingt jours en Norvège. Puis nous sommes arrivés au Mexique un mois avant la Coupe du Monde. Même quand Maradona était blessé à Barcelone en 1983 et 1984, Carlos Bilardo s'était envolé à plusieurs reprises pour l'Europe afin de passer du temps avec son étoile. Les gens me disaient que Maradona avait échoué avec l'équipe nationale en 1982 et ils me demandaient pourquoi je lui faisais confiance. Pourquoi ? Parce que je savais qu'il allait être le meilleur joueur de la Coupe du Monde. Je savais que s'il était vraiment en forme, il pourrait faire pencher les matchs de notre côté. Jose Luis Brown n’a pas oublié ces semaines aux côtés du Pibe del Oro. Ni l’incroyable implication du joueur de Naples, loin de l’image de fêtard qu’il a pu renvoyer plus tard au cours de sa carrière. Diego se réveillait avant tout le monde. Il montrait l’exemple pendant nos séances d'entraînement et quand nous étions tous partis, il restait encore sur le terrain. Il a donné l'exemple à tous les égards et c'est pourquoi nous étions fiers de l'avoir comme capitaine. Nous avons eu de grands joueurs en Argentine mais quand vous pouvez compter sur le meilleur du monde et qu'il traverse la meilleure période de sa carrière, vous devez tout miser sur lui. Il n'y avait aucun doute à ce sujet dans mon esprit. Cette consécration de Maradona était donc également un triomphe pour Carlos Bilardo. Mais même au moment de son plus grand succès, cet obsessionnel du jeu était incapable de penser à autre chose. Nous étions sous la douche en train de chanter, raconte Brown, et il est venu nous parler d’une Coupe du Monde à défendre en 1990. Le mot de la fin ira à Jorge Valdano : Sans Diego nous n'aurions bien sûr pas gagné avec un tel éclat. Ses buts ont élevé le football à un niveau supérieur et confirmé son statut d'artiste du football. Après les sommets de juin 1986, la cocaïne et la mafia napolitaine conduiront le maestro de Lanus en enfer au début des années 1990. Comme dans un film de Scorsese ou de Coppola, El Pibe del Oro ne retrouvera jamais le sommet après la chute de son empire, le 9 juillet 1990 à Rome, quatre jours après que le joyau argentin ait franchi le Rubicon du côté de Naples, en battant … l’Italie. Pelé avait une immense équipe autour de lui. Maradona agit seul, résume Teofilio Cubillas, la légende péruvienne, à propos de ce Mundial mexicain de 1986. Finaliste comme en 1982, Karl-Heinz Rummenigge est beau joueur du côté ouest-allemand : Nous avons raté le coche après notre égalisation à deux partout. A cet instant, l’Argentine doutait et chez nous le moral avait sérieusement remonté. Malheureusement, nous avons encaissé rapidement ce troisième but qui a coupé notre élan. Cela dit, je tiens à exprimer mes félicitations à cette équipe d’Argentine qui a dominé le Mundial, notamment grâce à Diego Maradona qui est, pour moi, le meilleur joueur du tournoi, un joueur pour lequel j’ai beaucoup de respect. Enfin, l’Union Soviétique avait perdu 4-3 contre la Belgique en huitième de finale, à la surprise générale. L’épouvantail soviétique (victoire 6-0 contre la Hongrie puis nul 1-1 face à la France de Platini en poules), avec une ossature de joueurs du Dynamo Kiev qui ont écrasé l’Atletico Madrid début mai en finale de la C2 à Lyon, tombe de haut contre les Diables Rouges, comme l’explique Alexander Zavarov avec le recul : C’est la chose la plus douloureuse qui nous soit arrivée. Ça a été très, très dur, de se relever de cette élimination. Tout simplement parce que nous n’étions pas préparés à perdre. Pour nous, ce match était une formalité. Les jours précédant la rencontre, on faisait des paris entre nous sur qui seraient nos prochains adversaires en quart de finale. Les supporters pensaient pareil. En fait, personne n’avait envisagé que l’on puisse perdre contre la Belgique. A cause du décalage horaire, le match était prévu pour le matin à Moscou. Mais pour que tout le pays puisse nous voir gagner, la télévision soviétique avait décidé de le diffuser l’après-midi, en différé. Dans le laps de temps qui a séparé notre défaite sur le terrain et la diffusion du match, personne n’a voulu croire qu’on avait perdu. Les gens croyaient qu’on leur faisait une mauvaise blague. C’est seulement en regardant le match que tout le monde s’est aperçu que nous étions réellement éliminés. Personne ne voulait y croire. Rétrospectivement, on ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes. On a pris les Belges de haut, et l’arbitre suédois Erik Friedriksson a fait le reste. Enfin, ce Mundial mexicain voit la première participation de l’Irak. Fils d’un dictateur sanguinaire Saddam Hussein et chef du Comité Olympique de l'Irak. Oudaï a pris son rôle très à cœur après sa nomination, tel Nicu Ceausescu en Roumanie après du Steaua Bucarest champion d’Europe en cette même année 1986 ... Violences, tortures et même exécutions : le fils aîné de Saddam n’a reculé devant rien pour motiver ses joueurs et assurer le succès du football irakien, du championnat national aux qualifications internationales. C’était un voyou, raconte la légende irakienne Basil Gorgis, qui a disputé la Coupe du Monde au Mexique en 1986 et qui avait déjà à faire à l’ainé du dictateur irakien. Il nous appelait et nous menaçait d’abus physiques ou de nous envoyer en première ligne de la guerre contre l’Iran. Il faut dire que la Coupe du Monde tenait une place importante dans l’esprit de Saddam Hussein. La guerre contre l'Iran, qui aurait coûté la vie à plus d'un million de personnes, faisait rage depuis six ans et n’offrait aucune perspective de paix. Des soldats mourraient dans des tranchées remplies de gaz moutarde sur la frontière orientale de l'Irak et le pays avait besoin de bonnes nouvelles. Quand les qualifications pour le Mondial au Mexique ont commencé, la guerre avait déjà privé les Irakiens de matchs dans leur pays. Une sélection obligée d’évoluer hors de ses frontières, sur terrain neutre, comme en 2007 avant une victoire historique en Coupe d'Asie. Mais quand les Irakiens ont battu la Syrie voisine dans un play-off qualificatif aller-retour, Oudaï et Saddam Hussein ont immédiatement reniflé l'opportunité politique. La préparation pour le Mondial ne s’est pourtant pas bien passée. Oudaï a notamment refusé d’affronter l'Angleterre ou le Brésil en match de préparation. Au lieu de cela, il a insisté pour faire une tournée des clubs amateurs au Brésil. Oudaï ne voulait pas perdre, se souvient Gorgis. Le Brésil avait fait une demande pour nous affronter et lui venait nous voir en blaguant. Il nous disait : quelle est la différence entre vous et les joueurs brésiliens ? Vous portez des chaussures Adidas, ils en portent aussi. C'était vraiment une blague. On a fini par affronter Flamengo et ont a perdu 3-1. C’est donc une équipe irakienne mal préparée et effrayée qui a débarqué au Mexique en juin 1986. Oudaï Hussein était pourtant convaincu que son pays se sortirait d’un groupe difficile (Mexique, Belgique et Paraguay) et qu’il pouvait même gagner le tournoi. Cette folie des grandeurs explique sans doute pourquoi le fils du dictateur a exigé à la dernière minute que l'Irak abandonne ses couleurs traditionnelles pour jouer en or. Sans réelle surprise, cela n'a pas fonctionné. L'Irak a perdu ses trois matchs par un seul but d’écart (1-0 face au Paraguay, 2-1 contre les Belges et 1-0 face au Mexique), Gorgis a été expulsé face aux Belges et la génération dorée du football irakien est rentrée chez elle pour retrouver un dictateur en colère, qui a ordonné que tous les joueurs soient battus en guise de châtiment. Mais le système pourri du football irakien n’empêchait pas le président de la FIFA, Joao Havelange, de tirer un bilan très positif du Mundial mexicain de 1986, estimant que le public mexicain s’était montré chaleureux et enthousiaste, que la compétition avait été d’un excellent niveau technique, et que le système de l’élimination directe à partir des huitièmes de finale avait permis de constater, vu le nombre de matches conclus aux tirs aux buts, que les équipes qualifiées se tenaient de très près et étaient bien les meilleures.



1 réactions


  • Axel_Borg Axel_Borg 30 janvier 2019 09:29

    Un homme : Diego Maradona. Un buteur d’exception : Gary Lineker. Un gardien : Jean-Marie Pfaff. Une révélation : le Danemark. Une déception : l’U.R.S.S.

    Mexico 1986 aura donc été le triomphe du Pibe del Oro, qui vengeait 1978 (absent) et 1982 (expulsé contre le Brésil) tandis que Zico, Socrates et Michel Platini étaient définitivement condamnés au panthéon des rois maudits de la Coupe du Monde, avec Sindelar, Puskas, Eusebio et Cruyff.


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