jeudi 11 juillet 2019 - par Yves Alvarez

Présidence du Real Madrid ; quand la CIA et le KGB s’en mêlent

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Décryptage

1981. Alors que se profile la fin du premier mandat exercé par Luis de Carlos à la tête du Madrid, Ramón Mendoza fait acte de candidature à la présidence du club blanc. Mendoza qui a renoncé à son poste au sein du comité directeur suite aux accusations portées contre sa personne par le magazine Cambio-16 au sujet de ses relations troubles avec l’État soviétique, continue à suivre le Madrid en tant que socio. En privé, il se consacre à la gestion de l’Hippodrome de la Zarzuela et de son Haras.

Bien que Ramón Mendoza soit resté un court laps de temps au sein du club, il en a profité pour développer un courant de pensée suffisant au point d’être adoubé par les libéraux. Les rénovateurs entrevoient pour la première fois depuis fort longtemps la possibilité de reprendre les rênes du club aux conservateurs animés par un certain pragmatisme et se voulant fidèle aux valeurs du Madridisme. La succession de Santiago Bernabéu est un épisode central dans l’histoire du club. Toutefois, il n’a jamais suscité un grand intérêt de la part des écrivains et de la presse ibérique. Pourtant, c’est une partie de billard à plusieurs bandes qui se déroule durant des années. Mêlant, l’exécutif, la royauté, la CIA, la centrale de renseignement américaine et le KGB, le service de renseignement de l’Union soviétique.

 

Changement

Le début des années quatre-vingt est marqué par la guerre froide qui après l’intermède de la détente a repris sa place suite à l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques et l’élection du candidat républicain et ultralibéral Ronald Reagan à la présidence des États-Unis. Reagan est une ancienne vedette de cinéma cantonné au rôle de second couteau, le plus souvent. Syndicaliste et gouverneur de l’État de Californie, Ronald Reagan incarne un changement brutal dans la politique américaine, mais en apparence, car son prédécesseur Jimmy Carter avait déjà entamé des processus visant à libéraliser certains secteurs de l’économie américaine durant ses quatre années passé à la Maison Blanche.

En Espagne, dans les différentes sphères de l’exécutif, personne n’a oublié l’épisode de Cambio-16. Ramón Mendoza s’est expliqué au sujet de sa proximité avec le KGB du fait de ses affaires d’import-export avec l’URSS. Cependant, l’ambassade des États-Unis entreprend de s’intéresser à ses activités. La CIA dont la mission première est de collecter toutes les informations pouvant nuire à la sécurité des intérêts américains à l’étranger, lance une enquête sur les relations de Ramón Mendoza avec l’État soviétique.

 

Note

Chaque matin, le président des États-Unis commence sa journée de travail en lisant de multiples notes laissées sur son bureau. Le chef exécutif en exercice souligne ou rajoute des annotations et signe le tout. Ses documents proviennent du département d’État. Lors du premier semestre de 1981, figure parmi une foule d’informations, une feuille au sujet de Ramón Mendoza. Elle stipule que cet espagnol est un homme d’affaires brillant qui a construit un réseau d’import-export exclusif avec l’URSS dans l’Espagne franquiste et qu’il est soupçonné d’être un agent du KGB. La note précise que Ramón Mendoza est candidat à la présidence du club omnisport du Real Madrid.

Ronald Reagan ne possédait aucune culture football – soccer –. Il ne connaissait pas l’historiographie d’un club comme le Real Madrid et son poids social et économique dans la société espagnole, mais le fait qu’un businessman imposant puisse être suspecté d’être un agent du KGB et sur le point de devenir président d’un club aussi important que le Real Madrid dans l’Espagne de l’après-franquisme est suffisant pour qu’une information soit ouverte. La CIA et la mission diplomatique états-unienne en Espagne se chargent de mener une étude et d’approfondir les relations que le self-made-man Ramón Mendoza possède avec l’URSS de Brejnev.

Rapidement, Terence Todman, ambassadeur des États-Unis en poste à Madrid prévient Adolfo Suárez, Premier ministre espagnol des suspicions du département d’État américain au sujet de Ramón Mendoza et de ses relations avec le KGB. Ce dernier s’entretient avec le Roi Juan Carlos. Cette fois, il ne s’agit plus d’une information de l’organe de presse Cambio-16, mais de la CIA. Malgré les rapports obtenus sur Mendoza, le Premier ministre espagnol ne cache pas son étonnement. Adolfo Suárez, né le 25 septembre 1932 à Cebreros, province d’Ávila à accéder à la présidence du gouvernement en 1976. Il est l’architecte de la Transition démocratique et de la nouvelle Constitution espagnole approuvée en 1978.

Adolfo Suárez est l’archétype de la complexité de certaines élites du pays. Fils d’un père républicain, il opte dès sa prime jeunesse pour le Movimiento. Il fait ses études de droit à la l’université de Madrid. Une fois diplômé, Suárez rentre dans l’administration. Il est initié aux rouages du pouvoir par Fernando Herrero Tejedor, membre de la phalange traditionnelle. Quelque temps plus tard, Adolfo Suárez intègre le gouvernement du généralissime.

Après la mort du Caudillo et l’intérim assumé par Carlos Arias Navarro, Adolpho Suarez est choisi au grand étonnement de la population par le Roi Juan Carlos pour mener à bien la transition démocratique. Suarez est inconnu du grand public. Le nouvel élu centralise autour de lui un gouvernement fait de différentes familles politiques. La totalité des collaborateurs est convertie au principe démocratique. Franquistes, phalangistes traditionalistes, libéraux, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates. Les partis politiques interdits par le régime franquiste sont de nouveau autorisés dans le pays. En retour, les partis acceptent le principe de monarchie parlementaire.

Doutes Les différentes parties commencent à échanger certaines informations. L’ambassade américaine obtient l’assurance du Premier ministre et du Roi qu’un processus de neutralisation sera mis en place pour empêcher Ramón Mendoza de parvenir à la présidence du Madrid. Fernandez Trigo nouveau secrétaire du club castillan prend en main toute l’opération en vue de la réélection forcée de Luis de Carlos. Lors d’un déjeuner, Adolfo Suárez s’entretient avec Luis de Carlos. Après avoir exposé ses arguments, il l’invite à se représenter à la présidence du club madrilène. Le Roi Juan Carlos entreprend une démarche identique. Face à de telles sollicitations, de Carlos accepte de se porter candidat pour obtenir un deuxième mandat.

Adolpho Suarez a sans doute raison d’émettre des doutes au sujet de cette histoire. La CIA est soumise à une grande cure d’amaigrissement depuis quelques années. Lors de son seul et unique mandat à la maison blanche, le président, Jimmy Carter nomme le général Stansfield Turner à la tête de l’intelligence service. Turner applique son plan qui vise à transformer l’agence de renseignement. Il pilote le renversement du Chah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi en le remplacent par l’ayatollah Rouhollah Mousavi Khomeiny. 

Turner licencie en masse plusieurs centaines de personnes dont beaucoup sont des agents de terrain au profit de la bureaucratie. Le résultat est immédiat. Les informations collectées par la centrale sont de moins en moins fiables. Peu à peu le doute s’installe dans le monde de la diplomatie occidentale au sujet des renseignements détenu par la CIA.

 

Élections

En 1982, Luis de Carlos rentre en campagne. Quant à son adversaire, il avance ses pions ; Cependant, le slogan, Ramón Mendoza agent du KGB revient à la surface…

Tout le monde semble jouer double jeu dans cette histoire au point de se prendre les pieds dans le tapis. L’ambassade des États-Unis a tout intérêt à ce que le club madrilène bascule dans le camp des libéraux, mais la croyance que Ramón Mendoza est un homme du KGB et proche des communistes faits déraper le processus qui doit mener le Madrid à se débarrasser de ses conservateurs sous l’impulsion de certains milieux d’affaires de la capitale. Luis de Carlos bien que conforté par le soutien du Roi et du Premier ministre, ne possède pas l’assurance de l’emporter sur son adversaire. Cependant, une troisième personne se déclare pour briguer la présidence du club.

Le Docteur José Maria Dieguez, la cinquantaine passé est à la tête d’une association de supporteurs du club. Il est madridiste depuis l’âge de onze ans. Le docteur Dieguez spécialisé dans les maladies vénériennes prône une rénovation complète du club. Alors que la campagne qui vise à séduire les électeurs bat son plein, José Maria Dieguez se retire de la course à la présidence. Dieguez n’était pas en mesure de se mêlé à la victoire finale. Néanmoins, les voix qu’il a fidélisées se porte en majorité vers de Carlos suite au sondage publié par la presse locale. Entre-temps, un fait important intervient. Le Premier ministre Adolfo Suarez rend son tablier et quitte le palais de La Moncloa.

Le retrait d’Adolfo Suarez n’a aucun impact sur les élections à venir du club madrilène. Son successeur Leopoldo Calvo-Sotelo prend connaissance de l’affaire, mais il n’interfère pas dans le déroulement du processus qui vise à barrer la route à Ramón Mendoza. Chaque candidat présente leur programme dans le but de faire passer un nouveau cap au club madrilène.

Les votes ont lieu le 10/10/82. Luis de Carlos sort vainqueur de la bataille. Il totalise 10 752 voix contre 7 562 pour son adversaire.

Au vu du scrutin on remarque qu’un bon nombre de suffrages se sont portés sur la personne de Mendoza. Ce qui conforme que les classes aisées n’ont jamais abandonné le club. Elles l’ont plus ou moins snobé durant un temps sans pour autant s'en détourner totalement. Bernabéu et les santiaguinas ne sont pas éternels. La marge est faible. Néanmoins, elle est suffisante pour que Luis de Carlos entame un nouveau mandat à la tête du club castillan qu’il sert depuis plus de vingt-cinq ans.



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