Les yeux dans les vieux
Il ne faisait pas un temps à mettre le troisième âge dehors, hier à Stuttgart. Pas de chance, les Bleus étaient de sortie, avec tous leurs dégarnis du crâne, leurs usés de la gambade, leurs fatigués du dribble, tous alignés comme des poulets dans un élevage en quarantaine à cause de la grippe.
Ca transpirait sous les crânes.
Les Suisses, eux, bien décidés à pourrir la vie de nos joueurs de belotte préférés, s’étaient préparés à suer, mais à suer lentement, méthodiquement, avec rigueur. Rois du bon placement, ils avaient prévu un plan (d’épargne ?) parfait pour couper les ailes de ce poulet déplumé qu’est devenu le onze tricolore.
Le gentil organisateur des activités de plein air de l’hospice FFF avait pourtant eu la bonne idée de placer la fusée Ribéry sur orbite, d’entrée de jeu, pensant ainsi dynamiter le vallon suisse en moins de deux. Henry seul en pointe bénéficierait du travail redoutable de magic Frank et finirait le boulot. Même Zizou, derrière, le plus vieux des vieux, et l’âge n’a rien à voir dans tout ça, Zizou donc n’aurait pas grand-chose à faire pour briller dans cette équipe bâtie pour une nouvelle gloire. On allait voir ce qu’on allait voir. Le fantôme du milieu de terrain, Vieira, même lui, allait d’un coup de sifflet d’un seul retrouver toutes ses forces, jouer des compas et confisquer le ballon. Monsieur Claude, tout près de lui, le bien nommé Makelele, passerait une partie de plaisir à compter les petits Suisses hagards qui ne pourraient que compter les buts. Impuissants.
Stuttgart, dix-huit heures, trente et quelques degrés : les Bleus allaient redevenir les Bleus, et faire trembler le monde...
Eh bien non. Face aux gens de Bern, les Bleus mirent une nouvelle fois en berne leur football, comme en 2002, comme en 2004, les deux précédentes compétitions, bâclées, ratées, pas convaincantes. Hier encore, ces tricolores-là se montrèrent poussifs, maladroits, incapables de créer une différence, parfois mal organisés, comme sur le coup franc suisse qui finit sur le poteau. On verra plus tard dans le match Zidane s’engueuler avec Gallas, et déployer sur ce coup plus d’énergie que dans le reste de la rencontre.
Quelle rencontre au fait ?
Un match fermé, barricadé, lent et mou, une des plus pauvres rencontres de ce début de Mondial, avec peut-être l’opposition pénible entre la Suède et Trinité et Tobago. Ce France/Suisse-là fut un moment difficile à vivre, très ennuyeux, sans occasion, si ce n’est des opportunités chanceuses, par ci par là. Mais globalement, rien à faire pour le gardien suisse, et pas grand-chose pour Barthez, assez heureux quand même deux fois en seconde mi-temps. Jamais vraiment bousculée, l’équipe de France n’a pas été en mesure non plus de chahuter son adversaire, de gagner ses duels, de se créer ces fameuses situations favorables qui sont à l’origine des occasions, sinon des buts. Zidane a tenu le coup, plus qu’il n’a joué, Vieira s’est montré aussi transparent que lors de ses dernières sorties, et on se demande bien où Domenech l’astrologue a bien pu « lire » que ce Vieira-là aller jouer un « rôle majeur » dans cette Coupe du monde ! Ribéry, lui, placé d’entrée dans le grand bain, a un peu pris le bouillon, trop attendu par des Helvètes malins, attentifs et appliqués, qui ne lui ont pas laissé la chance de prendre le moindre élan. Même un centreur comme Sagnol n’a pas usé de ses charmes. Pas un ballon correct délivré dans la surface adverse.
Rien.
Un match triste, sans contenu, sans dimension. Sans espoir, ou presque. Les rentrées de Saha, de Dhorasso, n’ont rien changé. Les cartons stupides pris par Zidane pour avoir tiré un coup franc trop vite, ou par Abidal pour avoir envoyé le ballon dans les tribunes alors que l’arbitre avait sifflé, ajoutent au malaise. Les batteries de ces coqs-là semblent bien à plat. La faute au thermomètre, entonnent les plus optimistes. On se raccroche au radeau qu’on trouve. Et même si nul radeau ne pointe à l’horizon, on s’accroche quand même, à n’importe quoi, n’importe quoi qui flotte, qui permette de maintenir hors de l’eau les têtes.
Les Bleus peuvent encore se qualifier, bien sûr. Mais là n’est pas le problème. Si qualification il y a, elle ressemblera plus à un sursis qu’à un succès. Un sursis, oui, comme celui qu’un traitement de cheval accorderait à un malade condamné de toute façon.
Les Bleus vivotent, avec quelquefois quelques spasmes nerveux qui donnent l’impression qu’ils respirent encore. Ils dorment portes et fenêtres ouvertes, pour faire courant d’air. Et la pendule au salon, qui dit oui, qui dit non...