Tour de france et gérontologie
Ancien coureur cycliste amateur, je suis écoeuré par la gangrène du milieu professionnel par le dopage.
Le feuilleton tragi-comique (plutôt tragi-cynique d’ailleurs) qui vient de se dérouler lors du dernier Tour de France a poussé l’affaire au paroxysme du ridicule... Ce qui n’est pas sans similitude pour moi, qui suis soignant en EHPAD, avec la question de la gangrène du « prendre soin » gérontologique par les affaires de maltraitance.
Dans les deux cas, nous sommes dans un politiquement correct bien loin de la réalité du terrain. Qu’il soit question de dopage ou de maltraitance, malgré les évidences, nous sommes face au déni des « organisateurs » qui veulent bien admettre, à la rigueur, que des déviances puissent exister..., mais ailleurs et relevant uniquement de pervers isolés !
Toujours selon ces discours, les systèmes de prévention et de contrôle seraient suffisamment efficaces pour pallier à tout dérapage.
En fait, ce que nous disent ces mensonges institutionnels, dont personne n’est vraiment dupe, c’est qu’il ne faut surtout pas secouer les deux fragiles châteaux de cartes que sont le sport professionnel et le soin gérontologique.
Pour les courses cyclistes, comme pour
l’institutionnalisation de la vieillesse, le show must go on !
Il est pourtant patent que dans les deux cas, c’est
l’essence même de l’activité qui porte en elle les germes de ces dérives.
Historiquement, le sport est un divertissement qui permet aux pratiquants de se confronter à eux-mêmes ou à des adversaires, selon des règles prédéfinies, sur le mode du jeu... C’est-à-dire en marge de la vraie vie. Par exemple, sportivement, gagner n’est pas vaincre !
Mais la pratique d’une discipline sportive nécessite une hygiène de vie et une perpétuelle remise en question. Ces exigences conduisent à rendre exemplaires les plus performants (qui, à tort, sont souvent assimilés aux plus méritants) et à détourner la majorité des personnes vers la pratique par substitution, c’est-à-dire vers la vénération du spectacle sportif.
Dès lors, les pratiquants du haut niveau sont devenus des « permanents du spectacle » soumis à la pression du « toujours plus ». Sur leurs épaules reposent des enjeux socio-économiques considérables, dont ils tirent des profits extravagants. Les organisateurs de compétition, qui sont dans une logique purement économique et qui veulent du spectacle pour attirer public, sponsors et argent, en sont arrivés à oublier que la performance humaine a des limites.
Le champion, pris dans ce tourbillon, est censé ne pas avoir recours à des moyens illicites, uniquement parce qu’il est exemplaire et est donc tout entier imprégné de la dimension éthique de sa pratique.
Le grand âge est l’ultime période de la vie qui conduit à la mort, il s’accompagne de nombreux renoncements et d’un inexorable isolement social.
Il arrive malheureusement qu’au travail du temps s’ajoute l’installation ou la progression de maladies qui rendent la personne âgée si dépendante qu’il n’est plus raisonnablement possible d’envisager qu’elle puisse continuer de vivre seule chez elle.
Dans l’état actuel, l’institution semble alors la solution la plus logique, la « moins pire ». En aucun cas, ce n’est une bonne solution : déraciner une personne de son milieu de vie en fonction de précautions de sécurité, pour elle ou pour l’environnement, ce n’est jamais un aboutissement ou un épanouissement survenant au crépuscule d’une vie bien remplie.
Pour accompagner les vieillards dans cette « institutionnalisation malgré eux », on attend du personnel soignant : compétence, patience, gentillesse et tolérance. Faut-il rappeler que la vieillesse ne se guérit pas mais se gère !
Mais, lorsque l’on pense à sa propre vieillesse, on peine à imaginer les innombrables renoncements auxquels il va falloir faire face. C’est pourquoi on a tendance à idéaliser la vieillesse en prétendant que même à 100 ans et plus le quotidien et l’avenir gardent leurs valeurs attirantes.
Dès lors, on exige des soignants qu’ils aient le comportement « exemplaire » de prestataires de services de l’hôtellerie de grand luxe. Ces professionnels qui, dans la réalité, sont confrontés à des personnes fragiles et en grande souffrance sont alors sommés de donner l’impression d’intervenir dans le cadre d’une relation purement commerciale équilibrée de part et d’autre. C’est oublier un peu vite que la mise en institution relève très rarement d’un choix éclairé, mais toujours d’un pis aller ! C’est faire fi aussi des limites des soignants à accompagner la souffrance avec une capacité d’empathie suffisante. C’est négliger enfin, l’insignifiance du contre-pouvoir des résidents (principalement du fait de la baisse de leurs capacités) face au rouleau compresseur institutionnel.
Le soignant, pris dans ce tourbillon est censé ne pas abuser de son pouvoir, uniquement parce qu’il est exemplaire et est donc tout entier imprégné de la dimension éthique de sa pratique.
Ce que l’on refuse aux sportifs et aux soignants, c’est d’avoir des limites.
Par ce refus, on sacralise cette frange de la population, en l’exhibant comme exemplaire pour l’humanité.
Dans les deux situations cet engrenage hypocrite entretient
et pérennise les déviances.
Le sportif en arrive à se présenter comme une victime des rythmes infernaux « obligé » de se « soigner » pour rester au niveau (ce qui est la confirmation implicite d’une pratique généralisée).
Le soignant se trouve contraint de répondre à des exigences institutionnelles de qualité et de productivité en inadéquation avec les moyens dont il dispose, qui sont intenables au sein d’un système structurellement maltraitant. En effet, à quel moment commence la maltraitance dans des structures qui s’autorisent à héberger une personne âgée contre son gré (ou plutôt à l’insu de son plein gré pour reprendre la célèbre formule de Virenque) pour un loyer mensuel de 1 500 euros et plus.
Dans les deux situations, enfin, le nœud du problème se situe finalement sur la position de la médecine.
La médicalisation du sport ne semble pas remise en cause ; il est admis que les athlètes de haut niveau, qui pourtant sont apparemment en excellente santé gagnent beaucoup à être suivis médicalement (?). Les sportifs dopés le sont pourtant par des médecins, qui en tirent une notoriété stupéfiante (c’est le mot !) et qui en tout cas sont bien rarement interdits d’exercer (alors que les sportifs pris le sont systématiquement) !
La très grande majorité des personnes âgées admise en institution le sont sur la base de diagnostics médicaux d’irréversibilité. On regrette que la philosophie des soins palliatifs, qui ont pour objectif d’accompagner avec compétence et humanité la fin de vie, ne semble pas concerner le très grand âge ! La médecine gériatrique est redoutablement silencieuse sur la qualité de vie réellement envisageable dans les établissements au sein desquels elle oriente les vieillards !
Les regrettables égarements des sportifs et des soignants témoignent dans les deux situations des dérives d’une prise en charge médicale arrogante et suffisante.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est avec le soutien de la science médicale que l’on se refuse à admettre collectivement les limites de la machine humaine !