Qu’un ministre se mette à réfléchir, voilà une très mauvaise nouvelle. C’est presque synonyme d’une commission de réflexion. Ou de la canonisation d’un comité de sages. Non seulement leurs résultats sont aléatoires (certaines commissions commencent mais ne finissent jamais) mais leurs conclusions rarement suivies. C’est que, par les temps qui courent, « réflexion » signifie « immobilisme » aussi clairement que « sculpteur de cheveux » désigne un coiffeur, ou « massage thaïlandais » indique la maison de passe du coin.
Lorsque la ministre de la santé, pour honorer la conférence mondiale sur le SIDA se met à réfléchir sur les « salles de schooting » il me vient à l’esprit que depuis trente cinq ans, on continue à réfléchir sur l’inefficacité et les effets pervers de la loi sur les substances prohibées. C’est à dire que l’on résiste à toutes les données statistiques, à tous les rapports scientifiques, à tous les signaux émis par le terrain, à toute proposition lancée par les intervenants, à tout changement de l’environnement juridique proche ou lointain, à tout argument économique, géopolitique, sanitaire ou diplomatique allant à l’encontre de certaines dispositions de cette loi. On ne dit pas non, on réfléchit. Et on lance la énième concertation sur le sujet. En continuant, comme des sourds muets à distiller des énormités, à tout confondre, sur un sujet pourtant limpide. : En Europe, la France et la Suède, sont les seuls pays qui pénalisent lourdement l’usage des drogues.
Cela implique des circonvolutions et des prestidigitations ahurissantes dès lors que le consommateur, considéré comme portant deux casquettes celle de « délinquant » et de « malade » nécessite une cure et que sa « dépendance » exige une approche sanitaire et épidémiologique. En d’autres termes, comment un « hors la loi » peut, en même temps, être identifié, enregistré et participer à des mesures qui éloignent le danger de propagation d’une maladie due à des pratiques à risque. Pendant des années, et très en retard des autres pays européens il a fallu batailler pour imposer une politique de prévention basée sur la substitution. Cela aurait été bien plus simple si le délit autonome de consommation n’existait pas. La ministre Barsac, en catimini, imposa le principe d’échange de seringues, et cela eut un effet quasi immédiat sur les statistiques de la propagation du Sida et de l’hépatite. Mais la campagne se fit dans la douleur, car il a fallut débusquer le consommateur d’héroïne et l’assurer d’une impunité qui n’était toujours pas inscrite dans la loi.
A force de parler « drogue » et ne pas faire de chacune des substances un sujet en soit, on arrive, un quart de siècle plus tard, à laisser entendre que le crack, par exemple, est consommé comme l’héroïne, par intraveineuse (le Figaro). Du grand n’importe quoi. D’où la difficulté juridique et le besoin de « réflexion » concernant les « salles de shooting » : A l’intérieur de la salle il y a des « patients », dès qu’ils sortent dans la rue ce sont des « délinquants ». On rétorquera que les choses ont changé : qu’il existe aujourd’hui une tolérance ambiante. Cependant cette « tolérance » que l’on reproche si fortement aux Pays Bas, est le fruit de deux facteurs qui minent la notion même de l’Etat de droit : d’une part l’incapacité de faire face et de mettre la loi en pratique tant le nombre « d’illégaux » a augmenté les vingt dernières années. D’autre part « l’installation » dans la contradiction des différents services de l’Etat lui-même.
Il existe une loi mais en pratique chaque service l’interprète à sa guise, la déforme par rapport à la réalité et aux aléas du quotidien. Cela ne se remarque pas uniquement entre les services de santé et ceux de la police par exemple. Mais aussi au sein des mêmes administrations : plus le « phénomène drogues » devient important et moins il est sanctionné. On ne condamne pas de la même manière dans le Nord - Pas de Calais (où on est débordé) que dans le Limousin (ou les juges ont le temps de mener une instruction à cause de la rareté du phénomène) S’installe ainsi une énième inégalité devant la loi.
Il ne faut plus réfléchir au sein de la loi existante ; S’il faut s’user les méninges, c’est pour enfin la changer. Elle est morte, et nous, on se fait vieux.