vendredi 23 juillet 2010 - par Michel Koutouzis

A propos des salles de shooting

Qu’un ministre se mette à réfléchir, voilà une très mauvaise nouvelle. C’est presque synonyme d’une commission de réflexion. Ou de la canonisation d’un comité de sages. Non seulement leurs résultats sont aléatoires (certaines commissions commencent mais ne finissent jamais) mais leurs conclusions rarement suivies. C’est que, par les temps qui courent, « réflexion » signifie « immobilisme » aussi clairement que « sculpteur de cheveux » désigne un coiffeur, ou « massage thaïlandais » indique la maison de passe du coin. 
 
Lorsque la ministre de la santé, pour honorer la conférence mondiale sur le SIDA se met à réfléchir sur les « salles de schooting » il me vient à l’esprit que depuis trente cinq ans, on continue à réfléchir sur l’inefficacité et les effets pervers de la loi sur les substances prohibées. C’est à dire que l’on résiste à toutes les données statistiques, à tous les rapports scientifiques, à tous les signaux émis par le terrain, à toute proposition lancée par les intervenants, à tout changement de l’environnement juridique proche ou lointain, à tout argument économique, géopolitique, sanitaire ou diplomatique allant à l’encontre de certaines dispositions de cette loi. On ne dit pas non, on réfléchit. Et on lance la énième concertation sur le sujet. En continuant, comme des sourds muets à distiller des énormités, à tout confondre, sur un sujet pourtant limpide. : En Europe, la France et la Suède, sont les seuls pays qui pénalisent lourdement l’usage des drogues.
 
Cela implique des circonvolutions et des prestidigitations ahurissantes dès lors que le consommateur, considéré comme portant deux casquettes celle de « délinquant » et de « malade » nécessite une cure et que sa « dépendance » exige une approche sanitaire et épidémiologique. En d’autres termes, comment un « hors la loi » peut, en même temps, être identifié, enregistré et participer à des mesures qui éloignent le danger de propagation d’une maladie due à des pratiques à risque. Pendant des années, et très en retard des autres pays européens il a fallu batailler pour imposer une politique de prévention basée sur la substitution. Cela aurait été bien plus simple si le délit autonome de consommation n’existait pas. La ministre Barsac, en catimini, imposa le principe d’échange de seringues, et cela eut un effet quasi immédiat sur les statistiques de la propagation du Sida et de l’hépatite. Mais la campagne se fit dans la douleur, car il a fallut débusquer le consommateur d’héroïne et l’assurer d’une impunité qui n’était toujours pas inscrite dans la loi.

A force de parler « drogue » et ne pas faire de chacune des substances un sujet en soit, on arrive, un quart de siècle plus tard, à laisser entendre que le crack, par exemple, est consommé comme l’héroïne, par intraveineuse (le Figaro). Du grand n’importe quoi. D’où la difficulté juridique et le besoin de « réflexion » concernant les « salles de shooting » : A l’intérieur de la salle il y a des « patients », dès qu’ils sortent dans la rue ce sont des « délinquants ». On rétorquera que les choses ont changé : qu’il existe aujourd’hui une tolérance ambiante. Cependant cette « tolérance » que l’on reproche si fortement aux Pays Bas, est le fruit de deux facteurs qui minent la notion même de l’Etat de droit : d’une part l’incapacité de faire face et de mettre la loi en pratique tant le nombre « d’illégaux » a augmenté les vingt dernières années. D’autre part « l’installation » dans la contradiction des différents services de l’Etat lui-même.

Il existe une loi mais en pratique chaque service l’interprète à sa guise, la déforme par rapport à la réalité et aux aléas du quotidien. Cela ne se remarque pas uniquement entre les services de santé et ceux de la police par exemple. Mais aussi au sein des mêmes administrations : plus le « phénomène drogues » devient important et moins il est sanctionné. On ne condamne pas de la même manière dans le Nord - Pas de Calais (où on est débordé) que dans le Limousin (ou les juges ont le temps de mener une instruction à cause de la rareté du phénomène) S’installe ainsi une énième inégalité devant la loi.

Il ne faut plus réfléchir au sein de la loi existante ; S’il faut s’user les méninges, c’est pour enfin la changer. Elle est morte, et nous, on se fait vieux. 



7 réactions


  • Leviathan Leviathan 23 juillet 2010 09:44

    Et pendant qu’elle y est, pourquoi ne pas proposer la ventes libres chez les buralistes... Elle a complètement craqué la Bachelot....


    • bipdan 23 juillet 2010 14:41

      Mais c’est une très bonnes idée, ou en tout cas un bon rappel puisque ça fait longtemps que beaucoup y ont pensé mais ne sont jamais écouté.

      D’une part on y vend déja les cigarettes tout aussi nocives par leurs adjuvants chimiques favorisant la dépendance et que l’état cautionne pleinement.

      Et d’autres part, comme pour les cigarettes, cela représenterait une manne considérable, qui pourrait aller dans la prévention et l’éducation plutot que dans les poches des dealers.

      Sans parler qu’aller acheter son bout de shit dans la cité n’est pas toujours sans danger.


  • Marc P 23 juillet 2010 09:51

    le pouvoir serait il un psychotrope,avec escalade, accoutumance, nécessité de sevrage etc...

    D’expérience il semble qu’il faille qu’un législateur ait la malchance d’avoir un enfant narcomane pour qu’il envisage à son tour de défier les règles de ce qu’on prend pour du bon sens.
    cdlt


  • frugeky 23 juillet 2010 11:23

    Les salles de shooting remplaceront peut-être les cafés qui ferment, ces églises de la république...


  • zelectron zelectron 23 juillet 2010 11:36

    « Qu’un ministre se mette à réfléchir » alors là ! vous me la baillez bien belle ! à partir de quelle matière, de quels critères, de quelles hypothèses, à partir de quels renseignements ? L’esprit d’un ministre est formé politiquement à réussir sa carrière, sa réélection éventuelle, son casement à la tête d’une entreprise ou d’un organisme afin qu’il puisse pantoufler en toute quiétude et si à tout hasard il se met à « travailler » en commettant le moins de dégâts possibles, mais enfin avoir des idées c’est une tout autre question, quoique en dehors du sujet, osons un « peut-être », mais en tout état de cause la cohorte de conseillers, spécialistes, experts, et la valetaille qui l’entoure ne peut que parfaire sa noyade intellectuelle...pas besoin de le shooter...il l’est déjà !


  • Deneb Deneb 23 juillet 2010 14:24

    Il y a tout de même une certaine hypocrisie. Les salles de shooting pour limiter les risques de transmissions des maladies, c’est une bonne chose. Pour une fois le mêre Bachelot se rend à l’évidence. Mais il faut quand même se procurer le produit illégalement. En ce qui concerne les opiacés, les substances les plus addictives dont le sevrage sauvage peut être mortel, l’Etat aurait en effet tout intérêt à fournir elle-même les doses. Ca aurait le mérite de diminuer les traffics et porter un coup à la mafia. Parce que pour le moment, avec les salles de shooting, on les encourage.


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 23 juillet 2010 16:28

    Bonjour MK,

    «  Qu’un ministre se mette à réfléchir » Non, au secours, surtout pas  ! ils vont encore nous pondre une commission avec un nouveau budget pour la recherche et enfin peut-être un nouveau substitut au grand bénéfice de l’industrie pharmaceutique, avec une campagne coûteuse au profit des mêmes annonceurs. Et cela d’autant que c’est déjà cette industrie pharmaceutique qui est à l’origine des principaux produits face auxquels nous avons à lutter en vain depuis des décennies...

    Aucune leçon n’est tirée des expériences passées à ce sujet et d’autres solutions simples et expérimentées existent pourtant pour éviter ce désastre sans fin. Prenez la sauge par exemple, il parait qu’elle est aussi aphrodisiaque que le cana et parfaitement légale. Pour régler le problème de ces drogues, il suffit de laisser les portes ouvertes vers des solutions simples.

    « Qu’un ministre se mette à réfléchir » monstrueuses salles de shooting...et pourquoi pas chambre à gaz et salles auswitch... ?

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