22, v’là « Les Lyonnais » !
Olivier Marchal, ex-flic romantico-désenchanté, consacre avec Les Lyonnais (en salles depuis le 30 novembre) un long métrage aux plus célèbres braqueurs du début des 70’s : Edmond Vidal, dit Momon, et Serge Suttel, son ami à la vie à la mort. A eux deux, plus quelques autres, ils forment le gang des Lyonnais, voyous adeptes du Grand Banditisme. Ils sévirent, via des braquages dits « propres » (à savoir sans effusion de sang), dans la région lyonnaise entre 1967 et 1977 ; leur irrésistible ascension prend fin en 1974 lors d’une arrestation spectaculaire. A leurs trousses, on a un schmitt directement inspiré par le commissaire Michel Neyret, « superflic » récemment tombé…
Les Lyonnais vaut son pesant de cacahuètes. C’est le film couillu genre « J’ai une grosse paire de couilles et je vous la montre plein écran » ! Et, par la même occasion, c’est le retour du poil et de la moustache seventies. Sacré Olivier Marchal ! Ce mec-là, avec ses valises sous les yeux d’ancien condé cabossé par la vie, ne fait manifestement pas dans la dentelle, l’ouvrage de dame ou la peinture sur soie. Attention mesdames, c’est un ancien flic, ça rigole pas ! Dans sa dernière cuvée filmique, y’a des moustachus poivre et sel, des cuirs vintage avec des hommes poilus dedans, portant des gourmettes bling bling, on a aussi des guns et de jolies pépées en veux-tu en voilà. Quand on voit Tckéky Karyo (Suttel) et Gérard Lanvin (Momon) se dire des mots doux, style ambiance western au coin du feu, on devine que derrière il y a eu Marchal pour leur dire – « Les mecs, on n’a pas eu Alain Delon. Mais, pour sûr, vous êtes les plus grands acteurs du monde. Jouez-là " ours fatigué, romantique désabusé " façon Pacino-De Niro, ça va le faire, vous êtes leur égal ! » Hélas pour eux, Les Lyonnais, c’est le film dérivé de film au comique involontaire. J’avoue secrètement aimer les films labellisés « 100% Viril » de Marchal pour une raison toute particulière : à voir au 12e degré, ils me font rire, à en faire péter la gaine de mamie ! Voir Lanvin en train de penser le monde, genre The World Is Yours, au bord d’une piscine bleu azur comme s’il était le voisin de Tony Montana dans Scarface, c’est poilant. Voir tous les acteurs du film surjouer l’amitié virile, ainsi que les gros durs et les animaux en rut (on se cogne à coups de boules de pétanque, on ripaille sec, on s’entoure de jolies gonzesses à la taille de guêpes…), c’est par moments drolatique, vraiment.
On sent bien qu’Olivier Marchal, avec tous ses films policiers (Gangsters, 36 quai des Orfèvres, MR 73, Braquo et autres Lyonnais), « beugue » sur Heat (1995) de Mann. Il ne cesse de rejouer le schéma de ce film hollywoodien mythique à la lumière bleu cendré : montrer à l’image le respect entre un flic et un voyou qui partagent une morale, des codes d’honneur, des règles. Mais, hélas, le réalisateur français peine, rame, il a un mal fou à rendre ses images un tant soit peu gracieuses. Elles sont d’un balourd, même ! N’est pas Michael Mann qui veut, eh oui. Les scènes de danse gitane dans l’antre du gang des Lyonnais et de boîtes de nuit enfiévrées ont en ligne de mire la fameuse scène d’introduction clair-obscur du Parrain et les échappements libres du Mesrine signé Richet, mais elles de décollent jamais, étant toujours à la traîne de leurs prestigieux modèles. Sur fond d’amitié trahie et d’autres grands thèmes (rédemption…), Les Lyonnais est à Il était une fois en Amérique ce qu’est Le Grand pardon au Parrain. Un succédané. Un ersatz. Un ouvrage de seconde main. Bref, du Canada Dry. Et, mazette, c’est quoi dans ces Lyonnais tous ces flics incarnés par des acteurs de seconde zone qu’on dirait tout droit sortis de séries TV franco-françaises au rabais ? Au secours ! Bon sang, appelez-moi Al Pacino ! Pour autant, voir Karyo et Lanvin, respectivement en Serge Suttel et en Edmond Vidal, en train de se prendre pour Max/Noodles (James Woods/Robert De Niro) dans l’ultime Leone, c’est somme toute utile : ça permet de faire la différence entre le film d’un maître (inatteignable) et celui d’un suiveur peu inspiré, et guère artiste. En remplaçants des deux acteurs hollywoodiens mythiques, Lanvin & Karyo patinent constamment, ils donnent l’impression, par rapport à leurs aînés américains, illustres adeptes de l’Actor’s Studio, de jouer en seconde division, d’être définitivement cantonnés dans la cour des petits.
Au fond, Olivier Marchal n’a pas compris, semble-t-il, une chose essentielle concernant le polar et le film noir. Le vrai cinéma de genre, celui signé par des pointures, des stylistes voire des maniéristes comme Melville, Leone, Coppola, De Palma, Woo, Mann et Gray, a davantage à voir avec le mythe qu’avec le réalisme. Les personnages créés par ces grands cinéastes (Jef Costello, Corey, Vogel, Noodles, Carlito Brigante, Michael Corleone, Castor Troy, Sean Archer et j’en passe) sont des archétypes. Ils échappent très largement au « réalisme cheveux sales » de Marchal et à son naturalisme brut de décoffrage et ô combien bruyant. Ce sont avant tout des signatures visuelles, des icônes, des idoles sur lesquelles souffle le vent authentique de l’héroïsme. Ce sont même des figures assez vides, en creux ; les cinéastes nous les dévoilant sachant très bien que c’est nous, les spectateurs, avec nos fantasmes, qui allons venir combler les manques et les vides. Mais bon, soyons beaux joueurs, à défaut de lancer une nouvelle vague du polar (pour cela, on a James Gray et Nicolas Winding Refn, l’auteur virtuose de Drive), Olivier Marchal crée un sous-genre dans le genre. Que l’on pourrait appeler « le cinoche de la burnitude », ou encore « le cinéma de la couille ». Marchal filme poilu et couillu, quoi ! Ses acteurs à l’écran, bourrés d’action, de binouze et d’adrénaline, semblent constamment crier dans le plan – « Attention, me v’là et j’ai des grosses burnes ! » Rien que pour ce cri du cœur, et accessoirement de la couille, et également pour la survenue pendant la projection du film de poilades notoires, Olivier, à défaut d’obtenir le bâton de maréchal du polar à la française, ne peut nous laisser complètement indifférent. Respect, Mann, pour le marshal du cinéma français ! Tout compte fait, Marchal, c’est, à mes yeux, un bon bougre, drôle malgré lui. Allez, hop, c’est cadeau : 1 sur 5 pour ses Lyonnais !