Du Massif des Vosges aux Confins du Monde !
Cette terre incite autant à l'ancrage qu'au mouvement écrit Claude Vautrin à l'endroit des Vosges, massif forestier qui n'a plus de secret pour lui. En revanche, bien des secrets entourent encore CLAUDE VAUTRIN, écrivain à la fois enraciné et reporter de toutes les terres. Le double octave de sa vocation d'écrivain questionne, tout comme sa silhouette de barde lorrain. C'est donc pour mieux situer cet auteur à l'oeuvre polymorphe (essais, nouvelles et romans) que nous lui avons posé cinq questions. Pourquoi cinq ? Parce que tel est le chiffre secret de l'Homme, ce dieu tombé du ciel, que Claude interroge avec une encre à la fois intime et vagabonde.
“Les Vosges me façonnent”, écrivez-vous, dans un de vos romans. Quel autre rôle joue le massif des Vosges dans la vie des Hommes ? Les trois versants de ce massif - lorrain, alsacien et franc-comtois - sont-ils davantage frontières ou voies de passage ?
La montagne vosgienne a toujours été un lieu de passage et d’échanges majeur. Oublions la soldatesque tentée de franchir ses cols. Elle s’y est trop attardée ! Préférons-lui les érudits du Gymnasium Vosagense de Saint-Dié en route, au tout début du xvie siècle, pour une de ces rencontres fertiles avec Beatus Rhenanus et les humanistes du cénacle de Sélestat. Ou encore à la fin du xixe les contrebandiers d’allumettes venus du Valtin et arpentant la crête du Tanet. Après l’annexion de l’Alsace en 1871, le massif a vu passer des industriels choisissant les Vosges pour refuge et terre d’économie. Plus tard des prisonniers évadés, des Alsaciens réfractaires à l’occupant allemand étaient guidés par les contrebandiers « de la liberté », ceux-là. Ouvert aux hommes est le massif vosgien, à l‘instar d’une nature accueillant depuis toujours, au gré du temps, du hasard, une faune et une flore venues d’ailleurs. J’aime cette idée !
Existe-t-il, selon vous, une Lorraine « secrète » ? En d'autres mots, que dire de l'âme de ce pays, lorsqu'on l'interroge en poète ?
« L’interroger en poète » : quelle belle invitation ! J’y souscris là encore. Les secrets, les mystères en appellent au mouvement. A ce sujet, la Lorraine est plus qu’inspiratrice. Pas innocent que son emblème, la croix à deux branches, arborée dès le xve siècle, symbolise la résistance. Coincée entre le Saint-Empire romain germanique et le royaume de France, avant d’être intégré en 1766 à ce dernier, le duché de Lorraine, souverain depuis 1542, ne s’en était pas moins ouvert au monde, développant des liens commerciaux, artistiques et culturels avec une Europe en devenir, en tirant profit intellectuel, affirmant une identité parfois novatrice. On peut résister aux appétits des puissants, sans renier ses propres désirs de plénitude, sans honorer l’esprit d’indépendance qui ici n’a jamais été repli sur soi. Là est sans doute le secret vivant et créatif de cette terre d’accueil.
Vous venez de recevoir le prix Cadet Roussel pour l'ensemble de votre œuvre. Quel est le thème qui, selon vous, traverse l'œuvre polyforme qui est la vôtre ?
Parcourant la planète depuis l’âge de 16 ans, j’ai appris à me connaître à travers l’autre, l’étranger, des cultures, des environnements différents. J’ai puisé plaisir et connaissances dans ces voyages, ces expériences quasi initiatiques. Des vécus l’ont été d’ailleurs. Mon métier de grand-reporter n’a fait que renforcer cette appétence à ce que certains assimilent à un risque, et qui s’impose à moi comme une évidence. J’aime faire le pas de côté, chercher au-delà du visible. Comment relater un évènement sans en quérir les ressorts secrets ? Comment découvrir autrui, en ne s’attachant qu’au paraître. Cette quête-là inspire mes écrits qui mettent souvent en scène des êtres en capacité de transmettre, un autre mot-clé. Si l’actualité, parfois brûlante, s’invite, l’idée est bien sûr de ne pas perdre les acquis et les connaissances du passé, de la tradition, sans renoncer bien évidemment à ce qui est essentiel, à mes yeux : le mouvement. Enfin dernier point, le vivant est compris dans toutes ses composantes, en une nature omniprésente.
Ecrivez-vous dans le tumulte du voyage ou, a contrario, dans le secret d'une thébaïde d'écriture ?
Une thébaïde peut être désert, forêt profonde, abri précaire dans une communauté autochtone du bout du monde, refuge de montagne ou wagon brinquebalant… L’écriture prend forme dans tous ces univers. Je conserve précieusement les carnets de notes, de voyages, de reportages qui ont pris corps et âme, suite à un entretien improvisé avec un anonyme valant tous les prix Nobel de la Paix du monde, au partage d’une fête ou d’un rituel traditionnel, à la douloureuse expérience d’un fait de guerre ou d’une catastrophe naturelle. De ces premiers écrits naissent alors des récits qu’inspirent l’actualité, mes quêtes, philosophique, voire spirituelle, les questionnements du moment. S’y meuvent des personnages réels ou imaginaires, apprenant à se connaître au fil des pages naissant dans mon bureau spinalien, livré aux livres, ouvert à l’autre et aux mouvements intérieurs.
Parlez-nous de Chaos sur ordonnance, votre dernier ouvrage, paru chez Kaïros en mai 2024.
Ciel, terre, mer, êtres vivants : partout dans notre environnement, des énergies circulent. Au nom de la vie, pour le meilleur donc. Et pour le pire quand les éléments se déchaînent. Loin d’être innocent, l’Homme organise parfois le chaos. Plus responsable, il sait aussi faire cause commune avec la nature pour éviter le pire. Tel est le propos de Chaos sur ordonnance. Les peuples autochtones m’ont inspiré. Ces récits nous mènent de l’Irlande à l’archipel des Haïda Gwaii dans le Pacifique Nord, chez les Bouriates, sur les rives du lac Baïkal, ou encore au cœur d’une Andalousie méconnue… Ces ouvrages s’inscrivent dans la même veine que « Sept voyages initiatiques », et « Faire peau neuve à l’épreuve du monde » parus également chez Kaïros.