20 ans à la rue, en France, en 2010...
Bonjour. Elle n’a pas 20 ans et elle est à la rue, avec son allure de petit lutin frêle toute droite tombée d’un mauvais conte de noël. Six mois de bitume nancéen, dont l’hiver, et cette à peine sortie du lycée n’a plus un look de jeune fille élancée, mais de gamine malingre. Le bon sens urbain du brave gens la toise, regarde une série télé et l’imagine droguée sans simplement comprendre qu’elle est simplement à bout de force et de fatigue, littéralement coincée dans le tunnel des longues nuits apeurées du stress sans sommeil.

Quand ses anciens camarades de lycée passent devant elle, tiraillée par le souvenir des jours où elle était assise en classe à coté et non par terre sur le trottoir d’en face, elle est prise dans la tourmente des émotions contradictoires : entre l’envie d’être reconnue et de discuter d’un sourire en partageant encore un peu cette même insouciance qu’eux, et l’envie de fuir, l’estomac encore plus noué s’il n’était déjà creux.
Certain l’ignorent, d’autres font semblant de rien, d’autres semblant de comprendre, mais c’est sans faux semblant qu’elle rentre apeurée tenter de s’abriter en évitant de croiser « celui qui avec un chien », ou « celui qui avec sa violence », ou « celui qui avec sa fausse gentillesse barrée tantra », ou encore ce vieux pervers habitué à la traque des jeunes filles désœuvrées, et même celle qui...
Certains lui ont déjà volé sa journée de manche, d’autres lui « proposent » fréquemment , en la regardant dépérir et s’affaiblir quotidiennement, comme on traque un animal en attendant le moment où il s’écroule de fatigue nerveuse et de résignation, de quoi « l’aider » au prix de la dernière des pertes, celle de sa pudeur de jeune femme, pour 10 euros, pour manger chaud, pour ouvrir le chakra d’un salaud ...
Que font les services sociaux ? Que font des fonctionnaires face à l’urgence ? Ils fonctionnent... Veuillez remplir le formulaire, expliquez vingt fois votre vie tout en la subissant, et revenez nous voir avec de quoi prouver que vous avez fait plus surement travailler nos collègues en justifiant leur poste tout en cherchant de l’aide et du travail pour vous ...
L’ère Sarkozy du changement, c’est quand les services sociaux expliquent aux personnes en situation précaire qu’ils doivent rendre des comptes, que le conseil régional Lorrain se remanie à son rythme qui n’est pas l’urgence de la précarité, et qu’ils ont des papiers a remplir alors.... Ils font ainsi partager stress et pression à ceux qui sont déjà en situation des plus fragilisantes...
Avant tu étais « coupable » d’être en galère, maintenant, grâce à l’UMPS, tu es coupable si tu ne rentres pas dans le bon quota pour que d’autres puissent garder leur salaire... Il te manque forcément ce papier... retape toi la ville à pied sans avoir mangé...
elle est jeune, elle devrait ... Quand on arrive à la rue en temps de crise, après tant de semaines d’effort maintenues sur les réserves pour s’en sortir vite... en vain. Après tant de réponses négatives obtenues, du temps où l’on était encore présentable, toute annonce ressemble à un bon pour tour payant sur le manège du temps perdu. L’espoir d’une issue rapide meurt rapidement, alors on le remplace par l’espoir « qu’avec le temps », ce dernier meurt plus lentement.
Elle a pas 20 ans, et elle est à la rue en 2010, à Nancy, en France. Elle est victime de guerre mondiale économique, mais cette réalité contemporaine n’a pas cette patine historique du nazisme du siècle dernier, ou du colonialisme, ou de n’importe quel recours à l’histoire passée qui permet surtout de ne pas la regarder, dans le là, ici, et maintenant, elle et sa frêle silhouette anciennement gracile devenue fébrile, de jeunesse française.
Pas de résistant pour la sortir de là en 2010, aucune armée ne viendra la libérer, elle et son usage de sa liberté qui se résume à ne plus vouloir espérer à 20 ans, de peur d’avoir encore mal. Liberté de fuir les rues de sa propre ville quand elle croise de quoi avec peur pour sa sécurité et son maigre butin, liberté de rester assise à coté de « monsieur kebab », juste en face des produits faits en France, parce que là, ces restaurateurs sont bienveillants. Puis liberté de rentrer tenter de dormir sous un toit que l’on sait aussi temporaire que l’on est précaire.
Et il n’y pas de « droit sans devoir », alors il faut remplir les papiers, et encore se justifier, raconter son histoire jusqu’à s’en lasser de la vivre comme d’en parler. Remplir le formulaire pour attendre la réponse de l’organisme, c’est être traité en virus ou bactérie qui ne sait comment le « corps Français » va réagir...
Puis expliquez au passant qui passe que « non », rien ne change sur le fond, on rame à fond de cale en galère, mais parfois on a la chance de passer la tête pour respirer une goulée d’air...
Certains aiment à croire que c’est pire ailleurs pour justifier de ne rien faire ici. Certains aiment à croire qu’il est plus facile d’avoir faim et de faire la manche devant des distributeurs d’argent liquide et des restos rapides, parce qu’ils ne conçoivent pas ce que c’est que de rentrer avec quelques euro à peine sans avoir de quoi faire chauffer des pâtes dans un presque chez soi, ou de ne pas pouvoir retirer les 6 derniers euros sur son compte parce qu’au guichet il ne font plus que des billets le jour où quasi personne n’a rien donné et que son ventre crie famine.
Il suffit de rester assis quelques minute à côté de ces quelques kilos de jeunesse faisant la manche, et d’avoir une pensée pour le nombre de petits amuse-gueules ingurgités par des commémorant les victoires d’antan, honorant les mémoires avec une fierté d’autant plus facile à avoir que les véritables courageux ne sont quasi plus là pour parler, et les entendre encore discourir en dénonçant l’occupation du siècle dernier plutôt que d’être foutu de donner de l’espoir concret à la jeunesse en précarité, pour mesurer l’hypocrisie profonde de ce qui a été fait de la victoire, de la politique et du pouvoir, sur les soixante dernières années...
Amicalement, Barbouse. Tout nancéen devinera où la trouver, pas sérieux s’abstenir.
"Si d’un destin en souffrance on ne fait pas une généralité, il en faut combien ?"