mercredi 19 septembre 2018 - par Lionel Ladenburger

Le maillot à pois, une passion française

En ralliant la capitale avec la tunique de meilleur grimpeur sur les épaules, Julian Alaphilippe est devenu le 12e cycliste français à ramener les pois sur les Champs-Élysées. De Bernard Hinault à Thomas Voeckler, en passant évidemment par Virenque et Jalabert, retour sur les nombreux tricolores qui ont contribué à rendre ce maillot si populaire.

Débarqué sur les routes du Tour en 1975 en hommage au pistard Henri Lemoine, le maillot à pois s’était à l’origine inspiré d’un maillot de jockey. Symbole de courage, de panache et de bravoure, d’échappées au long cours, voire d’envolées flamboyantes dans les Alpes ou dans les Pyrénées, la tunique poinçonnée s’est ainsi imposée au fil des années comme la préférée des Français ! Vainqueur au Grand-Bornand puis à Bagnères-de-Luchon lors de cette édition 2018, Julian Alaphilippe a mis un point d’honneur à franchir en tête le Tourmalet pour s’offrir la légendaire vareuse pointillée. Devenu le douzième coureur tricolore à porter les pois sur le podium des Champs-Élysées, le Saint-Amandois a rejoint par là même le club des meilleurs grimpeurs gaulois. Flash-back en onze étapes.

 

Le premier de cordée, c’est lui. Natif de Burgos, ce fils d’immigrés espagnols débarque dans la Nièvre à seulement six ans. Bien que naturalisé français dès ses quinze ans, Mariano n’échappe pas à ses origines et aux clichés qui vont avec, ses éducateurs lui lançant ainsi régulièrement des « Martinez, t’es Espagnol, donc tu grimpes ! ». Alors, bon an mal an, l’apprenti tourneur-fraiseur ibérique, qui n’était toutefois pas un escaladeur né, va s’atteler à leurs donner raison. Champion de France juniors en 1965, médaillé de bronze au championnat du monde en 1974, le petit (1,67m) binoclard (pourvu d’une vision catastrophique d’à peine 2/10) signera au total trois « Top 10 » (6e en 1972, 8e en 1974 et 10e en 1978) sur la Grande Boucle, dont le dernier sera agrémenté d’une victoire au Pla d’Adet, mais surtout d’un maillot à pois obtenu après une lutte de haut-vol avec le maillot jaune 1978, alias Bernard Hinault, qui rêvait pourtant de faire le doublé « jaune-pois » cette année-là.

 

Révélé par le biais de ses succès lors du championnat de France amateurs 1972 ainsi qu’au GP de Plouay 1974, ce Normand pur-sang prend part à une dizaine de Grandes Boucles entre 1973 et 1983. Abonné aux places d’honneur, c’est en 1980 que Raymond y réalise la meilleure performance de sa carrière en s’adjugeant une place sur le podium (3e du général) et le titre de meilleur grimpeur. Un trophée que le Caennais ira chercher via une escapade pyrénéenne, entre Pau et Luchon, au cours de laquelle il franchira le Tourmalet, l’Aspin et Peyresourde seul en tête pour s’offrir in fine le bouquet de fleurs du vainqueur. Néanmoins, au sein du team Miko-Mercier, le leadership de Martin est loin de faire l’unanimité. Dans les Alpes, à Pra-Loup, son filou d’équipier suédois Sven-Ake Nilsson viendra en effet lui contester la tunique poinçonnée… Un brin échaudé par ce manque de respect, le Français se fera justice le lendemain, à Morzine, afin de récupérer son dû. Dès lors, il ne le lâchera plus 

 

« Attaquer à la moindre montée » telle pourrait être sa devise ! Avouez qu’avec un nom pareil, Bernard Vallet n’était a priori pas destiné à devenir le roi des sommets. Et en effet, pour parvenir à ses fins, « Bernardou gagne partout » (un surnom qu’il doit à ses 300 courses amateurs remportées) aura dû forcer son destin. En action dès les premières petites côtes du Tour 1982, il endosse la tenue dévolue aux grimpeurs dès la deuxième journée. Passé en tête au Ballon d’Alsace et partout ailleurs où il y avait des points à grappiller, Vallet, qu’on aurait pu rebaptiser « Bernardou grimpe partout », réussira la prouesse de garder la tunique sponsorisé par les chocolats Poulain quasiment du début à la fin. Avec la complicité de son copain Bernard Hinault, qui s’évertuera à empêcher l’alpiniste suisse Beat Breu (pourtant vainqueur au Pla d’Adet et à l’Alpe d’Huez) de faire le plein en haut des derniers lacets, le rouleur-baroudeur drômois finira par rallier Paris avec les petits pois dans son carquois.

 

C’est dans un climat de guerre froide que s’est déroulé le Tour 1986. Officiellement, un an après avoir rejoint Anquetil et Merckx dans le club des quintuples maillots jaunes, Bernard Hinault a prêté serment d’allégeance à son équipier américain Greg Lemond pour l’aider à gagner (à) son Tour. En réalité, « Le Blaireau » rêve secrètement de devenir le premier sextuple lauréat de la Grande Boucle. Alors devant les projecteurs, les deux hommes font bonne figure. Echappés ensemble dans l’Alpe d’Huez, Hinault et Lemond iront jusqu’à franchir la ligne d’arrivée bras dessus bras dessous pour afficher à la face du monde une entente apparemment des plus cordiales… Mais en coulisse, la colère gronde ! Persuadé que le dévouement du Breton n’est qu’une posture de façade, le Californien doutera jusqu’au bout de la sincérité du Français. In fine néanmoins, c’est bien le jeune blondin qui triomphera. Et pour son dernier Tour, à 32 ans, Hinault (2e) devra se contenter des pois.

 

Qu’il ait été volontaire ou pas, le paletot obtenu par Bernard Hinault quatre ans plus tôt a contribué à renforcer la notoriété du Grand Prix des montagnards. Cette distinction, Thierry Claveyrolat en a même fait une obsession. Coureur modeste, longtemps amateur, le Grenoblois veut inscrire son nom au sommet de la montagne. Cinq fois meilleur grimpeur du Dauphiné Libéré, « L’Aigle de Vizille » connaîtra son heure de gloire lors du Tour de France 1990. Ne représentant aucun danger au général, il applique une tactique que bien d’autres adopteront par la suite en partant dans de longues chevauchées en solo. Victorieux à Saint-Gervais, 4e à l’Alpe d’Huez après avoir notamment lâché un certain Miguel Indurain dans la montée, « Clavette » n’a pas volé son maillot. Au classement des pois, il devance Claudio Chiappucci (futur double lauréat) de plus d’une centaine de points et même si l’Italien prendra sa revanche l’année suivante, qu’importe, il aura été le roi au moins une fois.

 

Ne cherchez pas à qui il appartient, ce maillot à pois c’est tout simplement le sien ! Coureur au tempérament de feu, Virenque voltige avec panache dans les montées de la Grande Boucle pendant une douzaine d’années. Auteur de deux podiums ainsi que de six « Top 10 » au classement général du Tour, vainqueur de sept étapes, il n’hésite pas à partir de loin pour dompter les plus grosses difficultés du tracé. Ses victoires de prestige (toutes obtenues avec la manière) à Luz-Ardiden, Avoriaz, Courchevel, Morzine ou encore au Mont Ventoux, font en outre de lui l’un des membres du peloton les plus appréciés du public. De tous, « Richard Cœur de Lion » est, de fait, celui qui a rendu la tunique à pois rouges si populaire. Considéré comme l’un des cinq meilleurs grimpeurs de tous les temps aux côtés de Federico Bahamontes, Charly Gaul, Lucien Van Impe et Marco Pantani, le Varois mettra, en 2004, un point d’honneur à devenir le seul et unique septuple vainqueur du maillot à pois.

 

Certainement le grimpeur le plus controversé. Lors de ce Tour 1998 à jamais marqué au fer rouge par l’affaire Festina, c’est le peloton tout entier qui est pointé du doigt. Dans ce climat de suspicion permanente, Christophe Rinero va aller décrocher la plus belle récompense de sa carrière. Suite aux disqualifications de Virenque et du sulfureux transalpin Rodolfo Massi (rattrapé par la patrouille pour détention de corticoïdes), le natif de Moissac récupère la tunique à pois du côté d’Aix-les-Bains. Mais indépendamment des circonstances, Rinero n’aura pas volé son maillot. Recordman de vitesse dans le Tourmalet, Top 10 au plateau de Beille, Top 5 aux Deux-Alpes, il signera également une montée du Galibier durant laquelle il fera jeu égal avec Marco Pantani (vainqueur du Tour cette année-là) avant que son équipe ne l’oblige à attendre un Bobby Julich en perdition. Incapable de briller à nouveau par la suite, l’Occitan se coltinera une étiquette d’ancien dopé dont il ne se défera jamais…

 

N°1 mondial de 1995 à 1999, vainqueur du Tour d’Espagne 1995, champion du monde du contre-la-montre en 1997 et meilleurs sprinteurs des trois grands tours dans les années 1990, « Jaja » ne présente a priori pas le profil d’un lauréat du classement de la montagne. Pourtant, une fois arrivé au crépuscule de sa carrière, le Mazamétain fera du maillot à pois son dernier grand objectif sportif. En déficit de popularité par rapport à Virenque, « Le Panda » a compris que les points rouges donneraient à sa carrière un supplément d’éclat. Pour se faire, Jalabert choisit ses étapes, le plus souvent sur son terrain de jeu préféré : les Pyrénées. A domicile, en baroudeur, il passe la journée aux avant-postes, marque un maximum de points sur les premières difficultés de la journée avant de finir en roue libre dans la dernière montée. Résultat : deux titres de meilleur grimpeur du Tour glanés en 2001 et 2002, et une cote d’amour aussi perchée que les sommets affrontés. Pari gagné.

 

Estampillé « coéquipier loyal », Anthony Charteau n’a pas non plus le pédigrée d’un véritable grimpeur. Pourtant lors du Tour 2010, il va aller décrocher la timbale en stratège. Plutôt que de s’épuiser à vouloir lutter avec les meilleurs, « Chartix » rentabilise en allant grappiller des points à la moindre montée. Le 13 juillet, entre Morzine et Saint-Jean-de-Maurienne, il passe en tête du col de la Madeleine et s’empare des pois. A la lutte avec Jérôme Pineau et Christophe Moreau, le Nantais s’économise, perd le maillot, avant de refaire le plein de points le surlendemain. Une tactique décrié par certains qui aboutira à une nouvelle règle : à partir de 2011, les points attribués lors de l’ultime ascension ne sont doublés que si l’arrivée est située au sommet. Mais pour Charteau, peu importe ! Après avoir glané la mythique tunique rouge et blanche, il concèdera avoir « vécu son rêve » et ne parviendra plus jamais à retrouver l’extrême motivation nécessaire aux grands succès.

 

Archétype du puncheur-baroudeur, Thomas Voeckler crée la surprise sur la route du Tour 2012. Vainqueur de la dixième étape, il revêt le maillot de la montagne un peu par hasard. Mais lors de la seizième étape, il récidive en s’imposant à nouveau en solitaire après avoir réalisé un véritable coup de poker en franchissant les quatre monstres (Aubisque, Tourmalet, Aspin et Peyresourde) de la journée en tête. Du jamais vu depuis Robic en 1947 ! Chatouillé par le Suédois Kessiakoff qui lui contestera les pois jusqu’au bout, le coureur alsacien s’évertue ensuite entre Bagnères-de-Luchon et Peyragudes. Intelligemment, le Vendéen d’adoption saute dans l’échappée du jour lors de la dernière étape de montagne. En passant la journée à l’avant, il grappille tout ce qu’il peut et s’assure mathématiquement le gain de la précieuse vareuse. Top 5 en 2011 et porteur du maillot jaune pendant vingt jours durant sa carrière, ce maillot à pois est la cerise sur le gâteau pour Thomas.

 

Révélé sur la Vuelta via deux étapes gagnées en 2013 et un Top 10 en 2014, Warren avait subi un sérieux coup d’arrêt en janvier 2016. Ironie du sort, c’est justement sur le bitume de la péninsule ibérique où il avait pris l’habitude de briller que Barguil fut victime d’un grave accident au cours d’un simple entrainement. Blessé au genou et au poignet, le Breton s’était retapé lentement… mais sûrement ! Arrivé frais, le grimpeur-puncheur morbihannais a pris sa revanche sur un destin jusqu’ici contrarié. Battu d’un rien à Chambéry, c’est plus revanchard que jamais qu’il s’est ensuite imposé par deux fois pour finir dans le Top 10 (10e du général) tout en s’emparant du maillot à pois. D’abord le 14 juillet 2017 en devançant au sprint son idole Contador, s’il vous plaît, puis dans l’Izoard où il placera une accélération pleine de panache pour s’extirper, revenir sur les échappés et s’imposer en solitaire, le doigt levé, exactement comme Richard Virenque l’avait fait par le passé ! Respect.

 

Lionel Ladenburger

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6 réactions


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 19 septembre 2018 16:04

    Souvenirs...merci.


  • Fergus Fergus 19 septembre 2018 16:59

    Bonjour, Lionel

    En réalité, ce maillot n’a d’autre intérêt que d’amuser la galerie pour détourner l’attention d’une course de plus en plus cadenassée.

    Et ce ne sont pas les meilleurs grimpeurs qui rapportent ce maillot, mais les meilleurs comptables !

    Enfin, le look de ce maillot a toujours été ridicule !


    • Lionel Ladenburger Lionel Ladenburger 20 septembre 2018 11:06

      @Fergus

      Pas faux Fergus, les Français étant incapables de vraiment jouer la gagne au classement général (et même pour le maillot vert), le maillot à pois est donc devenu une sorte de lot de consolation. Quant à son look, il est effectivement très particulier, mais je vois mal les organisateurs du Tour le remplacer par un autre (même si un maillot bleu serait selon moi idéal).

  • Bernie 2 Bernie 2 20 septembre 2018 00:27

    Je dormirais moins con, un maillot avec des pois rouge, je ne savais pas. Merci.


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