mardi 2 octobre 2018 - par Axel_Borg

Nice et Bastia, ces losers magnifiques du foot français des années 70

Mare Nostrum. La Mer Méditerranée sépare la Côte d’Azur et la Corse, mais lors des années 70 Nice et Bastia étaient plus proches que jamais, avec une scoumoune de dauphins : les Aiglons furent champions d’automne sans pouvoir transformer l’essai, terminant 2e de D1 en 1973 derrière Nantes et 1976 derrière Saint-Etienne, avant de perdre une finale de Coupe de France contre Nancy en 1978, qui porterait l’estocade à toute une génération dorée. Quant à Bastia, le club corse s’incline en 1972 en finale de la Coupe de France contre l’Olympique de Marseille, six ans avant une folle odyssée européenne conclue en queue de poisson face au PSV Eindhoven lors du printemps 1978 … Reste des deux côtés de la Méditerranée le souvenir indélébile d’exploits immortels : côté niçois, le scalp d’une Dream Team barcelonaise certes orpheline du grand Johan Cruyff au match aller au stade du Ray, et pour Bastia l’euphorie d’une qualification face au Torino de Graziani, invaincu depuis deux ans dans le Piémont.

Le meilleur glacier de Nice s’appelle Fenocchio, ce qui fait beaucoup rire les Italiens car à une lettre près cela signifie « fenouil » dans leur idiome, et « fenouil » veut dire « pédé » dans la langue de Dante. Une autre chose qui pourrait faire rire les Italiens est le mimétisme entre les couleurs de l’OGC Nice, club fondé en 1904, et celles de l’AC Milan, fondé en 1899.

Côté azuréen, 4 titres de champion de France et 3 Coupes de France. Côté lombard, 18 titres de champion d’Italie, 7 Ligues des Champions, 2 Coupes des Coupes, 5 Supercoupes d’Europe, 3 Coupes Intercontinentales, 1 Coupe du Monde des Clubs, 2 Coupes Latines ... Il n’y a pas photo question palmarès entre les Rossoneri et les Aiglons

Pourtant, en 1959, quand le Milan de Liedholm et Schiaffino remporte au nez et à la barbe de la Juventus de Charles, Boniperti et Sivori le septième Scudetto de son histoire, Nice gagne son quatrième titre de champion de France, le quatrième d’une folle décennie qui voit le Gym battre le grand Real Madrid 3-2 au stade du Ray le 4 février 1960.

Les Niçois accordent à ce choc une importance extrême. Ils viennent de faire chuter Nîmes, alors leader de la L1, puis de s'imposer à Sochaux, le dimanche précédant la venue du Real, avec une équipe "mixte" (cinq titulaires). Fait rarissime en ces temps-là, Jean Luciano, l'entraîneur du Gym, a fait l'impasse sur ce déplacement, préférant se rendre à Bilbao pour "espionner" les Madrilènes. Le Real m'a fait une très grosse impression de sûreté, reconnaît-il à l'époque dans France Football, tout en estimant que son net succès devant les Basques peut lui donner une certaine tranquillité d'esprit qui risque de se retourner contre lui et de servir d'arme à l'équipe niçoise.

Le Real Madrid est privé lors de son déplacement sur la Riviera azuréenne de sa légende vivante Alfredo Di Stefano, forfait. Mais quand même. Ferenc Puskas est là. Francisco Gento aussi. La rencontre se tient en plein après-midi, le stade du Ray n'étant alors pas équipé pour les matches en nocturne. Sous un soleil d'hiver tondu comme un moine, le Real, pépère, douche très vite l'enthousiasme du public niçois. Deux buts évitables en 10 minutes, et avant même la demi-heure de jeu, voilà les Aiglons menés 2-0 par les coéquipiers du double Ballon d’Or Alfredo Di Stefano, cet uomo squadra qui est donc le grand absent de ce match éènement. Mais les Niçois s’imposent 3-2 grâce à un triplé de Victor Nurenberg. L’attaquant luxembourgeois est en transe en ce lendemain de Chandeleur 1960.

A 0-2, les Niçois se sont lâchés, raconte Just Fontaine, qui commentait la rencontre pour la radio, tandis que Vic Nurenberg, qui ne sait pas qu'il va bientôt entrer dans l'histoire, se souvient d'une fameuse engueulade de Luciano à la mi-temps. Un discours musclé dont France Football donnera un aperçu, version édulcorée, par la suite : Vous n'avez pas forcé la cadence et, sans un rare manque de réussite, vous ne devriez pas être menés. Vous avez donc bien joué, mais maintenant il faut "leur manger le foie". Vous gagnerez. Et, contre toute attente, sa prédiction va devenir réalité !

Mais en Castille le 2 mars 1960, le Real Madrid tutoye à nouveau la perfection et s’attire de nouveau tous les superlatifs, avec en prime le retour de la Saeta Rubia venue d’Argentine, Di Stefano en personne, cet alpha et omega qui fait la pluie et le beau temps au stade Santiago Bernabeu depuis 1953. Le club merengue l’emporte 4-0, aidé par l’expulsion d’Hector de Bourgoing juste avant la mi-temps, chacun de ses attaquants virtuoses marquant son but, Francisco Gento, Alfredo Di Stefano ensuite et enfin Ferenc Puskas pour finir …

La Côte d’Azur est une terre de foot, dès 1930 c’est de Villefranche-sur-Mer que le Conte Verde part vers cet Uruguay qui accueillera en 1998 un certain Jacques Médecin. La France, la Belgique et la Roumanie sont donc à bord de ce paquebot italien. En 1930, Carol II monte sur le trône de Roumanie et fait aussitôt connaître la première des priorités royales : participer à la Coupe du Monde de la FIFA, Uruguay 1930. Insolite en soi, son dessein relève en outre de la gageure quand on sait que 35 jours seulement séparent sa prise de pouvoir du coup d’envoi de l’édition inaugurale du tournoi. Mais rien ne saurait entamer le bel optimisme du monarque de 37 ans, pas plus le manque de temps que l’inexpérience des Roumains, dont le baptême du feu international remonte à 1922. Après bien des efforts, Carol II parvient à ses fins à trois jours de la clôture des inscriptions. Il lève immédiatement toutes les suspensions pesant sur les joueurs et sélectionne lui-même l’équipe, au lieu d’en laisser le soin à l’entraîneur Costel Radulescu. Reste une broutille à régler : une partie des meilleurs footballeurs roumains travaille pour une compagnie pétrolière britannique qui leur refuse le congé de trois mois nécessaire pour participer au tournoi et prévient que les absences seront sanctionnées par des licenciements. Un coup de téléphone du roi, assorti de la menace de fermeture de l’entreprise, incitera très vite le pétrolier à revoir sa position.

C’est ainsi que, le 21 juin 1930, les Roumains prennent leurs quartiers sur le Conte Verde à Gênes. La sélection française et le président de la FIFA, Jules Rimet, qui transporte le trophée dans sa valise, montent à bord à Villefranche-sur-Mer, suivis des Belges qui les rejoignent à Barcelone. Le luxueux paquebot italien met ensuite le cap sur Rio de Janeiro, où la Seleção brésilienne doit embarquer.

Pendant la traversée de seize jours, Radulescu astreint ses dix-neuf joueurs à des séances physiques sur l’un des dix ponts du vaste transatlantique. Mais dès qu’il s’agit de taper dans la balle, il lui faut compter avec un vingtième homme car, vous l’aurez deviné, le roi Carol II est incapable de résister à un dribble.

Huit ans plus tard, Antibes et son stade du Fort Carré accueillent la troisième Coupe du Monde. Le 12 Juin 1938, la Suède y pulvérise Cuba 8-0, pour les 80 ans de son roi Gustav V (né le 16 juin 1858), héritier de la dynastie Bernadotte (Gustav V étant l’arrière-petit-fils de ce maréchal de Napoléon), habitué de la Côte d’Azur, puisqu’il y côtoie notamment Suzanne Lenglen ou Gottfried Von Cramm sur les courts de tennis de Nice. La ville baptisera d’ailleurs une avenue en son honneur en 1947, le roi de Suède étant citoyen d’honneur de Nice depuis 1936.

1965. Jean Médecin, maire de Nice quasiment sans interruption depuis 1928, meurt le 18 décembre, une semaine avant Noël. L’avenue de la Victoire est rebaptisée Avenue Jean Médecin. Nice, ville fondée par des Grecs sous le nom de Nikaïa, en référence à la déesse Niké de la Victoire, voit le 11 février 1966 Jacques Médecin succéder à son père comme premier magistrat de la cité. Comme Jacques Chaban-Delmas (1947-1995) à Bordeaux, Edouard Herriot (1905-1940 puis 1945-1957) à Lyon, Pierre Mauroy (1973-2001) à Lille ou encore Gaston Defferre (1953-1986) à Marseille, les Médecin père et fils vont régner, tel un aigle bicéphal, sur la ville de Nice entre 1928 et 1990. Six ans plus tôt, en 1960, le général de Gaulle était venu commémorer le centenaire du rattachement de Nice et du comté de Savoie à la France (1860). Dès 1958, Jean Médecin avait racheté par la ville de Nice, le campus de Valrose, avant d’établir en 1965 la Faculté des Sciences : Nice sera une ville universitaire (décret ministériel du 1er octobre 1965), et le laboratoire de mathématiques portera le nom de Jean Alexandre Dieudonné, un des fondateurs du groupe Bourbaki en 1934.

La cité natale du fier Garibaldi était jusqu’alors une ville de villégiature, une station balnéaire marquée par d’excentriques personnalités, comme Sir Thomas Coventry, cet anglais dont la vie était réglée comme du papier à musique : pour être certain de déjeuner chaque jour à midi pile, Coventry faisait sonner un coup de canon. Depuis ce farfelu personnage, les Niçois vivent au rythme du canon de midi. Et la Promenade des Anglais continue de recevoir d’illustres sujets de sa Majesté, tel Paul McCartney descendant avec John Lennon, George Harrison et Ringo Starr au Negresco le 30 juin 1965 alors que les Beatles étaient presque au pinacle de leur somptueuse carrière. Macca revient ensuite tout seul au Negresco. La légende veut que le génial gaucher de Liverpool composa The Fool on the Hill sur le papier à en-tête du palace, pendant qu'on disperse à la lance d'incendie ses fans agglutinés sur le perron .... La chanson paraîtra le 27 novembre 1967 aux Etats-Unis et le 8 décembre de la même année sur le sol de la Perfide Albion, via le prisme de l’album Magical Mystery Tour. Il était bloqué, seul, à Nice pour quelques jours, parce qu’il avait perdu son passeport. D’où cette chanson intimiste au milieu du très orchestral album Magical Mystery Tour, se souvient Peter Brown, un assistant des Beatles, à propos de Paul McCartney.

L’ancêtre de l’OGC Nice actuel, le Gymnaste club de Nice (GCN), est né à La Pergola, avenue Carlone, dans le quartier des Baumettes, le 9 juillet 1904, ayant pour but la gymnastique et les exercices athlétiques. Le Gym, club de gymnastique, est fondé par le marquis de Massengy d'Auzac (président de la Fédération sportive des Alpes-Maritimes et qui devient président d'honneur du Gym), par H. Gal et A. Martin (élu président). Les couleurs d'origine du Gym sont le bleu et le noir.

Le 6 juillet 1908, le Gymnaste club se divise en deux : la section boules garde le nom et reste affiliée à la FSAM, les autres sections deviennent le Gymnastes amateurs club de Nice (GACN) qui s'affilie à l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), l'organisme national le plus important, et une section football est enfin créée. Le 6 octobre 1910, le Gymnastes amateurs club de Nice redevient le Gymnaste club de Nice, tout le club s'affiliant à l'USFSA. Le 20 septembre 1919, le Gymnaste club de Nice absorbe le Gallia Football Athlétic Club et adopte ses couleurs rouge et noir. Le 22 décembre 1924, lors de son assemblée générale le Gymnaste club de Nice devient l'Olympique gymnaste club de Nice. Le mot olympique est à la mode, puisque les Jeux du même nom viennent de se dérouler en France.

En 1945, alors maire de Nice pendant un court intérim durant le règne implacable de Jean Médecin, Jacques Cotta entend faire de l’OGC Nice un club professionnel. D’énormes subventions sont versées par le comité des fêtes. La presse nationale narquoise titre : Les millionnaires du Paillon. Le Gym rejoint l’élite dès 1948. Champion de France en 1951, le club azuréen réussit le doublé en 1952.

Nice 1952 : le jeune Robert Herbin fait ses gammes dans la pépinière du Cavigal. Dans l'autre grand club de la ville, l'OGC Nice, tout va pour le mieux. Sacré champion en 1951, Nice confirme l'année suivante son statut : une première dans le football professionnel. Après avoir fait la course en tête avec Lille et Bordeaux, les Aiglons ont devancé au final les Girondins d'une courte tête.

Les joueurs de Numa Andoire brillent également en Coupe de France : après avoir marqué 14 buts sans en encaisser un seul, l'invincibilité du portier niçois Marcel Domingo prend fin en demi-finale. Nice s'impose néanmoins 3-1 face à Rouen, dernier club de deuxième division encore dans la course.

Cette 35e édition de la Coupe de France est somme toute très conforme à la logique du classement en championnat. Après la qualification du champion, le deuxième et le troisième se disputent la deuxième place pour Colombes et la hiérarchie est finalement respectée puisque Bordeaux l'emporte face à Lille sur le score de 2-1.

Ce 4 mai 1952, sur la pelouse du stade Yves-du-Manoir de Colombes, l'affiche va tenir toutes ses promesses. Nice, vainqueur à deux reprises de Girondins de Bordeaux en championnat, part favori. Numa Andoire, ancien défenseur du Red Star et membre de la délégation française lors de la première Coupe du Monde en 1930, a des idées bien arrêtées sur cette finale. Première entorse à l'orthodoxie : il conseille à ses joueurs de se coucher très tard, la veille de la finale, afin de s'endormir facilement, à l'aube. Après tout, le match ne commence qu'à 15 heures...

Deuxième surprise de taille : l'absence sur la feuille de match de Désiré Carré à qui échoit généralement le brassard de capitaine, mais aussi du buteur suédois Pär Bengtsson. C'est Victor Nurenberg et Luis Carniglia qui prennent la relève.

Il s'avère que ces choix sont les bons puisque c'est le Luxembourgeois Nurenberg qui ouvre la marque dès la dixième minute. Et si les Girondins réagissent dans la minute suivante par Baillot d'un tir des dix-huit mètres (1-1, 11ème minute), le deuxième joker niçois surenchérit dès la remise en jeu : 2-1 à la 12ème minute ! Le ton est donné.

A la 32e minute, Belver semble donner un avantage décisif aux Aiglons d'une reprise de volée (3-1), mais une tête de Kargu à cinq minutes de la pause redonne espoir aux Girondins (3-2). Cinq buts en première période !

Le festival offensif se poursuit en seconde mi-temps et une reprise victorieuse du Bordelais Baillot enflamme le match en remettant les deux équipes à égalité (3-3, 55ème) ! Jusqu'au coup de sifflet final, le match ne baissera pas d'intensité.

Mais en quatre minutes, les Niçois vont faire la décision. Ben Tifour (4-3, 61ème minute) puis Césari (5-3, 65ème minute) offrent à la Coupe de France un voyage vers la Baie des Anges.

Pendant dix ans, Nice rivalise avec le grand Stade de Reims, autre géant des années 50 qui impose sa férule au football français grâce à Raymond Kopa, Roger Piantoni ou encore Just Fontaine. Dans les années 60, le Gym tombe en D2. Avec l’arrivée à la présidence du club de Roger Loeuillet, conseiller municipal proche de Jacques Médecin, la politique de recrutements repart afin de retrouver une équipe de premier plan. La presse goguenarde titre à nouveau : Les milliardaires de la Côte. Le public retrouve le chemin du stade du Ray, les matches sont de très haut niveau, mais le Gym ne gagne aucun titre dans une décennie dominée par les Verts de Saint-Etienne, les Canaris du FC Nantes ainsi que l’Olympique de Marseille.

À l’époque, Nice jouait un football champagne : personne ne faisait l’épicier ni ne s’amusait aux comptes d’apothicaire. Il fallait marquer un but de plus que l’adversaire, un point c’est tout. Champagne. Magnum. Jéroboam. Réhoboam. Mathusalem. Salmanazar. Nabuchodonosor. Les joueurs faisaient sauter les bouchons et les dirigeants ouvraient les bouteilles. Les spectateurs, eux, quittaient le Ray ivres de joie et d’espérance.

À l’origine de cette griserie, une promesse de Jacques Médecin. Nice est une ville en or, elle aura bientôt le football qu’elle mérite, déclare le maire en mai 1969. Secret de polichinelle, rien de tel pour un homme politique que de créer une diversion via un spectacle sportif ou culturel pour distraire la population. Ce postulat date de la Rome Antique et de ses combats de gladiateurs. La situation est critique dans le Colisée niçois, mais l’empereur local, Jacques Médecin, a le pouce relevé pour sauver le rétiaire niçois empêtré dans son propre filet de pêche telle un thon destiné à un pan-bagnat. Dauphin du champion de France Saint-Etienne en 1968, Nice descend en D2 en 1969. Le purgatoire sera en effet de courte durée sur la Côte d’Azur : l’OGC Nice gagne le titre en D2 dès 1970, délissant l’antichambre de l’élite pour retrouver la D1.

Celui qu’on surnomme Jacquou au bord de la Baie des Anges tiendra en effet parole. Bientôt tout le monde se frisera la moustache. Le président porte le nom d’une fleur : Roger Loeuillet, en poste de 1969 à 1981. L’entraîneur est un seigneur : Jean Snella. Avec lui, le foot est une fête. Il aime l’instinct, l’audace, la liberté et la folie. Les joueurs portent les cheveux longs. Ils portent aussi les idées longues. Dans tous les stades de France, on les appelle les élégants. Ils sont beaux à voir jouer. Ils sont beaux tout court. Ils affolent les filles et les défenses. On dirait les Beatles. On les aime même lorsqu’il leur arrive de déchanter. C’est le temps des départs en fanfare et des conclusions mal orchestrées.

L’ADN de ces équipes niçoises des années 70 est résolument offensif, caviar et foie gras, un football emprunt de panache à cette époque où les défenses ressemblaient à autre chose que des lignes Maginot. Critiqué pour son argent roi par le landerneau journalistique, le Nice des années 70 se renforce avec des Aiglons construits façon puzzle après des mercatos estivaux comme autant de concours Lépine du meilleur recrutement de France.

Champion d’automne, le Gym a du mal à passer l’hiver. Les plantes rares n’aiment pas le froid. Tout en haut du podium, Marseille, Nantes ou Saint-Etienne. Deuxième en 1973 ou en 1976, le Gym est dans un état second. Frustré, presque brisé. Les romantiques sont rarement des tueurs…

Le Sporting Club de Bastia est lui fondé en 1905 par un Suisse dénommé Hans Ruesch. Arrivant du FC Barcelone, il enseignait l'allemand au lycée de Bastia. Le club est fondé au café des Palmiers, et compte trois associés fondateurs. À Hans Ruesch se joignent Emile Brandizi et Joachim Vincensini. Le premier président du SC Bastia est Emile Brandizi. Le club corse évolue à ses débuts sur la Place d'Armes de Bastia, à la lumière d'un unique bec de gaz.

A Bastia, c’est un mécène bien connu qui va investir dans le football. Bien avant Bernard Tapie à Marseille, Alain Afflelou à Bordeaux ou les Qataris à Paris, Gilbert Trigano va injecter dans l’argent dans le club corse, dans le but de rendre plus populaire son Club Méditerranée qui passe mal auprès des commerçants locaux qui vivent assez mal la concurrence de ses villages-vacances. Le Club Med, comme on le surnommera, est fondé en avril 1950 par Gérard Blitz, champion de water-polo et diamantaire belge. Trigano loue à Blitz du matériel (tente et couchage) pour créer un premier village de toile aux Baléares, sur l’île principale de Majorque ; suivront l'Italie, la Grèce puis bien d'autres implantations. En 1953, face au succès du Club Méditerranée et à la nécessité de mieux gérer les fonds, Gilbert Trigano devient directeur financier, puis PDG en 1963. Cette même année le Club abandonne le statut associatif pour devenir une entreprise commerciale, sous forme de société anonyme. L’affaire Club Med attirera même la famille Agnelli (propriétaire de la Juventus) et sera dirigée par la suite par Philippe Bourguignon (PDG d’Eurodisney) ou Henri Giscard d’Estaing (fils du président Valéry Giscard d’Estaing). Quant à Gilbert Trigano, il sera élu en 1978 Manager de l’Année par le Nouvel Economiste.

Avec cette manne providentielle, Trigano va faire venir quelques grands joueurs étrangers du côté de Bastia : le Yougoslave Dragan Dzajic (3e du Ballon d’Or 1968 derrière George Best et Bobby Charlton), le Camerounais Roger Milla mais surtout le Néerlandais Johnny Rep, finaliste de la Coupe du Monde 1974 avec les Oranje et qui jouera ensuite avec Michel Platini sous le maillot vert du Forez, à Saint-Etienne, bastion du foot français des seventies.

C’est par l’intermédiaire du célèbre agent Michel Basilevitch que Rep fait ses premiers pas en Corse dès 1977, après un échec à Valence en Liga espagnole. L’ancien attaquant de l’Ajax, auteur du but victorieux de la troisième Coupe d’Europe conquise en 1973 par les Godenzonen face à la Juventus Turin de Dino Zoff à Belgrade, se fait piéger par celui qui a déjà acquis la confiance de Johan Neeskens et surtout Johan Cruyff du côté du FC Barcelone. Né à Paris en 1946 de parents russes, ce géant de 1.90 m ne manque pas de culot. Ancien mannequin pour Pierre Cardin, Michel Basilevitch est un personnage hors normes, lui qui ne sera pas loin d’en venir aux mains avec Bernard Tapie sur son yacht du Phocéa à l’époque où l’OM voulait faire attirer la star napolitaine, El Pibe del Oro dans ses filets, soit Diego Maradona en personne : Je l’ai vu s’opposer à Berlusconi à Milan, à Nuñez à Barcelone. Je l’ai vu aussi attraper Michel Denisot par la cravate, raconte l’ancien et sulfureux agent Marc Roger. Basilevitch fera investir Cruyff dans un élevage de porcs foireux après lui avoir fait placer de l’argent en Suisse, ainsi qu’à l’autre Johan du Barça, Neeskens. Basilevitch avait rencontré Cruyff car leurs filles étaient dans la même école de Barcelone. Le célèbre numéro 14 ne remarquera pas que la Rolls Royce utilisée par Michel Basilevitch en Catalogne était en fait une voiture de location, tandis que l’agent avait entrepris de séduire Danny Cruyff, la propre femme du joueur, auquel il apportait sans cesse des fleurs …

Depuis la banqueroute du fameux élevage de cochons, Basilevitch et Cruyff se vouaient une haine réciproque. Candidat à la présidence du Barça en 2003 (club dont il est socio depuis 1975) face à Joan Laporta (chef du groupe d’opposition à Nunez, l’Elefant Blau, dont Cruyff était l’éminence grise), l’ancien impresario ne mâche pas ses mots sur le mythique numéro 14

L’argent est tout pour Cruyff. Il ne pense qu’à ça. Il ne vit que pour ça. L’argent est tout pour lui.

Basilevitch enfonce le clou en citant Cruyff dans une phrase qui rappelle le blasphème légendaire de John Lennon en 1965, qui sonna le début de la fin des Beatles aux Etats-Unis :

Vous savez ce qu’il m’a dit un jour ?

  • Je suis plus populaire que le Christ !
  • Johan, c’est blasphématoire
  • Oui, mais c’est vrai …

Vivant comme un nabab d’Hollywood, Basilevitch se déplaça durant des années à Barcelone dans une Rolls-Royce blanche avec chauffeur ! Michel Basilevitch présentera aussi à JC un certain Mick Jagger, star des Rolling Stones, au meilleur joueur européen des années 70. Enrichissant son portefeuille, Basilevitch s’occupe ensuite d’autres joueurs des Oranje, dont Johnny Rep. Et pour faire signer le blond Johnny en Corse, Basilevitch y va au culot. Rep veut voir le stade mais Basilevitch, avec un aplomb incroyable, lui fait croire que le modeste stade Armand-Cesari est le terrain d’entraînement.

  • C’est là que le Sporting joue ?
  • Mais non, tu plaisantes, c’est le centre d’entraînement. Pour le stade, on verra plus tard !

Le talentueux directeur sportif Jules Filippi, bras droit de Gilbert Trigano, s’occupe du reste durant cet été 1977. Johnny Rep raconte : Je ne savais pas où je mettais les pieds mais je voulais quitter l’Espagne pour retrouver ma place en sélection. Dès mon arrivée, ils m’ont baladé. A ma descente, je souhaitais voir le stade, connaître mes conditions de travail, et eux voulaient absolument m’emmener à la meilleur table de l’île. Après un long repas, j’ai voulu aller faire un tour à Furiani, et ils m’ont traîné à Saint-Florent où les paysages sont paradisiaques. Pareil ensuite avec Porto-Vecchio. Le soir, de guerre lasse, j’ai signé et me suis endormi, harassé. Le lendemain, je me suis rendu au stade avec Jules Filippi. J’ai eu un choc. Si je l’avais vu avant, je n’aurais jamais signé, mais je ne l’ai jamais regretté.

C’était une saison extraordinaire, se remémore l’attaquant hollandais, arrivé en provenance de Valence à la suite d’un litige avec le président du club espagnol. Là-bas, il n’y avait que deux places d’extra-communautaires. Pour assurer ma place à la Coupe du monde 1978, je suis parti à Bastia, et j’en garde de super souvenirs. 

Ainsi le club présidé par Paul Natali ne part-il pas sans cartouche lorsque vient l'heure de tenter une seconde expérience à l'échelle européenne après celle qui avait mal tourné d'entrée en Septembre 1972. Mal tourné en dehors du terrain, car il y avait eu des incidents lors du premier match joué à Ajaccio, au stade de Timizzolu, Furiani n'étant pas alors homologué. Résultat, si le S.E.C.B. avait mieux fait que se défendre devant l'Atletico de Madrid (0-0 en Corse et défaite sur le fil en Espagne 2-1), il écope ensuite d'une sanction devant les juges de l’UEFA à Berne : cinq ans de disqualification européenne !

1970. Le rallyman Bernard Darniche remporte toutes les spéciales du Tour de Corse, exploit seulement réédité en 2005 par l’hégémonique Sébastien Loeb. Le 19 juin 1970, l'OGC Nice, tout juste promu en D1 en tant que champion de D2, remporte le Challenge des Champions en battant 2-0 la grande équipe de l'AS Saint-Étienne qui vient de réaliser le doublé coupe-championnat. C'est le début d'une belle période pour le Gym qui durera jusqu'en 1978.

1971. En marge du Grand Prix de Monaco, la région Côte d’Azur attire un deuxième Grand Prix de Formule 1 grâce au magnat du pastis Paul Ricard. Sur le circuit provençal du Castellet, dans le Var, le Grand Prix de France pose ses valises. Après Reims en Champagne, Rouen en Normandie et Charade en Auvergne, la Provence attire l’élite du sport automobile. La Bourgogne lui taillera quelques croupières (Dijon-Prenois entre 1974 et 1984, puis surtout Nevers Magny-Cours à partir de 1991) mais jusqu’en 1990 le billard varois du Castellet verra les plus grands noms de la F1 s’imposer : tous, exception faite de l’archange brésilien Ayrton Senna qui fera du dédale monégasque son bastion (6 victoires entre 1987 et 1993), l’emporteront sur les hauteurs de Bandol, de Jackie Stewart à Alain Prost en passant par Ronnie Peterson, Niki Lauda, Mario Andretti, Nelson Piquet ou encore Nigel Mansell. Coincée entre le Festival de Cannes et le Grand Prix de Monaco, Nice doit exister en marge de son carnaval, le plus connu au monde avec les chars à samba de Rio de Janeiro et les masques de Venise. Quoi de mieux qu’une équipe de football faisant rêver la France entière ? C’est encore un peu tendre en 1971 où l’OGC Nice ne se classe que 14e, dans le ventre mou du classement et l’anonymat du peloton, bien loin du titre de champion de France gagné par l’OM du canonnier dalmate Josip Skoblar, auteur de 44 buts face à la gâchette stéphanoise Salif Keita (42 buts). Du côté de Bastia, le bilan est encore plus médiocre avec une 17e place. Malgré sa modeste 14e place, les sirènes de Nice parviennent à attirer dans leurs filets un certain Hervé Revelli, lequel quitte Saint-Etienne.

1972. Après trois victoires de rang dans Paris-Nice, le Cannibale belge Eddy Merckx perd la course au soleil face à Raymond Poulidor dans le col d’Eze. Le Limousin renouvèlera son crime de lèse-majesté en 1973, dans cette ville de cyclisme qu’est Nice, l’écrivain niçois Louis Nucera ayant compté les exploits du grimpeur cannois René Vietto dans son livre Le Roi René. En 2002, Nucera aura droit à titre posthume au nom de la nouvelle bibliothèque municipale de Nice. Le 22 mars, Jo Cesari se pend avec des draps dans sa cellule de la prison des Baumettes, à Marseille. Joseph se fera remarquer et devient le chimiste le plus célèbre de la French Connection : on le surnomme « Monsieur 98 % » par référence à la qualité de l'héroïne qu'il raffine. Avec un kilogramme de morphine-base, il fabrique un kilogramme d'héroïne pure à 98 % alors que ses concurrents chimistes d'alors ne dépassent pas 60-70 %. Ironie du destin, le film French Connection de William Friedkin (également couronné meilleur réalisateur), avec Gene Hackman (sacré meilleur acteur pour le rôle de James Popeye Doyle) et Roy Scheider, remporte l’Oscar du meilleur film le 10 avril 1972 à Hollywood, moins de trois semaines après le suicide de Joseph Cesari.

Deux mois plus tard, la Corse vibre pour Bastia en finale de la Coupe de France. C’est la première finale jouée dans le nouveau Parc des Princes, construit par l’architecte Roger Taillibert, le même qui sera à l’origine du stade olympique de Montréal pour les Jeux Olympiques de l’été 1976. Grâce à Didier Couécou et l’inévitable goleador yougoslave Josip Skoblar, l’Olympique de Marseille l’emporte 2-1 devant le club corse. Le club phocéen, bourreau de l’OGC Nice en quart de finale de cette Coupe de France 1972, remporte sa huitième Coupe de France, réalisant le doublé Coupe / Championnat. Loin de cette effervescence, Nice et Bastia se suivent comme deux ombres en D1 : 8e et 9e. Mais dès 1973, la pression va monter sur Nantes, Saint-Etienne et Marseille, l’effet underdog va commencer à faire de l’axe Nice / Bastia un incontournable du foot français. C’est Nice qui allume la première mèche …

1973. René Goscinny et Albert Uderzo publient Astérix en Corse, le vingtième album de la série des aventures du Petit Gaulois gavé de potion magique, et le dernier prépublié dans le magazine Pilote. L’album décrit l’île de Beauté avec un préambule faisant implicitement référence à Napoléon Ier et Tino Rossi : Pour la plupart des gens, la Corse est la terre natale d'un empereur qui a laissé dans l'Histoire des pages aussi indélébiles que celles inspirées par notre vieux complice Jules César. C'est aussi le berceau d'un chanteur de charme à la longue et prestigieuse carrière, dont les refrains où il est question de Marinella et d'une belle Catarineta, tchi tchi, ont fait le tour du monde. C'est aussi le pays de la vendetta, de la sieste, des jeux politiques compliqués, des fromages vigoureux, des cochons sauvages, des châtaignes, des succulents merles moqueurs et des vieillards sans âge qui regardent passer la vie. Mais la Corse, c'est plus que tout cela. Elle fait partie de ces endroits privilégiés du globe qui ont un caractère, une forte personnalité, que ni le temps ni les hommes n'arrivent à entamer. C'est un des plus beaux pays du monde, qui justifie pleinement son appellation d'île de Beauté. Mais pourquoi ce préambule, nous demanderez-vous. Parce que les Corses, que l'on décrit comme individualistes — alliant l'exubérance à la maîtrise de soi — nonchalants, hospitaliers, loyaux, fidèles en amitié, attachés à leurs pays natal, éloquents et courageux, sont, eux aussi, plus que tout cela. Ils sont susceptibles.

A Nice, on démarre la saison sur des chapeaux de roue après avoir recruté un joueur champion d’Europe 1971 avec le grand Ajax à Wembley face au Panathinaïkos : Dirk Van Dijk, censé amener la culture de la gagne dans le vestiaire azuréen. Le joueur hollandais va former un redoutable tandem offensif avec Hervé Revelli. Au soir de la 13e journée, le Gym cannibalise le championnat de France avec 12 victoires et 1 seule défaite en forme de miettes du festin, miettes concédées au Ray face au SCO d’Angers (2-4). Parmi ces douze succès, quelquefs beaux récitals offensifs : 4-1 contre Sochaux (doublés d’Hervé Revelli et Charly Loubet), 5-3 devant Ajaccio (doublé d’Hervé Revelli et triplé de Dirk Van Dijk), 6-0 face à Metz (doublé d’Hervé Revelli et doublé de Dirk Van Dijk), 3-0 face à Strasbourg (but d’Hervé Revelli et doublé de Dirk Van Dijk), 3-0 face au futur champion Nantes, 5-0 à Sedan (triplé de Dirk Van Dijk et doublé de Bernard Castellani). La belle machine niçoise va commencer à se gripper à partir de la 14e journée, et plus encore lors de la phase retour.

Champions d’automne au soir de la 19e journée, encore leaders au soir de la 22e journée du championnat de France 1972-1973, les Niçois vont ensuite tanguer tel un navire dans la tempête : défaite à Metz (0-1), nul concédé au Ray devant Saint-Etienne (2-2), nul à Angers (0-0) et défaite à domicile face à Bordeaux (0-1). Cette mauvaise série n’est ensuite pas rattrapée dans le match décisif contre le futur champion de France, le FC Nantes, où le Suédois Leif Eriksson égalise pour les Aiglons (2-2) à la 83e minute de jeu au stade Marcel Saupin.

Le bilan comparé des deux moitiés de saison du Gym explique leur place de dauphin : 12 victoires, 4 nuls et 3 défaites durant la phase aller (28 points avec la victoire à 2 points en vigueur à l’époque), 8 victoires, 6 nuls et 5 défaites pendant la phase retour du championnat (22 points).

1974. Après des jumelages avec Nuremberg (1954), Edimbourg (1957), Yalta (1960), Tananarive (1962) ou Miami (1963), Nice se lie aussi avec Houston, Rio de Janeiro ainsi que le Cap en 1974. Ce choix de Jacques Médecin, polyglotte et globe-trotter, provoque un tollé justifié en plein apartheid en Afrique du Sud. En 1974, le corse devient une langue régionale. Initiée par Maurice Deixonne en 1951, la loi éponyme autorisa l'enseignement facultatif de certaines langues régionales : le basque, le breton, le catalan et l'occitan. Le corse fut écarté car il était soutenu que c'était un dialecte italien. L'alsacien fut de même non prévu dans ce régime d'autorisation. L’article 11 organise des enseignements à Rennes, Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Paris, et Aix-en-Provence. Afin de dispenser cet enseignement, il fonde même l’institut d’études celtiques à Rennes. Le décret 74-33 du 16 janvier 1974 y ajoutera par la suite notamment le corse.

Au premier tour de la Coupe UEFA 1973-1974, Nice retrouve une vieille connaissance, le Barça, son bourreau en finale de la Coupe Latine 1952 au Parc des Princes. Nous sommes en septembre 1973 et le Barça de Rinus Michels vient tout juste de recruter un certain Johan Cruyff, cet OVNI capable de gagner un match à lui seul ou presque, ce joueur d’une envergure telle qu’il a concrétisé le concept de football 2.0 avec l’Ajax Amsterdam. Vexé par l’élection de Piet Keizer comme capitaine de l’Ajax, le numéro 14 quitte Amsterdam pour la Catalogne à la fin de l’été 1973, attiré par l’argent du club espagnol, d’où son surnom Money Wolf. Le vestiaire ajacide a franchi le Rubicon aux yeux de Johan Ier, qui sera plébiscité Ballon d’Or 1973 devant Dino Zoff, devenant le deuxième joueur seulement après Alfredo Di Stefano à être élu deux fois par l’aréopage journalistique de France Football. Heureusement pour les Niçois, que le tirage au sort a placé sur la route des Catalans au premier tour de la Coupe UEFA, le génial Néerlandais n'est pas qualifié pour la compétition européenne. Car El Flaco alias Johan Cruyff, malgré Beckenbauer, Platini, Van Basten, Zidane ou Cristiano Ronaldo, reste encore et toujours le plus grand joueur de football né sur le sol du continent européen. C’était le 25 avril 1947 à Amsterdam, pour ce Van Gogh du foot, ce David Bowie du ballon rond au style inimitable, explosif cocktail de technique et de vitesse qui inspirera le personnage de Julian Ross (Jun Misugi), prince des pelouses floqués du numéro 14, au mangaka Yoichi Takahashi dans Olive et Tom (manga Captain Tsubasa). Nourri au nectar et à l’ambroisie par les fées du destin, Cruyff alias le Hollandais Volant avait à lui seul fait plier l’Inter en finale de la Coupe d’Europe 1972 à Rotterdam (2-0), avant de broyer le Bayern Munich en quart de finale aller de la Coupe des Champions 1973 (4-0). Sepp Maier en avait jeté ses gants de rage dans un des canaux d’Amsterdam après ce terrible camouflet reçu contre l’Ajax au stade olympique. Jean Snella, l'entraineur du Gym, a motivé ses joueurs en leur disant qu'après les avoir comparés un à un à leurs adversaires catalans, il est arrivé à la conclusion qu'ils n'ont rien à leur envier. Pendant 90 minutes, ils vont lui donner raison. Jean Snella, qui a été superviser le Barça lors d'un match de Liga, est persuadé que son équipe peut faire tomber le grand d'Espagne. C'est ce qu'il fera passer lors d'une causerie axée sur le mental. Poste par poste, je vous ai comparé aux joueurs du Barça. J'ai la conviction que vous êtes à leur niveau. Personne n'est inférieur. N'ayez donc aucun complexe. Si vous croyez en vos chances, la qualification est possible, martèle l'entraîneur niçois. Assis dans la tribune d'honneur, Johan Cruyff grille cigarette sur cigarette. Peut-être a-t-il déjà compris que la soirée serait délicate. Logique : l'éternel numéro 14 a toujours un temps d'avance sur les autres.

Sur le pré, la défense espagnole, elle, a un temps de retard. Elle est passée par Eriksson et dépassée par Loubet. Charly, patte d'or, déborde côté droit et centre. Sadurni, le gardien du Barça, a la main moite et le dégagement fuyant. Van Dijk conclut (1-0, 4e). Nice vient d'annoncer la douleur. Le Barça va déguster...

En deuxième période, Molitor claque deux fois. D'abord grâce à une inspiration de Jouve puis suite à un coup-franc de Huck. Un piqué, une tête : Molitor sait tout faire. Le Barça boit méchamment la tasse, à l'image de son gardien, Sadurni, qui sort les gants en peau de pêche et s'incline dès la 4e minute devant Van Dijk. A l'inverse, Dominique Baratelli, le gardien international du Gym, sort lui un grand match. Le doublé de Marco Molitor lors de la seconde période transforme la soirée barcelonaise en naufrage. En tribunes, Cruyff se demande où il est tombé. Le Barça s'imposera bien 2-0 au retour mais les Aiglons passeront.

Le héros de cette soirée du 26 septembre 1973 est bien entendu Marc Molitor. L'ancien Strasbourgeois claque deux buts, sur un ballon piqué et un coup de tête. Son grand soir. Deux ans plus tard, souvent blessé et en froid avec son entraineur, il raccrochera les crampons, à seulement 26 ans, pour devenir kinésithérapeute. L’exploit est indélébile parce que le Gym de Snella était une équipe magnifique, séduisante et romantique. Il méritait bien un fait d'armes à sa hauteur. Ce fut cette démonstration face au Barça qui, à défaut d'être celui de Cruyff lors de cette soirée au Ray, n'en était pas moins déjà un géant. Peu de clubs français élimineront l’ogre FC Barcelone par la suite en Coupe d’Europe, dont le FC Metz au premier tour de la C2 1984-1985 (2-4 à Saint-Symphorien, 4-1 au Camp Nou) ou le PSG en quart de finale de la C1 1994-1995 (1-1 à Barcelone, 2-1 au Parc des Princes).

Au tour suivant, Nice retrouve Fenerbahçe, le club stambouliote basé sur la rive asiatique du Bosphore. En ce 24 octobre 1973, le record d'affluence au stade du Ray est battu avec 25 532 spectateurs payants à l'occasion du match de Coupe UEFA face aux Turcs de Fenerbahçe. Marc Molitor s’offre un quadruplé, soit le faîte de sa carrière, et Nice l’emporte 4-0. Battus 2-0 au match retour dans l’ancienne Constantinople, les Niçois s’arrêtent au tour suivant face au FC Cologne : victoire 1-0 au Ray, défaite 4-0 sur les bords du Rhin.

Quant à Bastia, médiocre 15e du championnat, il s’incline en quart de finale de la Coupe de France 1974 contre Monaco. Mais de toute façon, en 1974, Saint-Etienne écrase tout sur son passage façon rouleau-compresseur.

1975. Revendiquée par Pascal Paoli au XIXe siècle, l’identité corse (l’île a été rachetée en 1769 par la France à la République de Gênes) se manifeste politiquement lors des évènements d’Aléria en 1975 : En 1957 est créée par l’État français la SOMIVAC (Société pour la Mise en Valeur de la Corse) qui aménage un vignoble dans la plaine orientale d’Aléria. Elle attribue de nombreux lots de terrains aux nouveaux rapatriés d’Algérie : en 1964-1965, 75 % des terres sont distribuées aux pied-noirs dont quelques-uns plantent des cépages non sélectionnés, pratiquent la chaptalisation et vendent du vin frelaté. L’inculpation de grands négociants frauduleux provoque une campagne de presse qui aboutit au boycottage des vins corses, menaçant plus de 500 producteurs viticoles corses. Les nationalistes corses dénoncent ces colons producteurs détenant la majorité du vignoble corse, voulant le récupérer au profit de petits producteurs insulaires. Une révolte éclate le 21 août 1975, une trentaine d’hommes armés, dont Marcel Lorenzoni, Jean-Pierre Susini, Jacques Fieschi, Léo Battesti, Jacques Paoli, entraînés par Edmond Simeoni, occupent la ferme d’Henri Depeille, un viticulteur endetté d’Aléria d’origine pied-noir suspecté d’être mêlé à ce scandale financier. Le leader de l’Action régionaliste Corse (ARC) fait connaître les raisons de ce coup de force en ces termes : Il s’agit de dévoiler le scandale des vins mettant en cause le propriétaire de la cave et plusieurs de ses amis négociants. Après avoir bénéficié de prêts exorbitants, les responsables des caves vinicoles ont mis sur pied une énorme escroquerie de plusieurs milliards d’anciens francs, au préjudice de petits viticulteurs. Le président Valéry Giscard d’Estaing et le Premier ministre Jacques Chirac étant en vacances, c’est le ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski qui décide d’y déployer 1 200 gendarmes et CRS afin de donner l’assaut avec l’appui de blindés et de six hélicoptères Puma, et faire sortir de la cave ses occupants. Le vendredi 22 août, face à la médiatisation de l’affaire, des jeunes corses sympathisants accourent de toute l’île pour soutenir les occupants. L’assaut des forces de l’ordre débute à 16 heures et voit la reddition des occupants de la ferme Depeille, après une fusillade de 3 minutes qui fera deux morts parmi les forces de l’ordre (le maréchal des logis chef Michel Hugel et le gendarme Jean-Yves Giraud) et un blessé grave (Pierrot Susini a le pied arraché) parmi les occupants. Les autonomistes quittent leur retranchement les armes à la main alors que de nouveaux renforts arrivent par hélicoptères. La foule tente alors de forcer les barrages, entonne l’hymne corse et finit par venir incendier les restes de la ferme et des bâtiments viticoles. Toute la nuit à Bastia ont lieu de violents affrontements. L’ARC est dissoute le 27 août par décision du Conseil des Ministres, ce qui donne lieu à de nouveaux affrontements armés à Bastia, qui se soldent par un mort et plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre dépêchées du continent. Plus tard, le viticulteur Depaille admettra en partie le bien fondé des exigences d’Edmond Siméoni et de ses camarades : Leur revendication de la terre était légitime et l’émergence du nationalisme, normale. Le drame d’Aléria jette l’opprobre sur les finances et la politique locale, et portera même un grave préjudice aux vins corses. Ces trois minutes qui ébranlèrent la Corse marquent le point de départ de la radicalisation du nationalisme corse, marqué par la création du Front de libération nationale corse (FLNC) en 1976. A Nice, un jeune homme de 20 ans se fait remarquer par un discours dans un congrès organisé par le Premier Ministre Jacques Chirac : Nicolas Sarkozy. Délégué départemental des jeunes UDR des Hauts-de- Seine, Nicolas Sarkozy est convoqué à Nice les 14 et 15 juin 1975 pour incarner la jeune garde devant un parterre de barons qu'unit une même détestation de Giscard. Le jeune homme voyage par le train de nuit. Leur compartiment est bondé, la chaleur caniculaire. Impossible de trouver une bouteille d'eau dans toute la rame. Nicolas Sarkozy arrive à Nice avec le soleil, militants éblouis par la lumière du Sud et les longues jambes des filles juchées sur des semelles compensées. La jupe se porte mini, les lunettes « mouches » donnent aux brunes de faux airs de Jackie Kennedy. Nicolas Sarkozy a 20 ans, une belle tignasse, la bouche charnue, des rêves de conquête à fleur de peau. Dans la grande salle du Palais des Congrès d’Acropolis, plusieurs milliers de militants communient à l'ombre d'une immense croix de Lorraine, sous les effigies du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. Aux assises nationales de l’U.D.R, ce jeune homme va crever l’écran. Il n’est encore qu’un anonyme, étudiant en droit à la faculté de Nanterre, et fleuriste chez Truffaut, mais sera convoqué à Matignon le lundi suivant par le bulldozer Chirac en personne. L'assemblée frissonne encore des visions prophétiques de l'ancien Premier ministre. L'orateur suivant est prié de ne pas s'attarder - à l'heure où se construit demain, qui se soucie des balbutiements d'un gamin ? La démonstration de force des gaullistes, minutieusement orchestrée par le chef du gouvernement, doit impressionner le président, rappeler à Giscard qui l'a fait roi. Sarkozy, c'est toi ? Chirac jette un œil. Celui-là, il ne le connaît pas. C'est moi. Le grand ordonnateur des débats a déjà l'esprit ailleurs. Tu as deux minutes. Nicolas Sarkozy gravit les marches, avance à la tribune. L'éclat blanc des projecteurs l'éblouit un instant, la tête lui tourne, le plaisir est si violent qu'il est presque douloureux. Il commence à parler dans le bruit. Le discours de Sarkozy électrise la salle niçoise : J’ai la tête dans les étoiles, vous qui êtes devant moi, vous êtes mes idoles. Je suis jeune mais comme vous je suis gaulliste, car je sais qu’être gaulliste, c’est être révolutionnaire, révolutionnaire pas à la manière de ceux qui sont des professionnels de la manif. Passé derrière Michel Debré avec une simple feuille manuscrite écrite recto/verso durant une nuit blanche de préparation, Sarko devait parler deux minutes devant les 25 000 militants réunis dans le hall immense d’Acropolis. Le jeune orateur endiablé aura droit à dix minutes, cinq fois le temps de parole prévu ... Son allocution sera très applaudie. Succès garanti pour le jeune homme débordant d’énergie ! Déjà ce culot monstre, ce sens de la formule qui ne s’embarrasse pas ni des nuances, ni de subtilité. On l’ovationne. Il confiera : j’ai entendu des applaudissements qui interrompaient mon discours. J’étais ébloui par les lumières, je ressentais comme une forme d’ivresse. Pour un peu, je ne serais plus descendu de la tribune. Ce congrès de Nice restera comme la première pierre de sa carrière politique. Non seulement le jeune militant tape dans l'œil du maire de Neuilly-sur-Seine, Achille Peretti, qui lui propose d'être sur sa liste aux municipales de 1977, mais également du Premier ministre. A partir de là, ma vie politique a commencé, confirmera bien plus tard Nicolas Sarkozy au magazine des anciens de Sciences Po, école qu'il rejoindra en 1979. Sans le savoir, Charles Pasqua a fait entrer le loup dans la bergerie. Le futur avocat fera reparler de lui très vite, en 1983, soufflant au Niçois de naissance Charles Pasqua la mairie de Neuilly-sur-Seine laissée vacante par la mort d’Achille de Peretti. En juillet 1975, la ville de Nice est témoin du dernier départ du grand Eddy Merckx ceint du maillot jaune. Rattrapé par l’usure du pouvoir et surtout atteint par le coup de poing reçu au Puy-de-Dôme, la figure de proue du cyclisme des années 70 est vaincu par Bernard Thévenet à Pra-Loup, le Belge restant collé au goudron dans le deux derniers kilomètres. Bien qu’ayant surpassé Coppi et Anquetil dans l’esprit des observateurs, Merckx ne gagnera pas de sixième Tour de France. Cette prouesse restera utopique jusqu’à l’imposteur Lance Armstrong, en 2004. L’année 1975 c’est aussi la sortie du premier album Panini dédié au championnat de France, version 1975-1976. Une relique nommée Football 76 dans laquelle on retrouve Michel Platini nancéien, un Claude Papi déjà dégarni à Bastia et un Raymond Domenech moustachu à Lyon. Dans les années 60 en effet, deux kiosquiers italiens, les frères Panini, ont l’idée de glisser des vignettes de foot dans leurs journaux pour booster les ventes : le triomphe est tel qu’ils décident de lancer dès 1961 un album consacré uniquement aux joueurs de foot, intitulé Calciotori. L’engouement est énorme, et les vignettes deviennent 100 % adhésives en 1972, deux ans après la sortie en France du premier album Panini, dédié à la Coupe du Monde 1970 jouée au Mexique.

En 1975, Nice réalise une saison médiocre loin des 2e et 5e place respectivement obtenus en 1973 et 1974. Seulement 15e de D1, les Aiglons ont vu le rival bastiais leur passer devant. 6e du championnat, les Corses ont atteint la demi-finale de la Coupe de France, battus par l’ogre national, cet Hulk au maillot vert : l’AS Saint-Etienne, qui réalise le doublé Coupe / Championnat pour la deuxième année de rang. Cette belle performance des Bastiais va attirer un certain Gilbert Trigano, fondateur du Club Med, au rang des investisseurs. C’est la poule aux œufs d’or pour le Sporting. La Tête de Maure va se faire un nom en Europe, contrairement à l’OGC Nice qui a surtout fait rêver ses fans en France, tentant en vain de déboulonner l’idole stéphanoise dans son royaume hexagonal. Le totem du Forez est plus fort que jamais en cette année 1975, et le sphinx Robert Herbin va lui faire franchir un palier supplémentaire sur le plan européen en 1976. A l’échelon national, Nice va une fois de plus jouer le rôle du poil à gratter du futur champion de France, donnant du fil à retordre aux Verts, cette belle équipe qui résiste encore et toujours à l’érosion du temps …

1976. A Nice, l’année est marquée au fer rouge par le casse du siècle. Albert Spaggiari, un petit photographe, braque la Société Générale (50 millions de francs de l’époque) en passant par les égouts de la ville. A Paris, Raymond Barre succède Jacques Chirac, électron libre de la politique française, à Matignon, après le clash entre le bulldozer pompidolien et le président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Le meilleur économiste de France fait appel à Jacques Médecin, maire de Nice, comme Secrétaire d’Etat au Tourisme. L’édile niçois occupera ce portefeuille jusqu’en mars 1978, date des élections législatives qui marquent le premier bras de fer entre l’UDF giscardien et le RPR chiraquien. Le 5 mai 1976, soit 145 ans jour pour jour après le décès de Napoléon Ier sur l’île de Sainte-Hélène, prison de l’océan Atlantique Sud située près du Tropique du Capricorne, les mouvements clandestins corses s’unissent pour fonder le FLNC.

En 1975, Nice recrute le Ronald Koeman des Balkans : Joship Katalinski s’installe en défense centrale en compagnie de l’infortuné Jean-Pierre Adams (dans le coma depuis le 17 février 1982 suite à une erreur d’anesthésie). La paire sera redoutable et Nice aussi. L’équipe échouera à la seconde place derrière les intouchables Verts de l’époque, malgré le panache des Aiglons.

Dans ce même été 1975, le meilleur joueur du championnat de France, Jean-Marc Guillou (meneur de jeu de l’équipe de France avant l’ère Platini qui débutera en 1976), quitte les Pays de la Loire pour la Côte d’Azur, rejoignant donc l’OGC Nice. Formé au SCO Angers dans les années 1960, il s'impose comme le maître à jouer d'une équipe dont le style surpasse, entre 1969 et 74, le célèbre « jeu à la nantaise » du puissant voisin de l'Ouest. Milieu offensif hors pair, Jean-Marc Guillou est un technicien incomparable du dribble et de la passe, un génie et un artiste inimitable qui resta trop longtemps dans l'ombre. Homme intelligent et cultivé, artisan du beau jeu, le poète Guillou imprime sa marque et son jeu délié qui permet à l'équipe du SCO d'Angers de vivre ses plus belles années. Le public niçois regarde avec des yeux de Chimène ce superbe milieu de terrain composé du triumvirat Roger Jouve / Jean-Marc Guillou / Jean-Noël Huck. Leurs fulgurances vont offrir aux gradins du Ray pléthore de soirées magiques, en permettant au Gym de martyriser les défenses rivales.

Les trois premiers matches donnent le ton, avec trois festivals offensifs, trois feux d’artifice : victoire 3-0 au Ray contre Sochaux (doublé de Marc Molitor), succès 5-1 sur la pelouse d’Avignon (un but pour chacune des pointes du trident magique Huck / Jouve / Guillou dans le Comtat Venaissin) et triomphe 4-1 devant Monaco à domicile (nouveau doublé de Marc Molitor). Mais le championnat est un marathon de 38 journées, pas un sprint. Comme le lièvre des fables de la Fontaine, les Aiglons niçois des années 70 éparpillent leurs forces trop vite dans un sprint inutile … Les tortues nantaise de 1973 et stéphanoise de 1976 auront raison des lièvres azuréens …

En mars 1976, la France a froid. Elle se réchauffe en suivant l'épopée des Verts en Coupe d'Europe. Le mercredi 3, le pays est dans ses pantoufles et devant sa télé. Il voyage à l'oeil. Le quart des Stéphanois, lui, est drôlement secoué par le Dynamo Kiev d 'Oleg Blokhine à Simféropol. Résultat : 2-0 pour les coéquipiers du Cruyff ukrainien, plébiscité Ballon d’Or 1975 devant Beckenbauer et Cruyff l’original. Le crime parfait en Crimée. Curkovic et les siens ne sont pas morts, mais ils ne sont pas en bon état. Ils ont vu l'URSS. Ils garderont son coup de griffe en mémoire jusqu'au match retour.

À Nice, cette défaite n'a fait rire personne, mais on ne compte aucun suicide. On veut bien encourager "Sainté" hors de nos frontières, mais la vague verte s'est arrêtée aux portes de la ville. Surtout à quelques jours du choc de la première division, entre le tenant et son challenger principal, qui reste sur trois défaites à l’extérieur de rang, contre Monaco à Louis II (1-4), Reims à Auguste-Delaune (0-1) et enfin Lens à Félix-Bollaert (1-2). Comme d’habitude, l’hiver est rude pour la cigale niçoise qui a chanté tout l’été, oubliant de faire des provisions comme la fourmi du Forez.

Saint-Étienne sort d'une guerre froide pour se jeter dans un volcan. Les Niçois sont chauds. Ils viennent de s'imposer (2-1) à Bordeaux, en Coupe de France, dans une ambiance de corrida. Nice - St-Etienne : tout le monde en parle. Les places sont parties comme des petits pains. Le Ray devrait approcher son record d'affluence officiel qui date de 1952 (22 740 spectateurs). Si la cité est excitée, les Niçois, eux, sont au calme. Au vert ... À Cimiez, au Petit Palais. L'endroit est idéal pour préparer un coup d'état. Un coup d'éclat. Troisièmes à une longueur de Sochaux (2e) et trois du leader stéphanois, Guillou et les siens savent bien l'importance de ce rendez-vous posté à 12 journées du verdict. Markovic va plus loin. Si on veut être champion de France, on doit gagner cette rencontre. Sinon, c'est mort  affirme le coach yougoslave de l'OGCN qui n'a jamais maquillé ses pensées.

Le jeudi 11 mars, le quotidien sportif national L'Équipe titre : Le grand tournant. Le journal régional Nice-Matin opte pour : La finale du championnat. Bref, la soirée est interdite aux pleutres. Ça tombe bien : Josip Katalinski est le contraire d'un poltron. Pour rien au monde, il ne raterait ça. La veille, le défenseur central du Gym s'est rasé la barbe. II n'en est pas moins impressionnant. Ce match sent la poudre ? Tant mieux, j'aime les grandes batailles, déclare-t-il dans Nice-Matin. Le colosse de Sarajevo a affûté son canon, ajoute Jacques Boissonnet qui connaît bien le bonhomme et sa frappe surpuissante.

Derrière, celui qu'on surnomme Skija sera associé à un jeunot. Son nom : Henri Zambelli. Victime d'une déchirure à une cuisse, Jean-Pierre Adams est toujours à l'infirmerie. Devant, le trio Sanchez-Molitor-Toko a pour mission de dynamiter le rideau de fer stéphanois.

Markovic compte sur la puissance et la spontanéité du jeune Tchadien, mais aussi sur les slaloms géants de Sanchez et l'expérience de Molitor. En face, les Verts sont au complet. Plus qu'une équipe, c'est une machine de guerre. Une machine à gagner. Saint-Etienne vise un troisième sacre national de rang et rêve de conquérir l'Europe. Rien que ça ...

A 20h30, le stade est plein comme un oeuf. 19394 spectateurs espèrent voir une passation de pouvoir. Si Geoffroy-Guichard est appelé le chaudron, ce soir-là, le Ray ressemble à une marmite posée sur un feu vif.

C'est la fête du foot. Mais une fête sauvage. Il y a de l'agressivité dans l'air. Dans les regards. Dans les gestes. Nice - Saint-Etienne, c'est un combat de boxe, Frazier – Ali ou Ali - Foreman. Sans round d'observation. On n'est pas là pour s'épier, se jauger, se tenir à distance. On se connait trop bien, pas besoin de se regarder en chiens de faïence façon western-spaghetti. Alors on se rentre dedans. Dès les premières minutes, Katalinski, Toko et Jouve chauffent un Curkovic aux gants brûlants.

Saint-Etienne répond par Dominique Rocheteau qui ne cesse de mettre un joli bazar dans le camp ennemi. Oswaldo Piazza perce, Jean-Marc Guillou tacle. C'est le monde à l'envers. Tout le monde attaque, tout le monde défend. Le football total de l'Ajax a fait des beaux petits.

Le Gym est en feu. Saint-Etienne reste de glace. La folie face au réalisme. C'est le choc des contraires et c'est d'une beauté, d'une intensité à couper le souffle. D'ailleurs, le stade ne respire plus. Il est en apnée. Les joueurs aussi.

A la 43e minute : premier fait de jeu. Katalinski - dont on ne sait plus s'il est libéro ou attaquant - entre dans la surface stéphanoise à vive allure et s'apprête à frapper quand il est descendu par Gérafd Janvion. Le tacle par derrière mérite sanction. Le penalty est flagrant. Sauf pour l'arbitre, M. Wurtz qui laisse jouer. Les Niçois sont stupéfaits. Le public furieux. A la pause, Robert Wurtz regagne son vestiaire sous les huées du Ray. Les plus gentils l'envoient aux chiottes. Les autres à l'échafaud.

La seconde période démarre par un coup de théâtre. Dès la 47e minute, Dominique Bathenay sème le milieu niçois et trompe Baratelli d'une frappe laser au ras du poteau. Les "Rouge et Noir", qui ont encore le penalty oublié en travers, sont révoltés. Ils sonnent la charge de la brigade légère. Sur son aile, Grava vole. Huck multiplie les assauts. Il faudrait un lasso pour le stopper. Le Gym assiège le camp d'en face. Sanchez est déroutant, Molitor est remuant, Toko est intenable. A la 62e minute, il claque un but inouï, inventant un centre-tir à la folle trajectoire qui lobe Curkovic et vient mourir dans la lucarne. Le Ray revit.

Tatoué par les crampons de Jean­François Douis, Dominique Rocheteau quitte le champ de bataille en traînant la patte. Puis, c'est au tour de Christian Sarramagna de subir un traitement de choc prescrit par Roger Jouve. Le Gym montre les dents. Saint-Etienne tire la langue.

La fin du match est irrespirable. Les Niçois se ruent sur le but de "Curko". C'est là que survient le deuxième fait de jeu. Celui qui entrera dans la légende du Gym. A deux minutes de la fin (88e), Jean-Noël Huck déborde sur son côté droit et centre dans une surface surpeuplée. Un peu court, Christian Lopez dévie le ballon de la main sous les yeux de l'arbitre. Tout le monde croit au penalty. Logique : il est indiscutable. Les Stéphanois s'arrêtent de jouer. Jean-Michel Larqué se prend la tête à deux mains et s'en prend à son coéquipier. Oswaldo Piazza hurle. Ivan Curkovic est abasourdi. Les autres ont les mains sur les hanches. Mais Monsieur Wurtz ne siffle pas. Il a oublié ses lunettes. Il se met à courir dans l'autre sens. Normal : il a tous les Niçois à ses trousses. Hervé Revelli en profite pour filer au but. L'arbitre siffle. Quoi ? Tout le monde l'ignore. Il est perdu. Huck le secoue comme un arbre à fruits. Je l'ai insulté en alsacien. Il aurait dû m'expulser. Au lieu de quoi, il me disait : "J'ai rien vu, j'ai rien vu !"

Le Ray n'est plus un stade mais un volcan en éruption. Une lave de colère se déverse sur le pré. C'est fini : 1-1. Place à la folie. La foule se presse devant la sortie principale. Elle attend l'homme en noir. Dans le vestiaire niçois, c'est la tempête. C'est un scandale. En nous privant de deux penaltys flagrants, M Wurtz a tué le championnat, souffle Roger Loeuillet, le président du Gym. Les joueurs parlent de vol, de honte et d'injustice. Viatka Markovic sort le lance-flammes : En Yougoslavie, un arbitre qui commet ces deux erreurs serait suspendu au moins deux ans. On lui couperait le sifflet. Robert Wurtz, lui, ne sera pas bavard : Le règlement m'interdit de faire des déclarations. Il ne sera jamais sanctionné par la Commission fédérale. Mieux : il arbitrera la finale de la Coupe de France quelques semaines plus tard entre Marseille et Lyon, gagnée par le club phocéen, sans oublier la finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions 1977 entre Liverpool de Keegan et le Borussia Mönchengladbach de Berti Vogts. La finale de Coupe de France 1973 remportée par Lyon face à Nantes reste dans les mémoires en raison des buts inscrits de la main par Didier Couécou (Nantes) et Bernard Lacombe (Lyon). À la sortie du terrain au Parc des Princes, Couécou eut cette pique au vitriol : C'est Ray Charles qui arbitrait ce soir.

Les Stéphanois, eux, élimineront le Dynamo Kiev au terme d'une remontée fantastique lors du quart de finale retour. Ils échoueront en finale de la Coupe d'Europe face au Bayern Munich de Franz Beckenbauer, mais défileront sur les champs sous les hourras de la France entière, façon Raymond Poulidor. Évidemment, ils sont les plus forts ... Les Verts seront donc sacrés champions de France au soir du samedi 19 juin 1976 devant l'OGC Nice, deuxième, à trois petits points...

Le bilan comparé des deux moitiés de saison du Gym explique leur place de dauphin : 9 victoires (dont 4 avec bonus offensif), 7 nuls et 3 défaites durant la phase aller (29 points), 8 victoires (dont 3 avec bonus), 6 nuls et 5 défaites pendant la phase retour du championnat (25 points). Soit un total de 54 points pour les Aiglons, contre 57 points aux Verts de Saint-Etienne, en net recul par rapport à leurs performances de champion de France 1975 (58 points) et surtout 1974 (66 points) … De quoi augmenter encore un peu plus les regrets des Niçois, qui de plus ont réalisé le même bilan de 8/6/5 en phase retour qu’en 1973 lors de leur précédente saison où leur avance avait fondu comme neige au soleil !

Nice ne pourra même pas se consoler en Coupe de France, étant battu par … Bastia ! Si un derby nourrit naturellement les tensions, notons que les Nice-Bastia ont toujours été spéciaux, notamment pour les supporters corses. Privés de faculté sur l’Ile de Beauté, beaucoup d’étudiants corses effectuaient leurs études à Marseille ou Nice, et venaient donc en nombre au stade du Ray, l’ex-enceinte des Aiglons, pour soutenir le SCB. Le début des tensions. Les étincelles (et pas qu’au sens figuré) ont aussi fusé sur le terrain. En 1976, lors d’un huitième de finale de Coupe de France, le match aller se déroule dans une ambiance pleine de soufre. Nous allons raquer les Corses avant d’aller chez eux parce qu’on sait qu’on va être matraqués là-bas, lâche le capitaine niçois Jean-Noël Huck. Et une bagarre générale éclate pendant la rencontre.

Au retour, dans un stade de Furiani chaud comme un volcan en éruption, l’accueil réservé aux visiteurs est plus qu’hostile. Des joueurs sont agressés avant le match. D’autres, apeurés, refusent de participer au match. L’équipe niçoise entre même sur la pelouse avec neuf joueurs ! Face à tous ces incidents, la FFF suspend le stade corse et annule le résultat du match retour (2-2 à l’aller, 4-0 au retour), exigeant qu’il soit rejoué sur terrain neutre. Inquiet pour les Aiglons, Jacques Médecin, maire de Nice, met alors la pression sur le président du Gym, Roger Loeuillet, pour que son club déclare forfait. Tant pis pour la qualification ... Il faut dire que des joueurs Azuréens ont été menacés et qu’une explosion a frappé le magasin de mode du capitaine Jean-Noël Huck ... La rencontre devient une affaire d'état. On est en plein procès d’Edmond Simeoni, leader autonomiste corse. C'est dire l'atmosphère. Les politiques s'en mêlent. C'est le pire.

A Nice, les alertes à la bombe se succèdent et les joueurs s'entraînent sous protection policière. Pour avoir dit Je n'irai plus jouer en Corse, Jean-Noël Huck voit son magasin de prêt-à-porter ''Huck-store'' partir en fumée, victime d'un cocktail Molotov. Un tel niveau de violence n’avait jamais été atteint. La plaie était trop grosse pour se refermer. Indéniablement, ce 10 avril, quelque chose de différent venait de se déclencher. Ce 10 avril 1976 laissait pressentir quelque chose de négatif.

Quelques jours plus tard, le Front de Libération National Corse verra le jour. Une naissance ponctuée par une vingtaine d’explosions un peu partout en méditerranée, visant des quartiers de Nice et Marseille, ainsi que l’île de beauté. Cette nuit bleue annonçait de façon spectaculaire la création du FLNC et laissait préméditer les futurs vagues d’attentats qu’allait connaitre la Corse cette même année. Oui, ce 10 avril 1976, le terrorisme nationaliste entrait en scène.

Cette bombe visant Jean-Noël Huck l’annonçait, c’était le lever de rideau des attentats, et le football en était l’une de ses premières victimes. La saison suivante (1976-1977), les retrouvailles se déroulent le jour de la fête de la châtaigne. La bagarre générale fait deux expulsés : Cazes et Toko. Au cœur de l'échauffourée, certains Niçois dont Jean-Pierre Adams jurent avoir vu un dirigeant du Sporting Club de Bastia sortir un revolver. La main sur le ventre est une attitude héritée de Napoléon, expliquera le banc des accusés. Un trait d'humour dans un monde de brutes …

1977. Alors que Jacques Chirac se venge de VGE en battant le candidat Michel d’Ornano pour conquérir la mairie de Paris, Jacques Médecin est lui réélu à la mairie de Nice. Certaines rumeurs font état de voix venant d’Inde, d’électeurs de Pondichéry plus précisément, 896 voix opportunément ralliées à l’occasion du passage de Médecin comme Secrétaire d’Etat au Tourisme (rattaché au Ministre). Les listes du maire sortant devancent en effet de très peu les listes communistes dans trois secteurs électoraux de la ville : Jacques Médecin, qui prétend descendre des Médicis, les anciens maîtres de Florence, ne garde sa mairie qu’avec 50.3 % des voix face à la gauche … A la Toussaint, Nice est prise d’effroi dans une lutte mafieuse qui fait d’Agnès le Roux, héritière du casino du Palais de la Méditerranée, une disparue, la justice soupçonnant l’avocat Maurice Agnelet d’avoir assassiné la belle héritière pour faciliter le rachat du Palais de la Méditerranée par le propriétaire du casino Ruhl, Jean-Dominique Fratoni. Le corps d’Agnès ne sera jamais retrouvé, tandis qu’Agnelet se réfugie derrière son alibi : il était à Genève avec une autre femme en ce week-end de Toussaint 1977. L’affaire hantera Nice pendant près de quarante ans. Dans l’affaire Spaggiari, l’avocat Jacques Peyrat (qui connait l’ancien parachutiste depuis la guerre d’Indochine) accusera en 1995 un autre futur maire de la ville, Christian Estrosi, d'avoir été le complice à moto de Spaggiari. Mais le motodidacte Estrosi, champion de France moto en 1977, parviendra à prouver qu'il était, ce jour-là, engagé dans une course à Daytona.

En septembre 1976, Nice retrouve un club catalan, l’Espanyol Barcelone. Plus prudent que le voisin du Barça, l’Espanyol s’impose 3-1 à Sarria avant de s’incliner 2-1 au match retour. Pour le Gym, l’aventure européenne s’arrête après un simple aller-retour en Catalogne …

Juin 1977. A la fin de son neuvième exercice parmi l'élite du football hexagonal, le S.E.C. BASTIA termine 3ème du Championnat de Division 1. Loin dernière Nantes le champion, mais néanmoins classé en tête - et c'est un luxe appréciable - des attaques françaises les plus percutantes. 82 buts, dont plus de la moitié réussis par le tandem-roi Djazic - Félix (22 buts chacun), c'est Byzance, l’Eldorado et le Pérou à Furiani. Avec à la clé les spectacles fabuleux que l'on imagine, surtout les soirs où avait fait merveille l'incomparable pied gauche du maître à jouer yougoslave Dragan Dzajic, recordman des sélections dans son pays et capable d’atteindre la quadrature du cercle. Superbe division offensive bastiaise dont Jacques Zimako et Claude Papi étaient les autres joyaux. Hélas, les deux orfèvres du cuir que sont Dzajic et Zimako ne seront plus là quand débute la saison 1977-1978. Il faudra faire sans leur maestria du côté.

1978. Jean-Jacques Annaud sort Coup de Tête, inspiré de l’épopée de l’En Avant Guingamp en Coupe de France 1973. Tourné à Auxerre avec l’aide de Guy Roux, le film met en lumière l’aventure de François Perrin, joué par le regretté Patrick Dewaere. Le film se termine avec le triomphe de Perrin sur les notables de Trincamp, joués par Jean Bouise et Michel Aumont, à l’hôtel Napoléon de Fontainebleau. 1978, l’année des trois papes, Paul VI, Jean-Paul Ier et enfin Jean-Paul II. L’année aussi de la marée noire de l’Amoco Cadiz sur les côtes du Finistère en mars, ce qui renforce l’attractivité du tourisme sur le Sud de la France.

Saint-Etienne-Nice, saison 1977-1978, 4e journée du championnat de France. Le Gym s’impose (2-1) chez les Verts qui étaient invaincus à Geoffroy-Guichard depuis 1973. Un match héroïque en ce vendredi 19 août 1977, devant 27 888 spectateurs, et ironie du destin, l’arbitrage de M. Wurtz, ange gardien des Niçois depuis ce choc du 11 mars 1976 qui avait fait tant couler d’encre près de la Promenade des Anglais. Cette victoire niçoise en terre stéphanoise est une performance de folie et un nouveau départ de dragster pour l’équipe azuréenne qui a battu le champion nantais en ouverture de la saison au Ray (1-0), mais malheureusement, le cru exceptionnel tant espéré se terminera en piquette.

Jamais deux sans trois, malgré un départ foudroyant destiné à les emmener au sommet de la pyramide, les Niçois redescendent l’escalier avec violence. Jamais deux sans trois, et si le Dynamo Kiev, le Borussia Mönchengladbach, Leeds United ou Saint-Etienne représentent le syndrome Poulidor des losers européens des seventies, Nice est le fer de lance des losers du football français de cette même décennie, on peut même dire que la loose leur colle à la peau, tel ce fameux sparadrap du capitaine Haddock dans l’Affaire Tournesol. Par les moustaches de Plekzsy-Gladz, pardon par les moustaches de Jacques Médecin, Nissa la Bella semble maudite dans cette Division 1 dont le titre suprême la fuite depuis 1959, veille du centenaire du rattachement à la France. On ne compte plus les vedettes du sport ou du show business venues vivre à Nice ou dans ses environs (Eze) tel le champion du monde cycliste d’Oslo 1993 (Lance Armstrong) ou le chanteur irlandais Bono (leader de U2), ni les films tournés sur la Côte d’Azur : la Main au Collet d’Alfred Hitchcock en 1955 avec Cary Grant et Grace Kelly, Et Dieu créa la Femme de Roger Vadim en 1956 avec Brigitte Bardot, Curd Jurgens et Jean-Louis Trintignant, Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil en 1963 avec Jean Gabin et Alain Delon, le Gendarme de Saint-Tropez de Jean Girault en 1964 avec Louis de Funès et Michel Galabru, la Piscine de Jacques Deray en 1969 avec Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet et Jane Birkin, la Cage aux Folles d’Edouard Molinaro en 1978 avec Michel Serrault, Ugo Tognazzi et Michel Galabru, les Compères de Francis Veber en 1983 avec Gérard Depardieu et Pierre Richard, Jamais plus jamais (un James Bond non officiel) en 1983 avec Sean Connery, Kim Basinger, Klaus Maria Brandauer et Max Von Sydow, Goldeneye (un 007 officiel cette fois) en 1995 avec Pierce Brosnan et Sean Bean, Anthony Zimmer de Jérôme Salle en 2005 avec Yvan Attal et Sophie Marceau, l’Arnacoeur de Pascal Chaumeil en 2009 avec Romain Duris et Vanessa Paradis, Moebius d’Eric Rochant en 2013 avec Jean Dujardin, Tim Roth et Cécile de France ... Nice et ses corniches sont au cœur de la plupart de ces films. Mais dans le microcosme du football, ce sont l’AS Monaco et Jean-Louis Campora qui ont écrit un somptueux palmarès sur la Côte d’Azur à partir de 1978, année médiatrice qui déplace l’épicentre du football de la ville natale de Garibaldi. Malgré un nom taillé pour la victoire, inspiré de la déesse grecque de la Victoire (Niké), Nice a vu par trois fois sa chance lui passer devant. Or l’Histoire repasse rarement les plats.

Car Nice a un péché mignon, un péché d’orgueil, il est incapable, tel le phénix, de renaître de ses cendres après la trêve hivernale, quand l’année civile change au calendrier … Ainsi aux alentours de l’équinoxe 1977, Nice avait pulvérisé la concurrence, sans score fleuve certes (exception faite d’un prestigieux succès 5-3 au Parc Lescure de Bordeaux) pour 6 victoires et 1 nul en 7 matches, soit un début de saison proche du Grand Chelem !

Encore leaders au soir de la 26e journée et un succès in extremis contre Lens (5-4), les Niçois enchaînent ensuite les défaites comme des perles : à Monaco (0-2), à la maison face au PSG (2-3), à Laval (0-2), à domicile contre Strasbourg (0-1) puis de nouveau dans leur fief du Ray devant Valenciennes (0-2), à Bastia (1-6) et enfin à Nantes (1-6).Sur les douze derniers matches de cette saison 1977-1978, Nice n'en remporte qu'un seul, à domicile contre Rouen (6-1).

Le bilan comparé des deux moitiés de saison du Gym explique leur modeste 8e place finale au championnat : 12 victoires, 2 nuls et 5 défaites durant la phase aller (26 points avec la victoire à 2 points en vigueur à l’époque), 5 victoires, 5 nuls et 9 défaites pendant la phase retour du championnat (15 points).

Mais avant même la phase retour, c’est un terrible camouflet dans leur fief azuréen que les Niçois peuvent trouver l’origine de cette nouvelle désillusion, de ce nouveau miroir aux alouettes qui s’est refermé sur eux.

L’année 1978 commence en effet bien mal pour les Aiglons de l’OGC Nice, jusqu’ici invaincus à domicile en D1 mais atomisés 7-3 dans leur antre du Ray par l’AS Nancy Lorraine, menée par un jeune virtuose de 22 ans d’origine italienne. Michel Platini, puisque c’est lui dont il s’agit, s’offre un quadruplé de légende sous la pelouse niçoise en ce 18 janvier 1978 pour la 15e journée de D1. Sous la pluie battante, le futur crack de la Vecchia Signora tape dans l’œil non pas de la Juventus Turin mais de l’Inter Milan. Meneur du jeu du Grande Inter des années 60 champion d’Europe en 1964 et 1965, Sandro Mazzola est subjugué par le récital du jeune Français. L’ambassadeur du club nerazzurro se rendra ensuite à Nancy pour tenter de recruter, en vain car la fermeture des frontières du Calcio sera reconduite jusqu’en 1980. Platini, lui, finira la saison 1978 avec en point d’orgue une victoire en Coupe de France, acquise face à … Nice ! Cette 61e finale sera techniquement médiocre, Platini passant totalement à côté de la première heure de jeu. Mais à la 57e minute de jeu, comme le grand joueur qu’il s’apprête à devenir, le futur triple Ballon d’Or s’offre un crochet en pivot suivi d’une frappe sèche qui trompe la vigilance du gardien niçois, Dominique Baratelli. Michel Platini, capitaine du club lorrain, peut ensuite monter recevoir la Coupe de France des mains du président Giscard d’Estaing.

Cette défaite marque un terrible coup d’arrêt pour cette génération dorée des seventies à Nice, celle des Hervé Revelli, Roger Jouve, Jean-Noël Huck, Jean-Marc Guillou, Dirk Van Dijk, Leif Eriksson, Dominique Baratelli, Nenad Bjekovic, Marc Molitor et autres Josip Katalinski, ce génial libero yougoslave capable d’apporter le surnombre et d’effectuer des frappes de plus de 40 mètres, de vraies pralines dans la lucarne façon Ronald Koeman ou Roberto Carlos par la suite ...

S’il faut sortir un joueur de cet âge d’or niçois, c’est bien lui, malgré le superbe trio Jouve / Huck / Guillou ou encore les arabesques de Marco Molitor … Josip Katalinski, avec ses célèbres moustaches, était arrivé à l’OGC Nice durant l’été 1975. International, il venait de Sarajevo, sacré meilleur joueur de Yougoslavie l’année précédente. Le Gym du président Roger Loeillet s’était offert une équipe de gala. Alors que les Verts de Saint-Etienne grimpaient vers le toit de l’Europe, l’OGC Nice, au printemps 1976, fut privé du titre pour une main non sifflée de Christian Lopez dans la surface au Ray. Ce soir-là, dit-on, la porte du vestiaire niçois reçut le soulier de Katalinski en pleine face. Jamais elle ne s’en remit... Et pour l’OGC Nice, l’occasion d’un sacre en première division, 35 ans plus tard, ne s’est jamais représentée une seule fois.

Josip Katalinski, Croate de Bosnie, aimait les cigarillos, les cafés turcs, le tarot, et se rendait fièrement à l’entraînement dans son coupé Mercedes. Sur le terrain, Josip Katalinski évoluait libéro. Dire qu’il en imposait relève du parfait euphémisme. De toute ma carrière, je ne me souviens pas avoir joué derrière un joueur dégageant une telle autorité, témoigne Dominique Baratelli, le gardien des cages des belles années. Josip était grand, fort, très bon de la tête, avec une très grosse détente. Quand il montait sur les corners, ce sont les défenseurs qui tremblaient. Mais Katalinski était surtout connu pour sa frappe de mule... A l’entraînement, quand Josip s’entraînait au coup-franc, personne ne voulait se dévouer pour faire le mur, sourit Roger Jouve. C’était impressionnant. Avec les ballons actuels, je crois qu’il aurait tiré les coups-francs du milieu de terrain.

Platoche, lui, ira ensuite en Argentine disputer la Coupe du Monde 1978, où le numéro 10 de l’équipe de France sera porté par un joueur niçois, Jean-Marc Guillou, tandis qu’un autre prodige jouant dans un club méditerranéen fait le voyage en Amérique du Sud : Claude Papi, prodige du SC Bastia qui s’offre depuis l’automne 1977 une superbe épopée européenne, sorte de madeleine de Proust des amoureux du football, loin de la tour d’ivoire des odyssées factices fabriquées par l’argent roi, celles de Chelski, Manchester City ou l’actuel PSG qatari. Dès lors, sous l’égide de l'Homme de Fer du football corse, alias Pierre Cahuzac qui avait antérieurement fait des pionniers du Gazélec d’Ajaccio de quadruples Champions de France Amateurs entre 1963 et 1968, le Petit Poucet bastiais va comme l'Aigle impérial voler de clocher en clocher. Aujourd'hui encore, cette incroyable épopée d'un club aux antipodes de la raison froide, que chaque jour éloignait davantage des réalités d'un professionnalisme de plus en plus dévorant et monétisé, résonne comme l'un des plus hauts qu'ait jamais vécu le monde du ballon rond.

Echaudés par leur échec de septembre 1972 face à l’Atletico Madrid (élimination au premier tour de la C2 1972-1973 face aux Colchoneros, qui seront sacrés champions d’Espagne cette saison là) et un apartheid de cinq ans décidé du côté de Berne par l’UEFA suit aux incidents d’Ajaccio, les Bastiais de Pierre Cahuzac avancent avec prudence dans cette Coupe UEFA 1977-1978. A chaque tour, on se retrouvait le midi pour manger, on allait vaguement à l’hôtel, on y restait deux petites heures, le coach nous disait un mot et demi et c’était parti, se souvient le gardien de but Pierrick Hiard.

Lorsque l'on apprit courant juillet 1977 que le premier adversaire européen du Sporting Etoile Club Bastiais serait le Sporting de Lisbonne, beaucoup d'observateurs et d'initiés de la planète football ne purent s'empêcher de fredonner l'air connu et alors si propre à tant de clubs français qui se contentaient le plus souvent de furtives apparitions sur la scène continentale : ... Un petit tour et puis s'en vont ! ...

Car en effet, à l’époque la C3 alias Coupe UEFA n’est pas comparable à l’actuelle Ligue Europa, sorte de poubelle de la C1 alias Ligue des Champions. La C3 de l’époque réunissait les 2e, 3e et 4e des meilleurs championnats d’Europe, Bundesliga, Calcio, Liga … Passer plusieurs tours dans cette épreuve marquée du sceau de Darwin et de son processus de sélection naturelle faisait figure de travaux d’Hercule pour les clubs de France et de Navarre. L’Hexagone avait certes vu l’AS Saint-Etienne se hisser en finale de la grande C1 en 1976, mais personne n’imaginait Bastia aller jusqu’en finale de la C3 1977-1978 ...

Transcendés, les gladiateurs corses vont écrire une partition sans fausse note pendant dix matches, partition aux airs de requiem pour plusieurs clubs de prestige du Vieux Continent, avec plusieurs duels au couteaux et une seule promenade de santé (à Furiani contre Carl Zeiss Iena) … Deux crocodiles dans un marigot, c’est un de trop, le refrain est bien connu. Cinq fois de suite, face à des rivaux venus de Lisbonne au Portugal, de la terre geordie à Newcastle, de la région piémontaise de Turin, de Iéna de l’autre côté du Rideau de Fer, de Suisse de l’autre côté des Alpes, la magie va opérer, tant Bastia possède ce petit supplément d’âme qui va faire basculer la flèche du balancier du bon côté. Cinq fois de suite, les épées de Damoclès ne vont pas résister à la furie bastiaise, cinq fois de suite les illusions adverses vont faire pschitt face à ce club de cœur dont l’ADN sera la symbiose de ces joueurs, véritable puzzle qui en fera un bulldozer presque intouchable jusqu’au firmament de l’Europe. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, écrivait Pierre Corneille dans le Cid. On ne pourra guère reprocher aux Bastiais d’avoir manqué de péril dans leur parcours, et donc encore moins d’avoir usurpé la gloire qui les a auréolé dans cette folle saison 1977-1978.

L’épopée bastiaise n’aurait pas non plus été la même sans la participation féérique des tribunes de Furiani. Des gradins étroits escortent un terrain bosselé et inégal. Aucun visiteur ne s’imaginait s’incliner dans un stade pareil. Encore moins se faire éliminer sur l’ensemble des deux matches. Furiani constitue une arme fatale à l’usage de l’inconscient. La veille de leur premier match de la compétition, les adversaires de Bastia, les joueurs du Sporting Club du Portugal, Jordao en tête, sont persuadés qu’Armand-Cesari n’est que le stade d’entraînement. Un zeste de suffisance s’installe dans leur tête. Qui plus est, le match lui-même s'est déroulé devant des tribunes à moitié vides, la forte majoration du prix des places pour cette première européenne à Furiani ayant refroidi une bonne partie de la clientèle bastiaise.

Résultat : victoire 3-2 pour les insulaires face aux Lions de Lisbonne en ce 14 septembre 1977. Jordao avait ouvert le score sur penalty, mais un triplé stratosphérique de François Félix permet aux Bastiais de revenir de 1-2 à 3-2 lors d’une fin de match en apothéose. Les Portugais refusent de s’inquiéter : à tort, puisqu’ils perdent aussi le match retour à José Alvalade sur le score de 2-1. Pourtant, à cinq minutes du terme, le Sporting CP mène 1-0, étant virtuellement qualifié pour le deuxième tour de cette C3. Mais Johnny Rep et François Félix plantent chacun un pion pour Bastia, portant l’estocade au club lisboète. En cinq minutes, le Sporting CP passe du Capitole à la Roche Tarpéienne.

Au deuxième tour, où le RC Lens et Didier Six enflamment une inoubliable prolongation à Félix Bollaert contre la Lazio Rome (0-2 en Italie, 6-0 a.p. dans l’Artois), Bastia retrouve Newcastle. Charles Orlanducci, capitaine des Lions de Furiani, n’imagine alors pas que son armada est en route pour une performance mémorable : On prenait juste les matches comme ils venaient. On espérait, mais on ne rêvait pas. Lycéen et âgé de seulement 18 ans à l’époque, Jean-Marie de Zerbi confirme : On a eu beaucoup de chance, quand même. A cinq minutes près, on aurait pu être éliminés dès Lisbonne en septembre 1977.

Durant cet automne 1977, les Bastiais affrontent trois collectifs réputés dans trois joutes d’anthologies qui rappellent le combat de David contre Goliath : le Sporting Lisbonne en 32e de finale, Newcastle en 16e de finale et surtout Torino en 1/8e de finale. A chaque fois, le même scénario se répète : un match aller laborieux à domicile, un match retour chirurgical à l’extérieur en forme de juge de paix où le SEC Bastia sonne le glas des espoirs de ses rivaux européens, tirant la quintessence de son alchimie de groupe en pérennisant les exploits.

Après le Sporting CP, les Magpies de Newcastle en font l’expérience. A Furiani, Bastia d’impose 2-1 dans la douleur, avec un doublé d’un Claude Papi stellaire qui offre la victoire à son équipe à la 89e minute de jeu face au club de la Perfide Albion, de quoi être plébiscité héros de tout un peuple. Victoire à la Pyrrhus ? Que nenni, le club corse va chèrement défendre sa peau outre-Manche. Le match retour dans le nord de l’Angleterre, à Saint-James Park, voit Bastia sortir le bleu de chauffe. Pourtant avant de se rendre à Newcastle, l’avantage du match aller (2-1) semble bien maigre. D'autant que Bastia est diminué par plusieurs absences, orphelin de cadres comme le gardien Petrovic ou encore Yves Mariot. Le groupe qui embarque pour Newcastle compte 6 jeunes évoluant habituellement avec la réserve. Dès la 3e minute de jeu, le bambino dribbleur Jean-Marie de Zerbi ouvre le score. Mais le grand bonhomme de la soirée vient de Hollande, taulier qui a connu le climax du grand Ajax en 1973, il s’appelle Johnny Rep qui claque un doublé pour le club corse, qui commence à devenir un épouvantail. Au retour en Corse, 2500 supporters attendent les joueurs en pleine nuit pour célébrer la qualification face à Newcastle, passé sous les fourches caudines du club à la Tête de Maure.

Bastia, sans tutoyer la perfection, va s’attirer tous les superlatifs, pour l’euphorie que son incroyable épopée va susciter en Corse ainsi qu’en métropole. Car la France de 1977-1978 n’a connu des montagnes russes d’adrénaline en Coupe d’Europe qu’à trois reprises seulement, trois finales de C1 perdues par le Stade de Reims (1956 et 1959 face au Real Madrid de Di Stefano, alors à son apogée) et Saint-Etienne (1976 contre le grand Bayern Munich du Kaiser Beckenbauer, alors à son acmé). Le Graal européen échappe donc encore et toujours au football français, qui devra attendre son grand dépucelage le 26 mai 1993 en Bavière (un an après celui du Barça en 1992 à Wembley, autre anomalie de la grande Histoire de la C1), au stade olympique de Munich, pour que Marseille délivre l’Hexagone face au gargantuesque AC Milan de Fabio Capello : Didier Deschamps peut soulever la Coupe aux Grandes Oreilles, la seule qui compte aux yeux de Bernard Tapie, qui raillera quelques années plus tard la Coupe des Coupes 1996 gagnée par le PSG de Luis Fernandez à Bruxelles, avec Yannick Noah en aboyeur de vestiaire, lui le capitaine qui donnera quelques mois plus tard une deuxième Coupe Davis à la France (après le saladier d’argent conquis en 1991 à Lyon par Forget et Leconte surclassant Sampras et Agassi) après l’âge d’or des mousquetaire du tennis (1927-1932). A Munich en 1993 donc, c’est un coup de boule de Basile Boli dans le dos de Frank Rijkaard qui inscrit l’OM dans le panthéon du football français pour l’éternité, en souvenir des défaites douloureuses. Comme à Bari en 1991 face à l’Etoile Rouge Belgrade, avec les larmes de crocodile du même Boli. Comme à Lisbonne en 1992, au lendemain du drame de Furiani, ce qui avait empêché l’AS Monaco de tirer la substantifique moelle de sa force collective, les joueurs d’Arsène Wenger étant hors du match psychologiquement face au Werder Brême. Comme en 1978 pour Bastia, ou comme en 1982 à Séville pour l’équipe de France face à la RFA d’Harald Schumacher …

Mais cette TPE corse de la contre-attaque assassine ne serait rien sans ses ailiers qui galopent et offrent des caviars (Rep, De Zerbi) ainsi que ses finisseurs (Krimau, Félix). Bastia serait encore moins redoutable sans ses tifosi, dont l’amour pour le club à la tête de Maure est viscéral. Dans la Corse des années 70, on capte mieux la télévision italienne que française ! Le dimanche après-midi, les jeunes fans des Lions de Furiani apprennent à confectionner des tifos dignes de ce nom lors des grands-messes cathodiques dominicales de la RAI, s’inspirant des oriflammes vus dans le Piémont, la Toscane, la Lombardie ou encore la Sardaigne à travers la télévision. Ainsi, lors des bras de fer européens de Bastia, le public d’Armand-Cesari arbore une succession de drapeaux, banderoles, fumigènes, pétard, sirènes et autres bombes agricoles. L’impact de la foule pouvait faire peur aux joueurs adverses. A certains endroits, les spectateurs se trouvaient à un mètre ou deux de la pelouse, certifie Charles Orlanducci, alias le Lion de Vescovato.

Au troisième tour, malgré une victoire à l’aller face au Torino (2-1), ils sont peu nombreux à imaginer poursuivre la belle aventure européenne. Le gardien Pierrick Huard remplace en urgence le portier titulaire Ognjan Petrovic avant de prendre la direction de la capitale du Piémont. Quant à Fanfan Félix, il croit tout simplement que le Torino est la meilleure équipe du monde. Bien que subjectif, on attribuera plutôt ce titre au grand Liverpool FC de Kenny Dalglish voire au Flamengo de Zico en cette année 1977. Lauréate du Scudetto en 1976, vice-championne d’Italie en 1977 et 1978, il est vrai que le Toro est redoutable, redonnant tout son lustre à un club marqué au fer rouge par le drame aérien de Superga, le 4 mai 1949. Au retour d’un match amical face au Benfica Lisbonne, l’avion du Grande Torino s’était écrasée contre cette colline surplombant Turin. Valentino Mazzola et ses coéquipiers, champions d’Italie sans discontinuer depuis 1946, avaient perdus la vie dans ce drame. Superga restera maudite pour le sport italien, le cycliste Marco Pantani y frôlant la mort en octobre 1995, heurté par un 4*4 dans la classique Milan - Turin. En cette année 1977, alors que le voisin honni de la Juventus a gagné son premier trophée européen face aux Basques de l’Athletic Bilbao, le Torino rêve secrètement d’inscrire à son tour son nom au palmarès de cette C3. Ce dessein restera utopique après la confrontation face à ce SEC Bastia qui possède la baraka. L’équipe au maillot grenat aligne la bagatelle de sept internationaux, dont les frères Sala ainsi que les buteurs Pulici et Graziani. Bastia l’emporte timidement au match aller en Corse, Claude Papi et Johnny Rep marquant les buts corses tandis que Paolo Pulici entretient l’espoir.

C’était sur le fil du rasoir. On a fait une prestation sérieuse, mais on s’est fait bousculer. On a tout de suite vu qu’on avait affaire à une grande équipe, appuie Paul Marchioni. Vient alors le match retour. Tombeur de l’APOEL Nicosie et du Dinamo Zagreb, le Torino accueille les Bastiais en étant invaincu à domicile depuis le début de saison. Après notre qualification à Newcastle, Victor Sinet, une figure du journalisme (il a couvert dix Coupes du monde) qui suivait le football italien, nous avait prévenus, se remémore le défenseur bastiais : "Tout sauf une équipe… le Torino !"  Et pourtant.

Avant le match retour, Charles Orlanducci a une vision : Quand je suis sorti du tunnel au stadio Comunale et que j’ai vu tous ces drapeaux bleu et blanc, je me suis retourné et j’ai dit aux autres « Ce soir, on est chez nous ». Ils étaient 20 000, près d’un tiers de l’enceinte.

Dans la trajectoire bastiaise vers la gloire, il y a un héros pour chaque partie décisive. C’était Mariot à Lisbonne, ce fut Rep à Newcastle, ce sera Krimau à Turin, avant Félix en quart de finale contre Carl Zeiss Iéna. Il fait un froid de canard en ce mercredi 7 décembre 1977 à Turin. Il a fallu déblayer la neige de la pelouse. Mais le Sporting, lui, est chaud. Et tout de suite. L’ouverture du score, sur une demi-volée du droit d’anthologie de Jeean-François Larios, après 20 minutes de jeu, apparait donc comme une juste récompense.

La première lumière est donc venue de Jean-François Larios. Le long de la ligne de touche, Jean-Marie De Zerbi réussit un petit pont, sert Claude Papi qui se remet dans le sens du jeu et lance Félix Lacuesta dans le rond central. Ce dernier crochète un plot italien, lance en profondeur Johnny Rep. Le Hollandais met les gaz, crochète. Le reste n’est que grâce : contrôle et remise en pivot de Lacuesta pour Larios, qui dégaine une reprise imparable, 1-0 ! C’est l’image qui m’a marqué, assure Marchioni. Même aujourd’hui, je regarde encore et encore ce but. 

Puis Francesco Graziani entre en scène. Il est la grande star du Toro, et le meneur de jeu de la Squadra Azzurra. Son doublé (22e, 47e) remet les deux équipes à égalité sur l’ensemble des deux matches. On pense que Bastia va finir par prendre l’eau et quitter la scène européenne, même la tête haute. Mais c’est un autre doublé, celui du jeune Merry Krimau (51e, 65e) qui vient sceller ce huitième de finale. Bastia s’impose et se qualifie à la surprise générale. Ce soir là dans le Piémont, Abdelkadrim Merry Krimau mange du pain blanc, il voltige et dresse la guillotine aux joueurs du Torino, avec un doublé en réponse à celui de Francesco Graziani. C’est son quart d’heure de gloire, son bâton de maréchal pour le Marocain de 23 ans qui a chaussé les bottes de sept lieues. Malgré plus de 100 buts dans l’élite en D1 française, Krimau reste surtout connu pour ce doublé au Stadio Comunale de Turin, qui permet à Bastia de se qualifier avec la manière, en gagnant 3-2 sur la pelouse du club italien. Car, le Torino était invaincu sur sa pelouse depuis… deux ans. De la formidable épopée bastiaise, cette double victoire face au club piémontais reste donc le fait d’armes le plus marquant, de par la nature de la victime. L’exploit est colossal, car le Pantagruel italien avait un appétit d’ogre dans cette compétition et une pancarte de favori suprême pour le titre en C3 (avec le Barça de Johan Cruyff).

Dans cette rencontre à l’italienne, Pierre Cahuzac se montre plus retors tactiquement que son homologue Radice. A la fin, j’aurais mangé de la terre pour lui. Il pouvait nous emmener à l’autre bout de la terre, comme on dit chez vous, confie Johnny Rep.

Le Marocain Krimau honore donc de la plus belle des manières sa place dans le onze bastiais - il joue en lieu et place de François dit Fanfan Félix, touché au genou à cause d’un accident de voiture au soir du match aller. Un quart d'heure après son premier but, le même Krimau pointe encore ses gants rouges vers le ciel au bout d’un contre assassin (65e). 3-2 face au Toro, le Sporting Etoile Club de Bastia tient son exploit, son sixième succès européen de rang ! Rien n’avait pu entraver la marche en avant des Corses, pas même le rude hiver d’Italie du Nord qui les obligea à galérer sur le chemin du retour, rien ne put altérer ce grand moment d'histoire pour 15.000 corses enchantés.

Et puis n'était-il pas vrai, comme l'avait souligné la presse italienne, que le succès bastiais était aussi remarquable par la maitrise collective et par le fond de jeu que par les qualités de corps et d'esprit ? : Si nous posons tant de problèmes à nos adversaires et notamment chez eux, çà doit être aussi parce que nous n'avons pas que l'enthousiasme et la volonté, ne croyez-vous pas ?, observait avec juste raison Pierre Cahuzac après avoir déclaré dans un premier temps : Ce coup là, pour sûr, on peut parler d'exploit !

En vrai, ce soir-là, le match s’est peut-être joué une heure avant le coup d’envoi. À l’hôtel, on était un peu endormis. On est rentrés dans ce stade pour s’échauffer, nos supporters chantaient déjà. On a vu tous ces drapeaux bleu et blanc, on ne s’y attendait pas ! Après, il ne pouvait plus rien nous arriver, sourit Marchioni, qui deviendra plus tard capitaine du Sporting et soulèvera la Coupe de France 1981. De retour sur l’île, le peuple corse se rassemble sur la place Saint-Nicolas pour fêter ses héros. Au pays de l’omerta, le silence se brise après ce colossal exploit turinois : et si Bastia en avait encore sous le pied pour appuyer encore plus fort sur le champignon ? Et si jamais Bastia pouvait aller au bout ?

La belle épopée continue en 1978 avec, au passage, une raclée infligée aux Allemands de Carl Zeiss Iéna (certes décimés par les blessures), 7-2 à Furiani devant un public quasiment en transe vaudoue, en clin d’œil à une des plus belles victoires de l’empereur Napoléon Ier, le 14 octobre 1806 face à la Prusse : Jeff Larios, Claude Papi, Yves Mariot, Fanfan Félix, Jean-François Cazes, tout le monde y va de son petit but face au club est-allemand, dans une soirée en forme de caverne d’Ali Baba, de soleil d’Austerlitz.

Pensez donc, Bastia, avec cette septième victoire européenne consécutive, rejoignait dans la légende continentale la Juventus de Turin, le Dynamo de Kiev, alors les seuls à avoir accompli la même performance dans une Coupe d’Europe. Cette prouesse était restée utopique pour des ténors du calibre du Real Madrid, l’Inter Milan, Manchester United, l’Ajax Amsterdam, le Bayern Munich, l’AC Milan, le FC Barcelone et le Benfica Lisbonne, pourtant rois incontestés du Vieux Continent au cours des 23 précédentes éditions ! En un mot comme en mille, la Corse venait de réussir pour son coup d'essai un véritable coup de maître ! Le record sera ensuite battu par le Borussia Mönchengladbach (9 victoires de rang) puis par l’AC Milan de Fabio Capello en 1992-1993 (10 succès d’affilée avant que l’OM ne punisse ce crime de lèse-majesté à Munich en finale de la Ligue des Champions).

La défaite 4-2 en RDA sera anecdotique. Mais la plus belle victoire reste celle à Torino, conclut Marchioni. Avec en prime un tour d'honneur du Stadio Comunale.

C’en effet ce match à Turin qui enflamme la mémoire collective. A partir de là, les Corses jouissent de la sensation d’être la petite ville qui accumule les prouesses contre le reste de l’Europe, l’irréductible Petit Poucet de cette Coupe de l’UEFA. L’île de Beauté entre en fusion : dans une osmose collective inimaginable. Le gardien Pierrick Huard découvre les joies de la proximité : Les habitants nous interpellaient, il n’y avait pas de stars dans leur château

La finale sera acquise dans des conditions douloureuses face au Grasshopper Zurich : défaite 3-2 en Suisse lors du match aller, victoire 1-0 à Furiani lors de la demi-finale retour. Merry Krimau et Claude Papi sauvent l’honneur bastiais dans le canton de Zurich, avant que Claude Papi ne marque le but de la délivrance au stade Armand-Cesari le 12 avril 1978.

En finale, Bastia retrouve le PSV Eindhoven, bourreau du grand Barça de Johan Cruyff. Le 26 avril 1978, le ciel est bleu en ce début de matinée sur Bastia. En ces premières heures du jour, la ville et le port s'éveillent dans la chaleur d'une effervescence inhabituelle : ce soir, l'équipe de football de la ville, le Sporting Etoile Club de Bastia, dispute la finale aller de la Coupe d'Europe de l'UEFA (Union européenne de football Association) contre les Néerlandais du PSV Eindhoven.

Toute la Corse, et au-delà toute la France, retiennent leur souffle. Il faut dire que l'épopée de ce petit club sans moyen, sans vedette, sans palmarès, et qui s'invite à la table des grands d'Europe, a passionné le pays durant la saison. Difficile de décrire l'ambiance qui règne en ville durant cette journée, les enfants grimés, les grands-mères qui taguent d'encouragements les murs de la cité. Puis le ciel qui se couvre, les trombes d'eau qui s'abattent sur la ville et le stade. Impossible d'imaginer aujourd'hui cette foule qui vibre, bravant l'orage, de croire à la vétusté prémonitoire des choses et des tribunes, d'envisager ces employés munis d'un simple balai et d'un seau pour tenter de désengorger la pelouse.

Un homme, pourtant, a saisi et immortalisé cette journée, sans en manquer une goutte : le cinéaste Jacques Tati (Mon Oncle, Jour de Fête). Il y a alors plus de onze ans que le réalisateur a tourné Playtime, et il a répondu favorablement à une demande de Gilbert Trigano, le patron du Club Méditerranée, qui est aussi le président du SEC Bastia.

Le cinéaste se contente de poser sa caméra en ville, aux premières lueurs du jour et quand le ciel est encore bleu, puis s'immisce dans la foule qui se rend au stade, s'installe au milieu du terrain pour graver l'impatience des hommes et des femmes sous l'orage. Quelques images de football aussi, mais très peu, car ce n'est peut-être pas le propos.

Ce film, c'est le magazine de football So Foot qui a eu la bonne idée de le sortir de l'oubli. Jacques Tati n'avait jamais monté ses images. Bastia a fait match nul, dans la gadoue (0-0), et s'est lourdement incliné (0-3) lors du match retour aux Pays-Bas. Cela a peut-être douché les ardeurs. C'est sa fille Sophie Tatischeff qui, des années plus tard, a assuré le montage des séquences oubliées à la cinémathèque régionale de Corse. Depuis, le film dormait dans les archives de Jérôme Deschamps, neveu de Jacques Tati. C'est en enquêtant sur l'épopée corse, que Ricco Rizzitelli, journaliste à So Foot, en a retrouvé la trace en 2010.

Il n’y aura pas de miracle pour Bastia, qui joue sur tous les tableaux en ce printemps 1978 : 5e du championnat de France dominé par le surprenant promu monégasque (Nottingham Forest fera de même en Angleterre avant d’enchaîner par un titre européen dès 1979), Bastia s’est hissé jusqu’en quart de finale en Coupe de France 1978, éliminé par Monaco. Physiquement, les 18 joueurs de l’effectif corse sont sur les rotules à force de jouer sur les rotules. En finale aller donc, dans un match ubuesque joué avec 20 centimètres d’eau, les deux équipes s’évertuent à jouer sur la seule partie praticable du terrain corse. L'arbitre yougoslave ne peut reporter la rencontre, à cause de la proximité de la Coupe du monde en Argentine qui doit se dérouler quelques semaines plus tard. Malgré la domination bastiaise, la rencontre se termine sur un score nul et vierge, 0-0.

Bastia réalise donc le plus grand moment du sport corse. Le SECB, club d'une ville de seulement 40 000 âmes, avait fait plus que défier les grandes capitales du football européen : il avait permis à la Corse tout entière de se réunir, à une époque où le mouvement nationaliste naissait, trois ans après l'épisode d'Aleria, en 1975.

Pour sa part, le quotidien sportif L'Equipe y alla même d'un texte "in lingua materna" signé Vittoriu d’Albitreccia. Extraits ... Da Levante a Punente, l’Auropa scummossa hà scupertu una squatra, un' isula, un populu è i ghjurnali di tutti i paesi indicanu induv’ella si trova a Corsica ! Dimula franca, hè questa a più bella vittoria di Bastia ! ...

Au match retour au stade Philips, le PSV sonne l’hallali et le tocsin pour Bastia : 3-0. Comme un symbole, Willy van der Kerkhof marque le premier but d’Eindhoven. Le vrai truc dommageable, c’est que nous avons dû jouer trois matches en six jours, et ce, quatre jours avant de disputer la finale. Pendant les deux matches, les joueurs du PSV m’ont réservé un traitement de faveur assez brutal. Quelques semaines plus tard, je jouais la finale de la Coupe du Monde avec une demi-douzaine d’entre eux, et deux ans après je les retrouvais avec Saint-Etienne avec le résultat inverse.

En novembre 1979, les Verts vont venger Bastia dans un chaudron de Geoffroy-Guichard survolté. Saint-Etienne n'est plus dans ses vertes années et se contente désormais de la Coupe de l’UEFA. La razzia verte se conjugue désormais à l’imparfait, et le sentiment de puissance du public stéphanois file lentement vers la nostalgie même si le chant du cygne des Verts sera le dixième titre de champion de France du club forézien en 1981. A l'aller au Philips Stadion, les hommes de Robert Herbin n'ont pas existé, balayé par les Néerlandais (2-0), lauréats de la C3 un an plus tôt. Les Verts, 3es de Division 1 lors de la saison 1978-1979 (derrière Strasbourg et Nantes) et très moyens en ce début d’exercice, sont moins flamboyants que leurs prédécesseurs et leur avenir en Europe semble déjà s'inscrire en pointillés. D'autant que Dominique Rocheteau, en béquilles, a pris place en tribunes. En cinq minutes, le match est bouclé. L'épopée des Verts est déjà lointaine mais la magie de Geoffroy-Guichard opère toujours. Jean-François Larios (3e), Michel Platini (4e) et Jacques Santini (5e) tuent la rencontre en moins de temps qu'il en faut pour le croire. Même pendant leurs heures de gloires, les Verts n'avaient jamais broyé une référence européenne avec une telle violence. 6-0 au final pour une démonstration dans les grandes largeurs ponctuée, comme un symbole, par un penalty de l'idole batave, Johnny Rep, ultime démon de cette boîte de Pandore stéphanoise qui est venu exploser face aux coéquipiers d’Hans Van Breukelen. Le PSV de Kees Rijvers est haché menu. Michel Platini est le héros de ce match mythique. Le meneur des Verts ne devait pas fouler la pelouse. Convalescent, il a longtemps fait planer le doute, bien aidé par un Robert Herbin malicieux. Au final, deux buts : une reprise sèche et un coup franc aux 25 mètres, un classique. Platini n'aura pas vécu beaucoup de grandes soirées européennes avec le maillot vert mais celle-ci restera gravée : parce qu'il s'agit du dernier grand moment marquant des Verts en Coupe d'Europe, chez eux, à Geoffroy-Guichard. Une soirée qui ravive les souvenirs mais n'aura pas de lendemain. La plus belle de toutes nos victoires, confiera Roger Rocher, leur président. Même si un an plus tard, l’ASSE marchera sur le Hambourg SV à l’extérieur. 5-0 en Allemagne.

Il est vrai que Claude Papi a, surtout en 1978, reçu des sollicitations de nombreux clubs - en France, le FC Nantes voulait s'attacher ses services, mais aussi à l'étranger avec des propositions de clubs suisses. Il avait pourtant refusé, mais avait quand même longuement réfléchi aux propositions d'un club prestigieux : le Cosmos de New-York, qui cannibalisait la NASL avec Pelé, Giorgio Chinaglia, Carlos Alberto, Johan Neeskens et Franz Beckenbauer ! Une offre bien alléchante, tant au niveau sportif que financier, et très honorable pour Claude Papi. Mais la vie aux Etats-Unis ne l'avait pas franchement convaincu.

Il préférait de loin les Aiguilles de Bavella aux gratte-ciel new-yorkais ! Claude Papi ne partira pas aux USA. Claude Papi restera fidèle au SECB. Il y terminera sa carrière en 1981, ne participant même pas, pour cause de blessure, à la victoire des bastiais en finale de la Coupe de France contre le Saint-Etienne de... Michel Platini.

En 1981, le Tour de France part de Nice, avec un phénix belge nommé Freddy Maertens qui remporte la première étape et prend le maillot jaune après le prologue conquis par Bernard Hinault, le nouveau despote du cyclisme. Le SEC Bastia, lui, remporte la Coupe de France face à Saint-Etienne au Parc des Princes.

Comme un symbole de ce crépuscule, Nice révèle Daniel Bravo au début des années 80 mais le Petit Prince file à Monaco en 1983, ce rival qui va mettre le Gym dans l’ombre à partir de 1978. En 1983, la Corse pleure Claude Papi, victime d’une rupture d’anévrisme à seulement 34 ans. Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé, écrivait Lamartine. Tel est le football bastiais orphelin du magicien Papi …

La suite sera moins rose pour Nice et Bastia, les deux clubs tombant de Charybde en Scylla, de camouflet en humiliations, avec la catastrophe de Furiani le 5 mai 1992 pour Bastia, qui s’apprêtait en tant que club de D2 à défier le grand OM de Bernard Tapie en demi-finale de la Coupe de France, vingt ans après la finale perdue par le club corse dans le nouveau Parc des Princes. Bastia, après dix-huit saisons dans l’élite, est releguée en D2 en 1986. Nice, lui, descend en D2 en 1991 (rétrogradation administrative par la DNCG, tout comme pour Bordeaux) un an après avoir sauvé sa peau en 1990 lors d’un match couperet de barrage retour contre Strasbourg (vainqueur 3-1 du Gym à la Meinau au match aller), où le Luxembourgeois Robby Langers s’offre un quadruplé (6-0).

En 1994, les deux clubs retrouvent ensemble la D1. Bastia perd trois finales de Coupe, une en Coupe de France en 2002 contre Lorient (marqué par cette Marseillaise sifflée, provoquant le courroux du président Chirac) et deux en Coupe de la Ligue, en 1995 et 2015, les deux fois face au PSG.

Quant à Nice, il l’emporte en 1997 face à Guingamp alors que le club retrouve la D2 mais s’incline en 2006 en finale de la Coupe de la Ligue contre Nancy, son vieux bourreau du terrible printemps 1978. L’espace d’une soirée, Nice retrouve les frissons européens en C2 face au club écossais de Kilmarnock, battu 3-1 au stade du Ray. Profitant du retour de 18 à 20 clubs en L1, le Gym monte en 2002 et frôle le titre de champion d’Automne avec José Cobos en taulier du vestiaire. L’année 2010 verra le Ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux faire dissoudre la célèbre BSN 85 (Brigade Sud Nice) du côté de la Baie des Anges. En 2016, après le terrible attentat terroriste du 14 juillet sur la Promenade des Anglais, Nice termine champion d’automne avec Mario Balotelli, remplaçant de luxe d’Hatem Ben Arfa parti au PSG, qui finira dauphin de Monaco dans cette saison 2017 qui voit le Gym retrouver le podium de l‘élite pour la première fois depuis 1976 ! Quarante ans après leurs trajectoires presque dorées, Nice et Bastia attendent toujours le grand frisson, loin d’être rassasiées par ces Coupes de France 1981 et 1997 gagnées tels des cadeaux de consolation …

Depuis cet âge d’or, Johnny Rep se rend chaque année en vacances en Corse. Le cœur a ses raisons que sa raison ignore.



5 réactions


  • Axel_Borg Axel_Borg 2 octobre 2018 11:21

    Nice et Bastia, deux superbes equipes de cette époque si lointaine désormais, la première en championnat de D1 (1973, 1976 et 1978 notamment), la seconde en Coupe de l’UEFA 1978, aucune n’étant recompense de ses efforts durant les seventies.

    Le club corse capitalisera sur l’ère Trigano pour gagner la Coupe de France 1981. Nice devra attendre 1997 pour gagner la Coupe de France, avant de perdre en 2006 en Coupe de la Ligue contre Nancy, son double bourreau de 1978.

    Quant à Bastia, ils perdront 2 finales contre le PSG (Coupes de la Ligue 1995 et 2015) et 1 contre Lorient (Coupe de France 2002).


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 2 octobre 2018 20:07

    Allez Lens !!! Bon a part gueuler ça et chanter les corons je ne connais rien au foot.


    • Axel_Borg Axel_Borg 3 octobre 2018 09:08

      @Aita Pea Pea

      Ah je ne connais pas assez l’Artois pour faire le même genre d’article sur le RC Lens désolé !


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 2 octobre 2018 21:03

    .. ? .. C’est quoi le foot ?


  • Fred Astaire Fred Astaire 11 juin 2019 12:02

    L’épopée bastiaise, quel grand moment, et le regretté Claude Papi quel grand joueur, malheureusement à la courte carrière internationale.

    Belle équipe le Nice des années 50. Vu il y quelques années les videos des Nice-Real et Real-Nice.


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