Japon : le sumo lutte pour sa survie
Du 11 au 25 novembre s’est déroulé au Japon le dernier tournoi officiel de l’année 2007, au Kokusai Center de Fukuoka (sud-ouest du pays). Pendant 15 jours, les lutteurs se disputent encore une fois les grands honneurs sur le dohyō (arène), alors que la survie de ce sport traditionnel nippon se trouve elle-même secouée de toutes parts. Cité par le quotidien national Sankei Shimbun, l’écrivain, critique et grand fan de sumo Maruo Shiota déclarait le mois dernier que « l’avenir du sumo est bien sombre » en faisant référence à des scandales récents, dont notamment des accusations de matchs truqués et la dénonciation de la violence dans les « écuries ». Cette violence a mené à la mort tragique d’un jeune lutteur de 17 ans, Takashi Saitō. Ce dernier est décédé le 26 juin d’un arrêt cardiaque pendant une séance d’entraînement, suite aux mauvais traitements infligés par ses condisciples et le maître de l’écurie. Les réseaux privés de télévision ont diffusé des photos montrant clairement les blessures infligées au jeune apprenti par ses condisciples, à l’aide de mégots de cigarette et d’une batte de base-ball en métal. Le maître de l’écurie, connu sous le nom de Tokitsukaze, après avoir d’abord nié, a finalement lui-même reconnu avoir frappé le jeune Takashi à la tête et aux genoux avec une bouteille de bière (il fut par la suite été banni de l’Association et une enquête policière est en cours).
Un ancien lutteur de sumo, Muneyoshi Fujisawa, explique dans un article publié par AFPBBNews le 5 octobre dernier que les brimades entre lutteurs ont toujours été courantes dans le monde du sport [au Japon] et que les athlètes de talent doivent couramment endurer traitements humiliants et épreuves vexatoires. Il raconte l’expérience qu’il a lui-même vécue à l’âge de 15 ans : « C’était il y a 40 ans, le lendemain de mon arrivée à Tokyo pour entrer dans le monde du sumo, et je m’en souviens encore comme si c’était hier. Alors que je faisais une sieste pour récupérer de la fatigue du voyage, je rêvais que mes pieds brûlaient. Me réveillant, je constatais qu’un journal brûlait réellement sur mes pieds ». Fujisawa modère toutefois ses propres propos en précisant que la colère et la douleur provoquées par les brimades (il avoue avoir été souvent frappé à coups de sabre en bambou et gavé de sable ou de sel dans la bouche) contribuaient, en dépit du ressentiment initial, à faire progresser le lutteur.
La vision de ce vétéran n’est toutefois pas partagée aujourd’hui par la majorité des jeunes Japonais. En février dernier, l’Association japonaise de Sumo a même dû annuler un test de sélection des nouvelles recrues, faute de candidats. En fait depuis quelques années le nombre annuel de recrues n’atteint pas la centaine ; en 2006 l’Association n’en a accueilli que 67, contre 223 en 1992 (à l’époque où le Japonais Takanohana volait la vedette à l’Hawaïen Akebono et ravivait temporairement la flamme du sumo). Aujourd’hui, ce sont deux Mongols qui détiennent le titre de Yokozuna (grand champion, le rang le plus élevé de la hiérarchie des lutteurs) et remportent plus souvent qu’à leur tour les six tournois officiels nationaux organisés chaque année. On attribue d’ailleurs les insuccès des lutteurs japonais au fait que les jeunes sportifs nippons de talent, eux, préfèrent de loin d’autres sports tels que le base-ball et le foot, exempts des contraintes de discipline sévères qui caractérisent le sumo, tandis que les étrangers souvent originaires de pays a niveau de vie moins élevé viennent tenter leur chance au sumo professionnel pour y faire fortune.
Toujours à propos du futur sombre auquel fait face le sumo, l’écrivain Shiota déclarait, à propos de la violence, que « les gens savent bien maintenant que des choses semblables se sont déroulées dans d’autres écuries aussi » et concluait qu’il « ne restera bientôt plus que des étrangers peu au courant de la situation interne au Japon pour prendre en main l’avenir du sumo ».
Sur des sites de discussion comme ceux de Yahoo Japan, des internautes s’interrogent sur la grande quantité de places vacantes au Kokusai Center, comme permet d’ailleurs de le constater chaque jour la transmission en direct du tournoi à la télévision. Et parmi les commentaires, la mention du "trop grand nombre d’étrangers dans notre sport national" revient très souvent. Il faut toutefois préciser que le sumo ne jouit généralement pas d’une très grande popularité dans cette ville et que les tournois font encore souvent salle comble dans d’autres villes. Quoi qu’il en soit, pour camoufler tant bien que mal les nombreuses places vides à Fukuoka, on a remplacé cette année les revêtements blancs des coussins où s’assoient les spectateurs par des revêtement bleus, moins voyants. Le site ZAZKAZ cite par ailleurs un préposé aux billets qui a déclaré que « c’est une année tranquille comme on en voit rarement »... tout en s’efforçant de retenir un bâillement.
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Remarque : je me suis basé principalement sur des sources japonaises, mais on trouve aussi des articles en français sur ces sujets, comme ici, ici et là.