24 heures de la vie dans un paradis socialiste
Vous avez certainement constaté qu'il existe depuis quelques années un "révisionnisme" de gauche concernant les ex-régime socialistes d'Europe de l'est. Cette fameuse "Ostalgie" du bon temps de la RDA, la république démocratique allemande, notamment. Pour certains intellectuels pro-Nupes et certains activistes "antifas", ce régime qui mit sous coupe réglée les allemands de l'est durant quarante ans (1949-1989) serait une sorte de modèle d'intégration, de solidarité, d'égalitarisme et de justice sociale. Bien qu'Erich Honecker, le leader emblématique de cet état très particulier fondé par les soviétiques dans leur zone d'occupation, était moins glamour que Che Guevara, on se prend à rêver d'un paradis perdu.
Plusieurs ouvrages sont sortis pour décrire et analyser cet état digne du village de la série TV Le prisonnier. On connait ceux de Nicolas Offenstadt (sur l'urbex), historien médiatisé, on connait moins 24 heures de la vie en RDA de l'universitaire Emmanuel Droit. Je l'ai récupéré d'occasion dans un Gibert jeune à Paris, et je salue un essai très bien écrit, agréable à lire et prècis sur les réalités de cet état qui se proclamait ouvrier et paysan.
Reconnaissons-le, qui n'a pas constaté lors d'un séjour à Berlin l'amertume des anciens habitants de l'est de la capitale allemande, cette nostalgie d'un "temps où tout était plus simple" ? Il est vrai que les privatisations radicales des années 1990, le chômage et la précarité, furent difficiles à vivre pour beaucoup de gens qui se sont rendus compte des aléas de la "liberté".
Pour autant, l'idéologie marxiste défendue aujourd'hui par le PCF, Mélenchon-LFI, l'ultra-gauche et certains écolos peut-elle constituer un modèle de progrès et de vivre-ensemble ? Lisons l'opus d'Emmanuel Droit pour baigner dans ce que serait devenue la France si elle avait été "libérée" des allemands par les soviétiques.
L'action de 24 heures de la vie en RDA se situe à Zeitz, ville au nom imprononçable pour les grenouilles que nous sommes. C'est situé près de Halle, entre Berlin et la Pologne. Autrefois prospère, c'est aujourd'hui une ruine industrielle qui fait penser à Roubaix. Comble de l'horreur, Emmanuel Droit nous apprend que c'est l'extrême-droite qui dirige la municipalité, "une manière pour les habitants d'exprimer leur colère face à l'abandon"... On imagine un ghetto de pauvreté, mais peut-être pas seulement quand on connait les autres motivations qui poussent les gens à voter pour l'ultra-droite...
Mais revenons à Zeitz en 1974, durant l'âge d'or de la RDA. Une usine à landaus domine la ville, elle emploie des milliers d'ouvriers qui fabriquent des produits en situation de monopole. Ces hommes et ces femmes bossent 43 heures par semaine, 8 heures par jour plus les corvées collectives le samedi-matin. Toute la vie est axée sur l'entreprise, tout le monde se tutoie du directeur à l'apprenti. On mange gratos le matin, pour pas cher à midi, ce qui évite sans doute les files d'attente devant les magasins d'état après le boulot.
Les gosses sont embrigadés dès leur plus jeune âge, crêche, jardins d'enfants, pionniers socialistes etc. On forme un homme nouveau, antifa et marxiste. Celles et ceux qui refusent la vie associative sont qualifiés d'asociaux (l'ouvrage n'insiste pas sur la Stasi et la répression). On est logé dans les cités ouvrières avec un loyer modéré.
La camaraderie est à l'honneur, on vit ensemble, on part en congé en groupe, on vote ensemble pour les listes du syndicat unique. Le député du coin n'était autre que le patron de la Stasi (la police politique), Erich Mielke. Aller se plaindre du quotidien auprès de charmant personnage ne devait pas être aisé...
Les profs triment 50h par semaine : cours, suivi des élèves, heures de remplacement obligatoires, organisation ds fêtes du régime. Les hussards rouges sont moins payés que l'ouvrier moyen et ils ont moins de vacances... Et dire que beaucoup d'enseignants français votent encore pour Mélenchon, le PCF, Poutou et autres nostalgiques ce cette logique...
Les anecdotes sont parfois assez amusantes. L'alcoolisme est un vrai fléau en RDA, allez savoir pourquoi puisque ces gens sont censés être heureux dans le meilleur des mondes. On ne soigne pas les poivrots, on les envoie devant une commission composée de collègues qui va les infantiliser en leur faisant la morale. On bosse, on dort, on vit pour le parti, on ne peut pas voyager loin, on ne peut exprimer son mécontentement ou avec des spincettes.
Ainsi, si vous achetiez un produit mal conçu, vous pouviez rédiger une plainte... Qui n'était pas traitée. Il y avait des services après-vente dans les entreprises, mais seulement pour la forme. Dans une société sans concurrence, impossible d'avoir le choix entre divers landaus, diverses voitures, on commande ce qu'il y a et il faut être très patient avant d'être livré.
On comprend surtout mieux à la lecture du bouquin pourquoi nombreux étaient ceux qui tentaient de "faire le mur", pour fuir un carcan à la limite d'un asile de fous où docilité et conformisme furent la règle.
Vous me direz que tout cela n'est pas nouveau. Cependant la précision des faits relatés par Emmanuel Droit est assez inédite pour la RDA, et son livre est un témoignage utile pour comprendre la réalité d'un système socialiste. Si le capitalisme produit les méfaits que chacun sait, la rémédiation marxiste a montré ses limites...
24 heures de la vie en RDA, Emmanuel Droit, éditions PUF, 2022