mardi 6 novembre 2018 - par Axel_Borg

La Ligue des Champions tue-t-elle les championnats ? (Episode 1, la Naissance du Léviathan)

Certains ont à un moment pensé que la Ligue des Champions était un embryon d’une ligue européenne fermée réservée à l’élite de feu le G14, ou encore qu’elle allait phagocyter les championnats nationaux ... Rien de tout cela n’est arrivé mais force est de constater que les ligues européennes ont perdu de leur superbe ... Car tel le dieu romain Janus, la Ligue des Champions a deux visages, l’un sublime, celui d’un niveau de jeu exceptionnel souvent atteint dans le dernier carré, l’autre néfaste qui a déteint sur l’ensemble du Vieux Continent soumis au lobby de l’European Club Association ... Mais le Léviathan UEFA, au lieu de faire son aggiornamento, ne cesse de renforcer le caractère darwinien d’une épreuve qui ne cesse de perdre sa crédibilité, puisque seulement intéressante à partir du printemps, l’automne et l’hiver étant aussi sinistres que dans les célèbres portraits des quatre saisons d’Arcimboldo ... Mais combien de temps encore le château de cartes va-t-il tenir avant de s’effondrer ?

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Sans le savoir, l’UEFA a ressuscité le principe de darwinisme social … L’un des plus notables porte-parole américains du darwinisme social fut John D. Rockefeller, le premier de la dynastie, qui déclara dans un discours célèbre : La variété de rose “American Beauty” ne peut être produite dans la splendeur et le parfum qui enthousiasment celui qui la contemple qu’en sacrifiant les premiers bourgeons poussant autour d’elle. Il en va de même dans la vie économique. Ce n’est là que l’application d’une loi de la nature et d’une loi de Dieu.

Automne 1994 … L’hebdomadaire France Football constate que la plupart des champions en titre des plus prestigieuses ligues européennes se trouvent en difficulté (voire en perdition) dans leurs propres championnats et propose un article intitulé La Ligue des Champions tue-t-elle les championnats ? Comme un coureur privé d’oxygène au plus fort des pourcentages d’un col hors catégorie, le point de rupture est presque atteint pour certains durant cette saison 1994-1995. On lâche un mètre, puis deux, puis cinq, avant de voir le peloton se transformer progressivement en un point de mire de plus en plus lointain, avant même de le perdre de vue à la faveur d’un lacet ou de la foule s’ouvrant et se refermant telle la Mer Rouge au passage des Juifs d’Egypte vers Israël sous l’égide du prophète Moïse.

Exception faite de l’Ajax Amsterdam qui terminera invaincue aux Pays-Bas avec une équipe de jeunes guidés par les tauliers Danny Blind et Frank Rijkaard sous la bénédiction de l’ayatollah Louis Van Gaal, les autres champions nationaux en titre sont tous en difficulté au 21 décembre en date du solstice d’hiver (après avoir joué 6 matches de C1 en phase de poules), difficulté plus ou moins relative selon les cas.

  • Allemagne : un peu plus d’un an avant la naissance de l’expression FC Hollywood dans le vocabulaire officiel de l’évangéliste Franz Beckenbauer (en écho aux luttes byzantines entre Lothar Mätthaus et Jürgen Klinsmann dans un vestiaire bavarois devenu 100 % kafkaïen), le Bayern Munich débutait dans la douleur l’ère Giovanni Trapattoni. Loin derrière le Borussia Dortmund et le Werder Brême en Bundesliga, l’ogre du football allemand n’était plus l’épouvantail des années 80, et avait raté son recrutement, Jean-Pierre Papin étant blessé la plupart du temps. Dès la deuxième journée du championnat d’Allemagne, le 23 août 1994, le Bayern mordait la poussière à Fribourg 5-1. C’est ensuite dans la Ruhr, face à l’insolent leader Dortmund le 22 octobre 1994, que le club munichois rentrait une deuxième fois bredouille d’un déplacement en terre rivale (0-1). Fin novembre à l’instauration de la trêve hivernale, le Bayern Munich était déjà pris dans les sables mouvants, 5e avec 22 points (victoire à deux points), à 6 unités d’un Borussia Dortmund lancé vers la conquête d’un titre national attendu depuis 1963.
  • Angleterre : rival du Barça dans la poule A (servant de punching-ball à l’ogre catalan début novembre 1994, vainqueur 4-0 au Camp Nou), Manchester United connaissait des difficultés avant même la suspension d’Eric Cantona pour son kung-fu kick de janvier 1995 contre Crystal Palace à Selhurst Park (ce qui permettra à l’enfant terrible du foot français de tourner avec Michel Serrault, Sabine Azéma et Eddy Mitchell dans le troisième long-métrage d’Etienne Chattiliez, le Bonheur est dans le Pré, avant de retrouve le bonheur sur le pré avec les Red Devils à partir du 1er octobre 1995). Dauphin de MU en 1993-1994 en Premier League, les Blackburn Rovers d’Alan Shearer avaient sonné l’heure de la rébellion, dressant la guillotine face à des diables rouges privés de leurs fourches caudines. Défaits à Leeds (2-1), Ipswich (3-2), Sheffield (1-0) et aussi à Old Trafford devant Nottingham Forest (1-2), les Mancuniens avaient cependant battu Blackburn dans leur fief d’Ewood Park. Mais loin de tutoyer la perfection comme en 1993-1994 (seulement 4 défaites en 42 journées de championnat), MU ne s’attirait plus les superlatifs de la presse d’Albion, loin de là … A l’approche du Boxing Day, les joueurs d’Alex Ferguson abordaient le virage de la fin d’année avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, avec 41 points contre 43 au rival de Blackburn.
  • Espagne : après quatre titres de champion d’Espagne de rang dans la péninsule ibérique, dont trois acquis in extremis à la dernière journée (1992 et 1993 aux dépens du Real Madrid piégé face à Tenerife aux Canaries, 1994 au grand dam de la Corogne), le Barça de Johan Cruyff commettait le péché d’orgueil de croire qu’une cinquième Liga lui tendait les bras. Cathédrale du beau jeu avec Romario, Stoïtchkov ou encore Guardiola, ce Barça de feu était la madeleine de Proust des amateurs de ballon rond au début des années 90. Un an après la terrible manita de février 1994 qui avait permis à Romario (auteur d’un triplé) d’obtenir le blanc-seing de Cruyff pour se rendre au carnaval de Rio de Janeiro, le Real Madrid tenait sa revanche avec un 5-0 qui portait la griffe du buteur chilien Ivan Zamorano, auteur d’un triplé. La passation de pouvoir pressentie depuis l’automne 1994 était effective entre les hommes de Johan Cruyff et ceux de Jorge Valdano. Ce clasico de février 1995 marquait le chant du cygne du grand Barça de Cruyff, le Real Madrid étant viscéralement destiné à mettre fin au règne des Blaugrana sur le royaume d’Espagne, règne sans partage débuté en 1991.
  • France : battu plusieurs fois en début de saison, le PSG de Luis Fernandez n’est pas aussi brillant et voit le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau caracoler en tête du championnat, pourtant orphelin de l’Olympique de Marseille, le champion d’Europe 1993 ayant été rétrogradé en D2 pour cette saison 1994-1995 suite à l’affaire OM – VA. Nantes contre Paris, David contre Goliath, avec ce but mythique de Patrice Loko à la Beaujoire sur une passe inoubliable de Reynald Pedros sans que le ballon ne touche terre avant de franchir la ligne du but de Bernard Lama … Ces mêmes Nantais allaient même battre le record d’invincibilité établi en 1993-1994 par les Parisiens. De 27 matches sans défaite, le record passa à 32 rencontres sans mordre la poussière.
  • Italie : quelle ne fut pas la surprise de l’aréopage des observateurs avisés du Calcio de voir que malgré le départ du condottiere Trapattoni au Bayern, la Juventus put renaître de ses cendres tel un phénix avec un nouvel entraîneur venu de Naples, Marcello Lippi. A telle point que la Vecchia Signora, à trois ans de son centenaire, fonçait tout droit vers un Scudetto que lui contestait le Parme AC de Gianfranco Zola. Neuf ans après son âge d’or des années 80 où Michel Platini était au faîte de sa gloire, la Juventus retrouvait les sommets, quittant enfin l’ombre du voisin et rival milanais, lequel descendait enfin de son nuage. Le climax avait été atteint avec une série de 58 matches sans défaite entre mai 1991 (défaite à Bari) et mars 1993 (revers à San Siro contre Parme), puis un nouvel acmé pour l’ogre lombard avec une série de 929 minutes d’invincibilité pour son gardien de but Sebastiano Rossi en 1993-1994. Durant l’automne 1994, le Milan AC, insolent de facilité entre les saisons 1991-1992 et 1993-1994 dans l’Eldorado du football européen, faisait le tampon entre le wagon de tête et le ventre mou d’une Série A en plein risorgimento. Et la victoire de la Juventus sur le Milan lors de la 8e journée du Calcio, le 30 octobre 1994, fit encore plus vaciller le colosse lombard, plus proche que jamais de tomber du Capitole à la Roche Tarpéienne, si loin du firmament auquel on le pensait destiné pour toujours … Car les Rossoneri avaient déjà grillé un premier joker à Crémone lors de la 4e journée (défaite 1-0) et un deuxième à Padoue lors de la 6e journée (défaite 2-0). Cette troisième revers de la saison contre le rival piémontais ne serait pas la dernière pierre dans le jardin de Fabio Capello, qui enchaînera trois matches nuls face à Parme, à l’Inter puis la Roma. Au solstice d’hiver, la messe était dite, le club de Silvio Berlusconi (limogé du Palazzo Chigi avec son mouvement Forza Italia, après seulement 9 mois) ne gagnerait pas un quatrième titre de rang dans la Botte. Le classement, juste avant Noël, était sans appel. 1er Parme 31 points, 2e Juventus 30, 3e Fiorentina 26, 4e Lazio Rome 25, 5e AS Rome 24, 6e Bari 22, 7e Milan et Sampdoria 21. La seule consolation était devoir le voisin et rival nerazzurro quatre unités derrière l’AC Milan. Plébiscité meilleur club du monde après avoir pulvérisé Barcelone 4-0 le 18 mai 1994, le grand Milan n’était plus que le fantôme de sa gloire seulement six mois plus tard, plongé dans les ténèbres de l’automne après avoir pérennisé les exploits depuis 1988. La fin de cycle tant redoutée approchait.
  • Portugal : les Aigles du Benfica ont subi la férule des Dragons du FC Porto lors de cette saison 1994-1995 en Superliga. Le club d’Eusebio ne le savait pas encore, mais à sa malédiction européenne de Guttmann ayant débuté en 1962 pour déjà trois décennies de jachère, s’ajoutait une autre disette terrible : onze ans sans couronne nationale au Portugal, de 1994 à 2005 !

Dans les championnats européens les moins huppés, comme la Belgique ou l’Ecosse, Anderlecht et les Glasgow Rangers conservèrent en 1995 les titres nationaux conquis en 1994.

Le club bruxellois fut cependant devancé par le Benfica Lisbonne et l’Hajduk Split dans la poule C, tandis que le club protestant de Glasgow, qui avait pourtant recruté Basile Boli (Olympique de Marseille) et Brian Laudrup (AC Milan) à l’intersaison, n’avait pas passé le cap des barrages estivaux contre l’AEK Athènes.

Grisé par la deuxième place en poules derrière l’OM de Bernard Tapie au printemps 1993, le président des Glasgow Rangers David Murray affichait un objectif très ambitieux à l’été 1994. Gagner la Ligue des Champions à horizon 1997, rien de moins. Le fiasco fut monumental pour les champions d’Ecosse, qui n’égalèrent les mythique Lisbon Lions de Jock Stein que sur un point : neuf titres consécutifs en Ecosse de 1989 à 1997 (comme le grand Celtic de 1966 à 1974)

Car au sud du mur d’Hadrien, les Rangers étaient ridicules malgré un championnat qu’ils dominaient de la tête et des épaules :

  • Elimination par l’AEK Athènes au tour préliminaire de la C1 en 1994-1995
  • Dernière place derrière la Juventus Turin, le Borussia Dortmund et le Steaua Bucarest en phase de poules en 1995-1996 (après une qualification douloureuse contre les Chypriotes de Famagouste au tour préliminaire, 1-0 à Ibrox Park et 0-0 à Chypre), ce qui n’empêcha pas Sean Connery, écossais jusqu’à la moelle (l’acteur étant favorable à la sortie de l’Ecosse du Royaume-Uni) de faire plusieurs heures de voiture entre Rome et Turin le 18 octobre 1995 pour assister à la déroute des Rangers face à la Juventus au stade des Alpes (4-1)
  • Dernière place derrière Auxerre, l’Ajax Amsterdam et le Grasshopper Zurich en phase de poules en 1996-1997, ce qui mettait fin dans la douleur au cycle de trois ans imaginé en 1994 par le board des Rangers, loin de l’apothéose tant espérée …

Sean Connery, interprète des James Bond 007 mais aussi de Daniel Dravot alias Sikander (fils présumé d’Alexandre le Grand) dans l’Homme qui voulut être roi en 1975. La belle utopie de Sir David Murray, l’homme qui voulut être roi du football européen après avoir perdu ses deux jambes en 1976 et racheté les Glasgow Rangers en novembre 1988, s’arrêta le 30 octobre 1996 par une défaite à domicile contre l’Ajax Amsterdam, 0-1 à Ibrox Park. La quête du Graal, réussie par Sean Connery (alias Henry Jones) sur grand écran en 1989 dans Indiana Jones et la Dernière Croisade, via Venise, Berlin et la Jordanie (Petra), est toujours d’actualité du côté de Glasgow vingt ans plus tard, les Rangers n’ayant jamais passé la phase de poules de la C1, atteignant toutefois la finale de la C3 en 2008, perdue à Manchester face au Zénith Saint-Pétersbourg … Les Rangers avaient sans doute oublié un peu vite qu’en 1992-1993, la poule A était composée de l’Olympique de Marseille, du CSKA Moscou et le FC Bruges. Mais si le club moscovite n’avait pas battu la Dream Team de Johan Cruyff à l’automne 1992 au Camp Nou, c’est le grand Barça que le club protestant aurait dû affronter en plus du club phocéen qui allait succéder à l’ogre catalan au palmarès de la C1. Ironie du destin, c’est à Barcelone en 1972 que les Glasgow Rangers ont remporté leur seule Coupe d’Europe, la Coupe des Coupes (C2) face à un autre club moscovite … le Dinamo Moscou. Magnat d’acier comme Jack Walker aux Blackburn Rovers à la même époque, Sir David Murray a quitté en 2012 la présidence des Rangers, léguant au club protestant le centre d’entraînement ultra moderne de Murray Park, utilisé par la Corée du Sud (entraînée alors par Dick Advocaat, instigateur de Murray Park en 2001 quand il coachait les Rangers) pour préparer la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. David Murray est aussi le propriétaire de l’avion dans lequel le pilote écossais de F1 David Coulthard faillit périr le 2 mai 2000 dans un vol pour Nice, l’appareil devant atterrir en catastrophe à l’aéroport de Lyon – Satolas.

Avec le recul, il est facile cependant de constater que la C1, juge de paix et baromètre ultime de la forme d’un club en Europe, n’était pas la cause majeure des problèmes rencontrés en 1994-1995 par les ténors du Vieux Continent dans leurs championnats nationaux respectifs, la plupart victimes d’un alignement défavorable des planètes :

  • Le Milan AC subissait l’usure du pouvoir après un troisième titre de champion d’Europe en six ans, la blessure persistante de Marco Van Basten à la cheville, le come-back raté de Ruud Gullit qui fit rapidement volte-face vers la Sampdoria Gênes où il s’était exilé en 1993-1994 tel un paria, et la fatigue des cadres italiens qui formaient l’ossature de la Nazionale lors de la Coupe du Monde aux Etats-Unis (tels Paolo Maldini, Roberto Donadoni, Alessandro Costacurta ou encore Demetrio Albertini, sans oublier Franco Baresi blessé au ménisque face à la Norvège et opéré par des chirurgiens new-yorkais avant d’être rétabli in extremis pour la finale contre le Brésil en Californie). L’affaire de la bouteille jetée sur le gardien autrichien Konrad n’arrangea rien, Milan perdant le bénéfice d’une victoire à domicile face au Casino Salzbourg (3-0), qui se révélera donc être une victoire à la Pyrrhus. Au match retour à l’Ernst Happel Stadion de Vienne le 7 décembre 1994, Daniele Massaro marqua le seul but d’un match qui offrait un sursis à l’AC Milan, avant de revoir Vienne en finale au printemps 1995. Un long voyage vers Tokyo décupla la fatigue, après une défaite en finale de Coupe Intercontinentale contre Velez Sarsfield, lauréat de la Copa Libertadores sous l’égide de Carlos Bianchi. Cette défaite au Japon sonnait la fin du grand Milan, que confirma la défaite en finale en mai 1995 à Vienne contre l’Ajax Amsterdam, et plus encore la furia bordelaise du printemps 1996 en C3, avec un Zidane stratosphérique à la baguette. Après avoir cannibalisé l’Europe du football pendant près d’un septennat, les Rossoneri prenaient trois buts en Coupe d’Europe pour la première fois depuis 1978. Mais comme l’indiquait France Football en 1995 sur les rumeurs de transfert envoyant les Parisiens George Weah et David Ginola en Lombardie, Milan ne se drague pas, il se mérite. Cette phrase lourde de sens se vérifierait avec les transferts ratés de jeunes Néerlandais immatures venus de l’Ajax : Patrick Kluivert et Edgar Davids (qui rebondiraient respectivement au Barça et à la Juventus), et leurs complices du porte-bagages, Winston Bogarde et Michael Reiziger.

     

  • La Dream Team de Johan Cruyff avait explosé suite au camouflet de la finale de C1 1994 contre le Milan de Capello. A Barcelone, le recrutement de Gheorghe Hagi ne servait à rien malgré le départ de Michael Laudrup pour le Real Madrid. Après deux ans dans le purgatoire de Série B à Brescia, le Maradona des Carpates avait été étincelant avec la Roumanie lors de la World Cup américaine 1994. Mais Cruyff voulait mourir avec ses idées, et n’avait pas souhaité faire jouer Hagi, pourtant devenu ami avec son concurrent direct parmi le contingent de joueurs étrangers, le Bulgare Hristo Stoïtchkov. Romario démotivé après son titre mondial aux Etats-Unis et décidé à retrouver Rio de Janeiro (ce qu’il fit dès janvier 1995), le reste du groupe avait laissé beaucoup d’influx nerveux dans la course-poursuite du printemps 1994 derrière la Corogne, après la cruelle défaite de la Romareda en février 1994 face à Saragosse (6-3). Et la forte personnalité du gardien Andoni Zubizarreta, congédié par Joan Gaspart après la terrible défaite d’Athènes, manquait pour offrir au despotique Johan Cruyff un contre-pouvoir dans le vestiaire blaugrana. Tous les ingrédients étaient réunis pour que l’érosion du temps fasse son œuvre sur cette sublime équipe condamnée à prendre le toboggan du déclin, et de délaisser les rêves pour se fracasser face au mur de la réalité en 1995, avec une cruelle 4e place en Liga. En un an, cette équipe pour qui tout le monde avait les yeux de Chimène avait perdu une partie de son ADN.

     

  • Le PSG subissait le nouveau calendrier infernal des instances hexagonales, avec l’instauration d’une Coupe de la Ligue que le club de la capitale allait gagner au printemps 1995 (tout comme la Coupe de France), et la lassitude psychologique de George Weah, qui comme Ronaldinho entre 2001 et 2003, choisissait ses matches (7 buts en 34 matches de championnat pour le Libérien en 1994-1995, contre 8 réalisation en 11 rencontres de Ligue des Champions). La renaissance de Rai sous le maillot parisien, qui redevenait le joueur brillant qui était la clé de voûte du Sao Paulo FC, n’allait pas suffire pour que Paris puisse contenir la furia nantaise, au point que Lyon sera le dauphin du FCNA devant le PSG, seulement 3e en 1995. Tel Don Quichotte esseulé face aux moulins de Castille, le PSG devait se battre sur trop de fronts en 1994-1995. Deux décennies plus tard, la situation n‘a pas changé d’un iota, faute de remise en question des politiciens en charge des destinées du football hexagonal. Ainsi, Monaco a dû sacrifier le championnat en 2003-2004 pour atteindre le Graal d’une finale de C1, et le même club princier a envoyé une équipe C de jeunes (le virtuose Kylian Mbappé excepté) se faire éparpiller façon puzzle par le PSG au Parc des Princes en demi-finale de la Coupe de France 2017 -0-5), afin de préserver ses chances en Ligue 1 et en Ligue des Champions. Personne, surtout pas le moustachu Frédéric Thiriez président la Ligue entre 2002 et 2016, n’a jugé bon de nettoyer les écuries d’Augias, mieux vaut rester perché sur sa tour d’ivoire à scruter l’horizon du football français, fait de nuages plus que d’un soleil d’Austerlitz.

     

  • Manchester United subissait comme son alter ego parisien un calendrier démentiel digne du marathon avec 42 journées de championnat en Angleterre, règlement ubuesque qui prit fin à l’été 1995 (bien que copié par la Liga espagnole pendant deux ans pour les saisons 1995-1996 et 1996-1997). Figure de proue du club mancunien, Eric Cantona subissait cependant la concurrence de trois autres fines gâchettes du Royaume : Alan Shearer à Blackburn, Jürgen Klinsmann à Tottenham, et Andy Cole à Newcastle, lequel remplaçant le Phocéen en 1995 après sa suspension. Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est qu'elles pensent qu'on va leur jeter des sardines ? avait dit Cantona en 1995 en conférence de presse avec cet air sibyllin dont il avait le secret. Ce qui était sûr, en revanche, c’est que le navire MU prenait l’eau avant même que l’impulsivité de Cantona contre un hooligan nazillon fin janvier 1995 ne porte l’estocade à la campagne 1994-1995 du côté d’Old Trafford. Trop seul à porter la pression de United tel Atlas condamné à porter la voûte céleste, Cantona avait franchi le Rubicon. D’autres le feraient, tel Roy Keane en 2006 sur MU TV venant cracher son venin sur Rio Ferdinand. Dès 1995, le pourvoyeur de caviars Ryan Giggs et l’aboyeur Roy Keane allaient être rejoints par Paul Scholes, Nick Butt, David Beckham et les frères Neville. Le premier match de la youth class de 1992 serait une défaite contre Aston Villa (3-1) à Birmingham, à peine éclipsée par la guerre musicale entre Oasis et Blur à l’été 1995. Le consultant de la BBC, l’ancien défenseur écossais de Liverpool Alan Hansen, n’avait pas été tendre avec Fergie : You can't win anything with kids. Comprenez : Vous ne gagnerez rien avec des gamins. Paradoxal commentaire après une saison 1995 qui avait vu l’Ajax triompher en Europe et aux Pays-Bas avec une bande de gamins (Seedorf, Davids, Overmars, Litmanen, Van der Sar, Kluivert, les frères de Boer, Kanu) et le FC Nantes faire de même dans l’Hexagone avec Loko, Pedros, Ouédec, Makélélé et Karembeu. Mais l’Angleterre est une île nombriliste, une prison mentale digne du labyrinthe de Dédale enfermant le Minotaure, un perchoir persuadé d’avoir atteint le nirvana … Le maillot gris estampillé Sharp avait vécu ses dernières heures côté mancunien, mais pas cette classe biberon qui emmènerait Ferguson au climax de l’Europe un soir du printemps 1999 en Catalogne. Sans Cantona cependant, qui avait légué le numéro 7 à David Beckham en 1997, le Spice Boy s’était montré digne de l’homme au col relevé par un lob somptueux contre Wimbledon en ouverture du championnat d’Angleterre 1996-1997. Un an après la claque reçue à Villa Park, MU avait montré que ses jeunes avaient de l’avenir. Quant à Alan Hansen, il fut hanté par son erreur pendant vingt ans à la BBC, notamment quand MU réalisa le triplé Championnat d’Angleterre – FA Cup – Ligue des Champions, exploit que seul le grand Celtic de Jock Stein avait réussi jusqu’alors (en 1967) parmi les clubs britanniques. Même le grand Liverpool s’y était cassé les dents, notamment en 1977 où Manchester United avait privé le club de la Mersey du triplé en gagnant la FA Cup à Wembley. Supporters de Manchester City, les frères Gallagher faisaient en 1994-1995 les choux gras de la presse musicale d’outre-Manche : Q, New Musical Express ou encore El Pais de las Tentaciones. Pour Alex Ferguson, il fallut attendre six ans pour que le pays de la tentation se confonde avec consécration : Grèce en 1994 (finale de C1 à Athènes), Autriche en 1995 (Vienne), Italie en 1996 (Rome), Allemagne en 1997 (Munich), Pays-Bas en 1998 (Amsterdam) et enfin en Espagne en 1999 (Barcelone). C’est donc en Catalogne que le bouillant écossais gagnera sa troisième finale européenne (la première en C1), après celles de 1983 avec Aberdeen et 1991 avec Manchester United. ... A chaque fois, Fergie avait battu un multiple Ballon d’Or, Alfredo Di Stefano (Real Madrid) en 1983 à Göteborg puis Johan Cruyff (FC Barcelone) en 1991 à Rotterdam. En 1983 au Nya Ullevi de Göteborg, à quelques minutes de cette finale de Coupe des coupes contre le Real Madrid que tout le monde voit perdue d’avance pour le modeste club écossais d’Aberdeen, le jeune Alex Ferguson (41 ans) s'approche de l’immense Alfredo Di Stéfano, l'entraîneur des Merengues, et lui offre une bouteille du meilleur whisky écossais. Tout miel, il lui exprime sa joie d'être là et sa gratitude de l'affronter en finale. Ferguson en fait des caisses. On ne le reverra jamais plus comme ça. C'est évidemment une tactique. La veille, son mentor, Jock Stein, l'entraîneur historique du Celtic, lui a conseillé de donner l'impression d'être content d'être là  et de faire comme si la victoire lui importait peu... Ferguson joue sa partition à la perfection. Ses joueurs feront de même sur le terrain. Ce soir-là, Aberdeen l'emporte 2-1, après prolongation, contre le mythique Real.... Un grand psychologue, et un immense entraîneur, sont nés. En 1999, Ferguson jouera un autre tour à Ottmar Hitzfeld, celui du Fergie Time, postulat qui voulait que Manchester United marquait le plus souvent ses buts dans le dernier quart d’heure, les diables rouges faisant passer leurs adversaires sous leurs fourches caudines. Cette loi si souvent vérifiée à Old Trafford le fut aussi le 26 mai 1999 au Nou Camp de Barcelone contre le Bayern Munich, sur cette pelouse où les Red Devils avaient été ridiculisés par le Barça de Cruyff le 2 novembre 1994. El Mister prenait alors sa revanche de la finale de C2 perdue en mai 1991 à Rotterdam, la première couronne européenne d’un club anglais après le Heysel.

     

  • Le Bayern Munich, en 1994, n’avait pas encore bâti les fondations du géant économique qui prendra son essor dans les années 2000. Au concours Lépine des bonnes pratiques de gestion d’un club à la façon d’une entreprise mondialisée, le club présidé tour à tour par Franz Beckenbauer, Karl-Heinz Rummenigge et Uli Hoeness sortira grand vainqueur en Europe. Le titre acquis au printemps 1994 était en fait un trompe-l’œil, comme le prouvera la 6e place finale en 1995 en Bundesliga. En effet, l’Einthracht Francfort menait la Bundesliga à l’hiver 1993/1994, mais le cavalier seul du club francfortois allait prendre fin en 1994 au retour de la trêve des confiseurs, sonnant le glas des espoirs de l’Einthracht.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, écrivait Pierre Corneille dans le Cid. Plus le temps passe, plus ce dicton semble coller à cette Ligue des Champions fermée sur elle-même, où le nombre de prétendants se compte sur les doigts d’une main, où le dernier carré ressemble chaque année à un carré VIP quasiment inaccessible aux simples mortels qui n’ont pas eu le droit de boire le nectar et l’ambroisie des dieux, en l’occurrence les droits TV. C’est cet apartheid qui sonne le tocsin de l’épreuve européenne majeure du football européen, l’UEFA étant enfermée dans sa tour d’ivoire. Quel intérêt d’avoir un juge de paix en finale de C1 si les deux protagonistes sont connus d’une short-list de quatre ou cinq noms de clubs connus à l’avance ? Si rien n’est fait, le navire Champions League sombrera comme le Titanic sans même besoin d’un iceberg, et la proue se séparera de la poupe en plein Lac Léman en face de Nyon (siège de l’UEFA) sous les poids des absurdités colossales accumulées depuis le milieu des années 90.

Certes le niveau sportif est très élevé en demi-finale de C1, mais les plus riches clubs d’Europe sont constamment à se jouer et se rejouer à chaque printemps dans un navrant processus de consanguinité sportive dont l’UEFA est directement responsable, même si le money time de la saison européenne offre parfois des joutes d’anthologie et des montagnes russes d’adrénaline, mais aussi des matches où chacun des deux rivaux se regardent en chiens de faïence à la façon des protagonistes de western-spaghetti avant de sortir leur colt … La quintessence du sport, plus encore que le spectacle, est sa glorieuse incertitude. Tuer ce principe revient à tuer le principe de compétition. Le sport business 2.0 est né de ce dogme destructeur, l’UEFA étant complice des grands clubs pour faire fructifier cette poule aux œufs d’or née en 1991 après les frustrations de duels entre grands clubs aux premier ou deuxième tour des dernières Coupes d’Europe des Clubs Champions :

  • FC Porto / Ajax Amsterdam au premier tour de la C1 1985-1986
  • Juventus Turin / Hellas Vérone au deuxième tour de la C1 1985-1986
  • FC Barcelone / FC Porto au deuxième tour de la C1 1985-1986
  • Real Madrid / Juventus Turin au deuxième tour de la C1 1986-1987
  • Real Madrid / Naples au premier tour de la C1 1987-1988
  • AC Milan / Real Madrid au deuxième tour de la C1 1989-1990

A la fin des années 80, Berlusconi se met à dos l’UEFA en montant un projet censé rapporter une manne providentielle aux grands clubs … et aux chaînes de télévision. Avec son homologue madrilène Ramon Mendoza (qui a mis la pression sur l’UEFA dès le début de l’année 1991 pour une réforme de la C1), le président milanais charge Alex Fynn, patron de l’agence de publicité britannique Saatchi & Saatchi, de mettre sur pied un championnat européen réservé aux meilleurs clubs du Vieux Continent : un embryon de Ligue des Champions. J’étais dans mon bureau, à Londres, quand j’ai reçu un coup de fil de notre responsable de l’agence de Milan, se souvient Alex Fynn. Il m’a dit : « Alex, j’ai une mission pour toi : Berlusconi veut qu’on présente un projet de superleague » J’ai rendu mon travail quelques semaines plus tard. Il s’agissait d’un championnat à 16 équipes, avec des relégations et des promotions. Mais Berlusconi ne voulait pas qu’on puisse descendre. Il voulait s’assurer que les meilleurs clubs européens joueraient chaque mercredi à la télé. Real Madrid, AC Milan et PSV Eindhoven brandissent la menace du schisme après la réaction de courroux de l’UEFA.

Adjoint de Ramon Mendoza à la direction du Real Madrid, Manuel Fernandez Trigo justifiait ainsi le soutien du club merengue au projet de Berlusconi : C’est que, il ne nous est plus possible de souffrir d’un système à la fois injuste sur le plan sportif et, économiquement parlant, très pénalisant. L’argument porte jusqu’à Berne au siège de l’UEFA, son président Lennart Johansson ne voulant pas risquer une éventuelle scission avec les grands clubs européens : Il ne faut pas que la famille se disloque. Les petits doivent encore se mesurer aux grands, mais il faut aussi comprendre la situation des grands.

En juin 1991, l’UEFA décida en effet d’une réforme avec des phases de poules remplaçant les quarts de finale et les demi-finales, avec deux têtes de série pour les champions des pays les mieux classés à l’indice UEFA, en l’occurrence le FC Barcelone et la Sampdoria Gênes, qui se retrouvent en finale le 20 mai 1992 à Wembley, beau symbole pour une Angleterre de nouveau invitée à disputer la C1 via son champion national de 1991, Arsenal. Ironie du destin, les deux clubs à l’initiative de ce changement, Real Madrid et AC Milan, avaient oublié un peu vite qu’il fallait remporter son championnat domestique pour se qualifier ... Sans le sésame d’un titre national, l’UEFA ne leur avait pas déroulé le tapis rouge …

Dauphin du Barça en Liga espagnole en 1991, le Real Madrid irait jouer en Coupe UEFA, se hissant jusqu’en demi-finale en 1992 (élimination par le Torino). Quant à l’AC Milan, devancé par la Sampdoria pour le Scudetto italien en 1991, il aurait de toute façon été suspendu après la défaite 3-0 sur tapis vert au stade Vélodrome de Marseille du 20 mars 1991. Prétextant un problème d’éclairage de l’enceinte phocéenne, Franco Baresi et ses coéquipiers lombards avaient quitté la pelouse en toute fin de match alors que l’OM menait 1-0 devant son public, refusant de reprendre le cours du match après 15 minutes d’interruption, le temps de réparer les deux projecteurs de lumière défectueux.

Le Léviathan est devenu incontrôlable après 1995 : arrêt Bosman, format XXL en 1997 réformé en 1999 … Le vrai scandale du football européen a cependant eu lieu en 1997, soit deux ans après l’arrêt Bosman (1995), avec l’arrivée des deuxièmes des grands championnats (Angleterre, Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas), soit 6 poules. En 1999, l’UEFA a encore élargi sa compétition, aux troisièmes et quatrième, qui par des tours préliminaires contre les champions de petites nations peuvent accéder aux lucratives poules de l’automne. De ce fait, certains clubs ont gagné la C1 en tant qu’imposteurs.

Mais du côté de l’UEFA, le fait de voir des clubs deuxièmes dans leur village puissent devenir, un an plus tard, le premier à Rome, ne posait pas de problème, comme l’expliquait le président d’alors, le Suédois Lennart Johansson : Non, car il s’agit d’un compromis. Mais vous avez raison, notre démarche est financière. L’UEFA n’est pas une banque, elle a besoin de trouver de l’argent, de plus en plus d’argent. Ce serait tellement facile pour nous de revenir à l’ancienne formule, celle de l’élimination directe. Mais nous devons vivre avec notre temps, c’est-à-dire concilier les intérêts sportifs et économiques. Nous donnons donc une réponse à mi-chemin qui semble adaptée aux besoins de chacun.

Au lieu de garder le principe des matches à élimination directe en renforçant le statut des clubs des pays les mieux classés à l’indice UEFA, l’instance européenne a préféré créer dès 1991 des mini-championnats sur 6 journées, afin de limiter le risque de sortie de route pour les favoris. C’est ainsi que l’Europe du football a été éparpillée façon puzzle, avec un épicentre composé de l’Espagne, l’Italie du Nord, l’Angleterre et la Bavière, les autres clubs servant de punching-balls au fur et à mesure que l’arrêt Bosman faisait connaître ses effets négatifs, accroissant les inégalités financières et sportives dans un Vieux Continent aux règles fiscales totalement hétérogènes.

La délocalisation que connaissent les ouvriers de l’automobile, ou les cadres de l’informatique (nearshoring au Portugal, en Espagne, en Europe de l’Est, au Maghreb, offshoring en Inde) s’est aussi étendue aux footballeurs, créant un exode majeur vers les trois championnats les plus puissants d’Europe, la Liga, le Calcio et la Premier League, seul le Bayern possédant en plus un pouvoir d’attraction suffisant pour la Bundesliga de par son business model super stabilisé.

C’est ainsi que des oliviers de Chypre aux geysers d’Islande, de Nicosie à Reykjavik, des belvédères de Lisbonne aux bulbes des églises moscovites, les clubs des pays plus modestes en ont assez soupé de voir le Bayern Munich, le Real Madrid, le FC Barcelone ainsi que Chelsea, l’AC Milan, Manchester United, Arsenal, le Borussia Dortmund et la Juventus Turin se tailler systématiquement la part du lion, ne laissant que les miettes du festin de Pantagruel aux autres clubs du Vieux Continent, pour qui le titre de champion n’avait plus de sens autre que sur le plan national. Composter son billet pour la C1 n’avait plus le même sens qu’avant 1991. L’aventure européenne s’arrête désormais en plein mois d’août pour certains, en décembre pour d’autres, février voire mars pour les plus chanceux, l’exemple du plafond de verre rencontré par les Gunners d’Arsenal (7 huitièmes de finale perdus consécutivement entre 2011 et 2017) montrant que même une piquette issu des 3 grands championnats a plus de chance d’intégrer le top 16 continental qu’un millésime exceptionnel issu d’un tout petit championnat. Le principe d’odyssée européenne a vécu.

Dix ans après avoir été tous les deux étrillés 3-0 par le Milan et le Barça en demi-finale en 1994, l’AS Monaco et le FC Porto se retrouvaient en finale au printemps 2004, pour une oasis dans le désert.

Ces clubs là, victimes de l’apartheid sportif mis en place par l’UEFA crescendo depuis 1991, ne demandent qu’une seule chose, un combat à armes égales. L’UEFA et l’ECA feraient bien de relire cette planche du Dernier Spartiate de Jacques Martin (1967, tome 8 des aventures d’Alix), où le héros Alix interpelle les soldats grecs après avoir agressé leur général Alcidas.

Grecs ! Avant de faire de moi un des leurs, les Romains ont voulu me tuer à maintes reprises … Mais chaque fois, ils m’ont laissé la chance du combat. Si vous valez plus qu’eux, laissez-moi la vie sauve. Si vous valez autant qu’eux, donnez-moi une arme … Mais si vous valez moins qu’eux, alors tuez-moi !

La glorieuse incertitude du sport ne plaît pas à ces businessmen en cravate qui se rencontrent dans des salons d’hôtels prestigieux de Londres, Madrid, Paris, Milan, Bruxelles, Rome ou Munich à longueur d’année.

Comme la Dame de Fer Margaret Thatcher à Dublin le 30 novembre 1979 vis-à-vis de la Communauté Economique Européenne lors d’un sommet des 9 pays de l’union, ces gentlemen crient le même mot d’ordre d’une seule voix : We want our money back ! Ces messieurs veulent les dividendes financiers de leurs investissements dans le grand cirque du football, tant mieux si sportivement le peuple est content, cerise sur le gâteau : Panem et Circenses, les patriciens se partagent les trente deniers de Judas tandis que la plèbe dépense ses sesterces dans les travées des Colisées modernes : Old Trafford, Nou Camp, Parc des Princes, Allianz Arena, San Siro, Emirates Stadium, Santiago Bernabeu, Vélodrome, Anfield, Signal Iduna Park, Juventus Stadium, Vicente Calderon, Celtic Park, Stamford Bridge, La Luz, Parc OL, Allianz Riviera, San Paolo, Etihad Stadium …

C’est dans des conclaves du football business moderne que les cardinaux du G14 et de l’ECA construisent les étages de cette interminable Tour de Babel, après la Nuit des Longs Couteaux de 1997 initiée par l’UEFA, qui a fait en sorte que le mot du général romains Brennus, lors du sac de Rome en 390 avant Jésus Christ, tombe aux oubliettes : Vae Victis.

Malheur aux Vaincus ! Non, les vaincus ne sont plus malheureux puisqu’ils sont assurés du dernier carré et des royalties qui vont avec. Non, puisqu’ils savent que leur tour viendra, que la Coupe aux Grandes Oreilles finira bien par arriver en Bavière, en Castille ou en Catalogne pour parler du trio infernal Bayern Munich / Real Madrid / Barça, les trois clubs les plus assidus d’Europe en demi-finale de C1 depuis vingt ans …

Le concours Lépine des salons feutrés a en effet accouché de plusieurs versions de la Ligue des Champions, avec des changements majeurs en 1997 (élargissement aux dauphins des meilleurs championnats d’Europe) puis 1999 (élargissement jusqu’au top 4 des meilleurs championnats du Vieux Continent) :

  • Ligue des Champions 1.0 (1991-1992 et 1992-1993) : seizièmes de finale, huitièmes de finale, phase de poules (2 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour) et qualification directe des premiers de chaque groupe pour la finale jouée sur terrain neutre
  • Ligue des Champions 1.1 (1993-1994) : seizièmes de finale, huitièmes de finale, phase de poules (2 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), demi-finale jouée sur un seul match sur le terrain des premiers de chaque poule (recevant respectivement les seconds de l’autre poule par duels croisés) et finale jouée sur terrain neutre
  • Ligue des Champions 1.2 (de 1994-1995 à 1996-1997) : tour préliminaire, phase de poules (4 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), quarts de finale, demi-finales, et finale jouée sur terrain neutre
  • Ligue des Champions 2.0 (de 1997-1998 à 1998-1999) : tour préliminaire, phase de poules (6 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), quarts de finale avec les 6 premiers de groupe et les 2 meilleurs deuxièmes, demi-finales, et finale jouée sur terrain neutre
  • Ligue des Champions 3.0 (de 1999-2000 à 2002-2003) : tour préliminaire, première phase de poules (8 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), seconde phase de poules avec les premiers et deuxièmes des 8 groupes de la première phase (soit 16 clubs répartis en 4 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), quarts de finale, demi-finales, et finale jouée sur terrain neutre
  • Ligue des Champions 4.0 (de 2003-2004 à 2018-2019) : tours préliminaires, première phase de poules (8 groupes de 4 s’affrontant pendant 6 journées par matches aller/retour), huitièmes de finale, quarts de finale, demi-finales, et finale jouée sur terrain neutre (du mercredi de 2004 à 2009, le samedi depuis 2010 sur décision de Michel Platini alors président de l’UEFA)

C’est le syndrome de Diafoirus et des médecins de Molière. Plus on intervient par des saignées, plus l’état du patient se dégrade. La C1 version XXL post Bosman ne tardera pas à mourir d’incohérence et de consanguinité entre grands clubs se rencontrant chaque année dans un cénacle d’initiés.



6 réactions


  • JC_Lavau JC_Lavau 6 novembre 2018 10:58

    Oh ! Quel poète dira cette addiction à l’opium du peuple !


  • Axel_Borg Axel_Borg 6 novembre 2018 14:01

    Compétition hypocrite, la C1 ne sera elle meme qu’à deux conditions : soit elle revient à la formule en vigueur entre 1992 et 1997, qui laissait un embryon de chance aux petits pays, soit elle se scinde entre la future ligue fermée (NBA européenne) et une C1 du pauvre ... A suivre.


  • baldis30 7 novembre 2018 10:11

    bonjour,

    l’une des prochaines composantes du déclenchement d’une crise viendra d’un gros problème financier mettant en jeu le foot professionnel dit du « haut niveau et des bas-fonds mafieux réunis » et des droits de télévision que les chaînes cesseront de payer par faillite . Un bel effet « boule de neige » se profile à l’horizon ...


    • Axel_Borg Axel_Borg 7 novembre 2018 11:13

      @baldis30

      Attention surtout à la riposte du Qatar si on leur fait perdre leur Coupe du Monde, sous la pression saoudienne, ou si l’UEFA se montre trop severe avec le PSG dans le cadre du FPF.

      Avec le PSG, le Printemps, la course hippique du Prix de l’Arc de Triomphe, une pléthore de palaces (Raffles ex Royal Monceau, Hyatt Regency Etoile ex Concorde Lafayette, Peninsula et Hôtel du Louvre à Paris, Palais de la Méditerranée à Nice, Carlton et Martinez à Cannes) et bien d’autres interets économiques en France (achats de 24 Rafale en 2015, participations dans de grands groups comme Total, Accor, Vinci, Vivendi, Veolia ou LVMH), l’état gazier saura mettre la pression sur nos gouvernants ...


    • baldis30 7 novembre 2018 18:59

      @Axel_Borg

      bonsoir,
       bien sûr ... pression il y aura.... mais le système que vous décrivez dans votre réponse est une douve dans le tonneau de Pascal mafieux en cause !
      La douve foot peut tenir encore mais les autres douves sont aussi pourries à commencer par celle des énergies renouvelables aux mains de mafias connues ...
      La pression est générale et ce ne sont pas quelques cercles qui pourront faire face à l’éclatement ...
      de qui et d’où viendra la petite goutte d’eau qui fera exploser le tonneau ?
      Law, tulipes, 1929, prêts immobiliers US et toutes celles oubliées ...


    • Axel_Borg Axel_Borg 8 novembre 2018 09:38

      @baldis30

      Difficile par essence de prédire la prochaine bulle sinon on serait déjà en train de prendre les positions en consequence sur les marches financiers ... Voir l’excellent ouvrage recent de Marc Touati « Un monde de bulles » sur le sujet.

      Mais le jour où la France va vraiment dériver financièrement avec des taux insupportables sur sa dette, le pays sera moins attractif et va devenir une Grèce puissance 10 ...
      La demande immobilière venuhe de Russie, du Golfe Persique et de Chine va alors s’effondrer, et comme Dublin ainsi que Francfort vont plus profiter que Paname du Brexit, le marché va mécaniquement baisser dans la capital, comme entre 1991 et 1995.
      Reste à savoir quand ce point de rupture sera atteint ...

      Comme le dit un économiste dont j’ai oublié le nom dans le livre « Une Histoire du Franc CFA, l’Arme Invisible de la Françafrique », la France serait une puissance mineure comme l’Autriche. Je soucris pleinement à ces propos !

      Notre pays ne tient que par la non-décolonisation de la zone monétaire CFA et les avantages qu’il en tire, sa puissance nucléaire et son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU.

      Car police politique mis à part, c’est du communisme mou dans l’Hexagone, où tout projet de réforme finit dans un bocal de formol : 57 % de dépenses publiques et 44 % de prélèvements obligatoires, Cuba sans le soleil ... Dernier budget en équilibre ? En 1974 soit 44 ans ... Mais à part ça tout va bien Mme la Marquise, merci à Mitterrand Chirac Sarkozy et Hollande. Macron ne fera pas mieux c déjà fini pour lui ...

      Si tu aimes lire sur les mafias, je ne peux que te conseiller, non pas Gomorra de Roberto Saviano (menace par Salvini) mais les livres de Jacques de Saint-Victor, « Via Appia » (pas spécifique sur la Camorra, Ndranghreta et Cosa Nostra cependant) et surtout « Un pouvoir invisible : Les Mafias et la Société démocratique  ».

      Ou le célèbre « Au Nom de Dieu » de David Yallop sur la mafia italienne et la loge P2 autour de la mort étrange de Jean-paul Ier en 1978, Yallop qui a également écrit sur la FIFA (« How they stole the game »). Ainsi que tous les livres d’Andrew Jennings sur CIO et FIFA, veritable sanctuaire de dirigeants corrompus depuis Samaranch et Havelange, les pionniers du genre ...


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